La première marche des Fiertés à Kharkiv, émaillée de violences, met en évidence les multiples lacunes des autorités
Les autorités locales et la police à Kharkiv, dans le nord-est de l’Ukraine, n’ont pas mis en place de mesures de sécurité suffisantes en amont de la toute première marche des Fiertés dans la ville, la KharkivPride March, le 15 septembre 2019. Les manifestants ont été agressés par des contre-manifestants et certains ont été pourchassés, frappés et blessés par des membres de groupes prônant la discrimination et se livrant systématiquement à la violence. Les autorités locales ont manqué à leur devoir de garantir que chacun puisse exercer ses droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique lors de la marche des Fiertés, sans discrimination ni crainte de représailles. Alors que la police ukrainienne a protégé efficacement les marches des Fiertés à Kiev et Odessa, ainsi que les rassemblements en faveur des droits des femmes à travers le pays cette année, ce ne fut pas le cas à Kharkiv. Ce fut un nouvel échec s’agissant de combattre la violence et l’impunité quasi-totale dont jouissent les groupes « d’extrême-droite » en Ukraine.
Le 15 septembre, entre 2 000 et 3 000 manifestants pacifiques se sont rassemblés dans le centre de Kharkiv pour soutenir les droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI). Certains ont été la cible d’actes d’intimidation et de violences en chemin pour s’y rendre. Une militante a raconté à Amnistie internationale qu’un groupe de six hommes est entré dans le café où elle s’était installée avec d’autres militants. L’un des hommes a arraché les pancartes qu’ils avaient préparé pour la marche, a fait des remarques désobligeantes et s’est dirigé vers la sortie. Lorsqu’elle s’est interposée, lui a demandé de lui rendre les pancartes et a tenté d’appeler la police, il l’a prise à la gorge, l’a repoussée et est sorti.
Alors que les participants à la marche des Fiertés se rassemblaient, ils ont été séparés des contre-manifestants (plusieurs centaines au total) par la police. Néanmoins, les contre-manifestants leur ont lancé des œufs, à faible distance, par-dessus le cordon de policiers. Après avoir marché quelques centaines de mètres, les coordinateurs de la manifestation ont demandé de plier les banderoles et autres supports et de quitter le rassemblement en rejoignant une station de métro toute proche. Un témoin a déclaré qu’à ce moment-là, un groupe de contre-manifestants violents a brisé le cordon de police et s’est dirigé vers les participants. Elle a également entendu une explosion à proximité. De nombreuses personnes dans la foule, confuses et désorientées, se sont mises à courir. Il n’y avait clairement aucun moyen de quitter le rassemblement en sécurité. Alors qu’elle courait se mettre à l’abri, elle a vu un groupe de policiers qui se contentaient de regarder, riant de la scène. Elle a couru vers un autre groupe de policiers pour leur demander ce qu’elle-même et les autres participants à la marche des Fiertés devaient faire. L’un d’entre eux lui a répondu : « Va là-bas », en indiquant la direction du groupe qui avait brisé le cordon de police.
Si certains participants à la marche ont pu se mettre en sécurité en utilisant les transports publics, d’autres ont été pourchassés et attaqués alors qu’ils rentraient chez eux. Cette pratique – dite tactique du « safari » – est bien connue et très répandue parmi les groupes violents. Elle consiste à suivre les militants des droits des LGBTI, généralement vers des lieux isolés hors de vue de la police et de témoins, et à les agresser ensuite brutalement. En l’absence d’une protection efficace et de moyens prévus pour se retirer lors d’événements en faveur des droits des LGBTI, cette pratique fait courir de graves risques aux participants. Les images vidéo d’au moins une attaque de ce type, contre un homme qui revenait de la marche des Fiertés de Kharkiv, sont largement diffusées sur Internet. Il a été pourchassé par une foule, poussé à terre et roué de coups de pied et de poing d’une brutalité effrayante[1]. La plupart de ses assaillants sont clairement identifiables dans cette vidéo. Amnistie internationale a également reçu des informations faisant état d’événements similaires.
Quelques semaines avant la marche, les autorités de Kharkiv ont indiqué qu’elles avaient l’intention d’empêcher l’événement d’avoir lieu. En particulier, les membres du Conseil municipal de Kharkiv ont déclaré qu’ils allaient demander une injonction de la cour contre la marche prévue et il a fallu attendre le 9 septembre pour que les conseillers décident finalement de ne pas donner suite à cette mesure.
À la fin, plusieurs participants à la marche étaient grièvement blessés, certains à la tête, selon des informations fournies par des témoins oculaires. En outre, de nombreuses informations confirment que des policiers ont affiché des attitudes homophobes ou tenu des propos homophobes. La marche des Fiertés de Kharkiv a révélé toute une série de défaillances manifestes de la part des autorités. Les violences étaient prévisibles et attendues, et plusieurs groupes bien connus prônant la discrimination avaient fait connaître leur intention de perturber la marche des Fiertés avant l’événement.
Si la police était présente, force est de constater le manque de travail de renseignement et de préparation en amont, de stratégie et de tactique pour protéger les participants contre la violence des contre-manifestants. Les mesures de sécurité se sont avérées extrêmement faibles, se limitant manifestement à une simple séparation entre les militants des droits des LGBTI et leurs opposants lors de la marche. En fait, des témoins ont confirmé que certains membres bien connus de groupes violents ont pu franchir les contrôles de police en se servant de cartes de presse et se joindre aux participants à la marche ; ils ont alors pu prendre librement leurs photos depuis l’intérieur du groupe. Les opposants aux droits des LGBTI ont réussi à profiter de la principale vulnérabilité des militants, à savoir l’absence de possibilité pour eux de se mettre à l’abri, et se sont livrés à des actes d’intimidation et de violence.
Il est primordial que les autorités tirent les leçons de la marche des Fiertés de Kharkiv et prennent des mesures immédiates afin de remédier aux erreurs du passé et de garantir leur non-répétition à l’avenir. Au niveau national, les autorités ukrainiennes doivent faire face à la montée des groupes qui prônent la discrimination et mettre fin à l’impunité pour ceux qui se livrent à des crimes et des violences motivés par les préjugés et la haine. Concernant les événements du 15 septembre à Kharkiv, il faut tout mettre en œuvre pour recenser tous les épisodes de violence, et identifier et amener à rendre des comptes les responsables de tels actes – commis pendant la marche et juste après lorsque les participants ont été agressés alors qu’ils rentraient chez eux. En outre, il faut encourager et aider les victimes et les témoins de ces agressions à les signaler et leur offrir en contrepartie des assurances fermes et effectives quant à leur sécurité et leur protection. De même, les autorités ukrainiennes doivent mettre en œuvre un programme de protection des témoins et l’étendre à toutes les personnes qui sont prêtes à signaler et fournir des informations sur les faits d’intimidation et d’agressions contre les défenseurs des droits des LGBTI. La police devrait aussi examiner de près l’adéquation et l’efficacité de ses préparatifs de sécurité avant, et de ses actions pendant, les événements du 15 septembre à Kharkiv, et prendre des mesures fermes pour réparer les erreurs commises. Enfin, elle doit enquêter sur toutes les allégations de propos et d’attitudes homophobes parmi les policiers, et prendre les mesures disciplinaires et autres qui s’imposent contre ceux qui en sont responsables. Les autorités dans leur ensemble doivent donner des assurances véritables et efficaces de non-répétition pour les défaillances identifiées.