Vladimir Poutine donne carte blanche à la Tchétchénie pour persécuter les personnes LGBTI
Natalia Priloutskaïa, chercheuse sur la Russie à Amnistie Internationale
Pour la deuxième fois en moins de deux ans, en Tchétchénie, une violente répression s’abat sur les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI), qui craignent désormais pour leur vie. Cette semaine, l’ONG Russian LGBT Network a confirmé les informations selon lesquelles les autorités tchétchènes ont de nouveau procédé à l’arrestation de nombreux gays et lesbiennes présumés, les ont détenus et torturés.
Selon des sources protégées par l’ONG, une quarantaine de personnes ont été arrêtées depuis le mois de décembre et au moins deux sont mortes des suites de tortures. En outre, la police aurait exigé que les familles des gays et des lesbiennes se livrent à des crimes « d’honneur » contre leurs proches et en fournissent la preuve.
Ces informations glaçantes s’inscrivent dans la continuité de la « purge homosexuelle » de 2017, au cours de laquelle des centaines d’hommes ont été arrêtés et torturés. Le bilan déplorable de la Tchétchénie en matière de droits humains avait alors bénéficié de l’attention de la communauté internationale.
L’an dernier, je me suis rendue à plusieurs reprises dans la capitale tchétchène Grozny. À chaque fois, j’ai été frappée par le contraste qu’offrent les gratte-ciel de verre lumineux, les boutiques de luxe et les cafés tendance bordant les rues de la ville avec le parfum de peur qui flotte dans l’air. Dans les discussions, chacun fait soigneusement attention aux mots qu’il utilise.
Organiser des rencontres avec des militants des droits humains suppose une préparation complexe pour garantir leur anonymat et leur sécurité. Les enjeux sont d'une extrême gravité : le leader tchétchène Ramzan Kadyrov orchestre depuis des années une campagne de harcèlement, d’intimidation et de violence contre les défenseurs des droits humains. Plusieurs défenseurs renommés ont été tués en raison de leur travail, tandis que d’autres croupissent en prison.
Ceux qui recensent les attaques contre les LGBTI font preuve d’un courage inimaginable, risquant d’être arrêtés, torturés, maltraités voire tués s’ils sont identifiés.
Derrière les façades miroitantes des nouveaux buildings qui ne cessent de jaillir à travers Grozny, les murs des logements, des boutiques et des bureaux sont envahis par les portraits de Ramzan Kadyrov. Il est quasi impossible de regarder la télévision ou d’écouter la radio sans entendre son nom.
C’est une parfaite métaphore de la peur du leader qui s’insinue dans tous les aspects de la vie en Tchétchénie et de la manière dont son régime absolu piétine la loi et l’ordre à l’intérieur de la république. Quiconque ose se plaindre de représentants de l’État ou de leur politique encourt l’humiliation publique ou bien pire. Il n’est pas rare que les dissidents soient contraints de présenter des excuses à la télévision, voient leur maison incendiée ou fassent l’objet d’accusations pénales forgées de toutes pièces.
Avec le visage de Ramzan Kadyrov affiché partout, on oublie aisément lors d’un séjour à Grozny que la Tchétchénie fait partie de la Fédération de Russie, signataire de nombreux traités internationaux relatifs aux droits humains. Lorsque des informations ont émergé sur la répression de 2017, des militants des droits humains et des journalistes russes ont fait appel aux autorités fédérales, réclamant une enquête et une action immédiate pour protéger la vie des LGBTI en Tchétchénie.
Maxim Lapounov, le seul qui ait pour l’instant évoqué publiquement son calvaire, a porté plainte contre les autorités russes en septembre 2017. Il a raconté avec force détails sa détention pendant 12 jours dans une cellule couverte de sang, les policiers qui l’ont roué de coups de bâton et lui ont placé un sac plastique sur la tête.
En novembre 2018, après des mois de déni et de faux-fuyants, les autorités russes ont déclaré qu’elles n’étaient pas en mesure de confirmer les allégations de Maxim Lapounov et ont refusé d’ouvrir une information judiciaire sur ses allégations.
Ce coup dur porté à la justice fut un signal d’alarme pour de nombreux militants en Tchétchénie, conscients qu’en l’absence d’obligation de rendre des comptes, ce n’était qu’une question de temps avant que les autorités tchétchènes ne commettent de nouvelles atrocités. Hélas, on sait déjà qu’ils avaient raison.
En décembre 2018, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a publié un rapport dans lequel elle accusait la Russie de soustraire les responsables tchétchènes à tout examen. Ramzan Kadyrov sait qu’il a le champ libre lorsqu’il s’agit de bafouer les droits humains.
Toutefois, après la répression de 2017, l’attention soutenue de la communauté internationale a permis de faire cesser temporairement les arrestations – les autorités tchétchènes et russes ne sont donc pas insensibles à toute critique. La communauté internationale peut jouer un rôle important et faire pression sur les élites politiques afin qu’elles reconnaissent leurs crimes et prennent des mesures efficaces pour traduire les responsables présumés en justice.
En 2017, le Russian LGBT Network, avec l’aide d’autres ONG, a contribué à évacuer des centaines de personnes hors de Tchétchénie et parfois à assurer leur réinstallation ailleurs. Plusieurs pays, dont le Canada, la France, l’Allemagne et la Lituanie, ont accordé l’asile à des dizaines d’entre elles, se singularisant ainsi par leur générosité, alors que d’autres gouvernements se montraient réticents ou trop lents à offrir une protection.
Cette fois-ci, les gouvernements doivent se tenir prêts à accélérer la procédure d’asile, pour que toute personne qui souhaite quitter la Tchétchénie puisse le faire rapidement et en sécurité. Surtout, ils doivent faire clairement savoir aux autorités tchétchènes qu’ils gardent les yeux ouverts et que ces crimes terribles ne se déroulent pas sans témoins.
Natalia Priloutskaïa est chercheuse sur la Russie à Amnistie Internationale. Les points de vue et les opinions exprimés dans des articles ne reflètent pas nécessairement la position du Moscow Times.