Une lueur d’espoir après une année mouvementée pour les droits humains
Lorsque la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) a été adoptée le 10 décembre 1948, le monde était dans un état désastreux. Le souvenir de la violence de la Seconde Guerre mondiale étant encore vif dans leur esprit, les membres représentant les États parties devant les Nations unies étaient déterminés à faire de la dignité humaine l’un des piliers de la construction d’une reconnaissance mondiale des droits humains. Le préambule de la DUDH reconnaît explicitement que la dignité inhérente à chaque être humain ainsi que l’égalité et l’inaliénabilité des droits humains sont « le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». En 2018, 70 ans après l’adoption de la DUDH, de nombreuses personnes dans le monde voient encore leur dignité humaine mise à mal et anéantie. Aujourd’hui comme à l’époque, de nombreuses personnes ont du mal à garder l’espoir d’un monde dans lequel les droits et la dignité de chaque être humain sont universellement protégés.
Malgré tout, alors que l’année 2018 touche à sa fin, cet espoir survit en dépit des tentatives, aux quatre coins du monde, de faire reculer, de dévaloriser et de dissoudre les engagements en matière de droits humains pris il y a 70 ans par la communauté internationale. L’une de ces lueurs d’espoir vient des Maldives, un archipel de l’océan Indien.
Aux Maldives, le début de l’année 2018 a été marqué par de violentes tentatives de faire reculer les engagements du pays en matière de droits humains et de dignité humaine. Au cours des années précédentes, les violations des droits humains présumées commises par des institutions de l’État ou à la demande de celles-ci ont été ignorées et l’impunité était endémique. Le meurtre du blogueur Yameen Rasheed, l’enlèvement du journaliste Ahmed Rilwan et les non moins de dix morts en détention depuis août 2016 figurent parmi les plus graves violations qui ont illustré la situation déplorable en matière de droits humains dans ce pays. Lorsqu’Abdulla Yameen, alors président des Maldives, a déclaré l’état d’urgence en février 2018, il semblait peu probable que les violations des droits humains fassent l’objet d’enquêtes, et moins probable encore que les responsables présumés de ces agissements soient traduits en justice. Poussé par la décision de la Cour suprême de libérer neuf responsables politiques condamnés par la justice, le président a déclaré l’état d’urgence et a fait arrêter le président de la Cour suprême Abdulla Saeed ainsi qu’Ali Hameed, un autre juge de la Cour suprême. Cela a entraîné l’annulation de la décision par les autres juges de la Cour suprême, le gouvernement ayant usé de répression pour faire taire l’opposition politique. Des manifestations de masse aux Maldives ont été rapidement réprimées à leur tour et des manifestants pacifiques ont été arrêtés arbitrairement. Au cours des semaines suivantes, d’autres personnes ont été arrêtées, notamment Maumoon Abdul Gayoom, ancien président des Maldives, et son fils, le parlementaire Faris Maumoon.
Aux Maldives, la police et les autorités pénitentiaires tiennent entre leurs mains la vie des personnes arrêtées. Selon les experts du Comité des Nations unies contre la torture, les Maldives affichent le septième taux d’incarcération le plus élevé au monde (taux d’incarcération calculé par habitant). Dix morts en détention ont été recensées depuis 2016, dont plusieurs seraient dues à des soins médicaux administrés trop tard ou à des raisons inconnues. Le 4 juillet 2018 encore, le Maldivien Hamzath Ahmed Fathuhy est mort des suites d’un accident vasculaire cérébral alors qu’il était détenu à la prison de Maafushi. Il s’agit du dixième décès enregistré en prison depuis 2016. Il avait 38 ans. Il aurait été examiné par un médecin au sein de la prison, mais n’aurait été conduit à l’hôpital que cinq heures plus tard. Le 2 juillet 2018, deux jours seulement avant le décès de Hamzath Ahmed Fathuhy, Ali Abdulla est mort en prison, lui aussi pour des raisons inconnues. Il souffrait d’hypertension et d’une malformation cardiaque congénitale. Il s’était plaint à ses proches d’être privé de soins médicaux et leur avait demandé de lui fournir des médicaments la veille de sa mort. Il avait 30 ans. Bien que de précédents cas de décès en prison, comme celui d’Abdulla Rasheed en 2017, aient entraîné l’ouverture d’une enquête par la Commission des droits humains des Maldives, les rapports et les résultats des enquêtes menées n’ont pas été rendus publics. En 2009, le rapport sur la visite aux Maldives du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a soulevé un certain nombre de points d’inquiétude au sujet des droits fondamentaux des détenus, notamment le fait que des personnes n’ayant suivi aucune formation médicale soient responsables de décider si un détenu sera examiné par un médecin. En mai 2007, Leandro Despouy, alors rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats, avait également souligné dans son rapport le manque d’accès des détenus aux services médicaux.
C’est dans ce contexte que s’est déroulée l’élection présidentielle de septembre 2018, dont l’issue a ouvert une nouvelle voie pour les droits humains aux Maldives. Le président Ibrahim Solih a été élu après avoir centré sa campagne sur une série d’engagements concernant le respect des droits humains, notamment la libération, dès son élection, de personnes détenues pour des raisons politiques. Au cours de la semaine ayant suivi l’annonce des résultats du suffrage, l’ancien président Maumoon Abdul Gayoom et son fils Faris Maumoon ont été libérés sous caution. La déclaration de culpabilité de l’ancien président Mohamed Nasheed pour terrorisme, prononcée au cours du mandat d’Abdulla Yameen, a également été suspendue en octobre 2018, puis annulée par la Cour suprême seulement un mois plus tard.
En novembre 2018, nous avons également accueilli avec soulagement la libération de Lahiru Madhushanka, un jeune Sri Lankais, par ordre du tribunal pénal. Il était incarcéré aux Maldives depuis trois ans, accusé aux côtés de l’ancien vice-président Ahmed Adeeb et plusieurs autres personnes de conspiration en vue d’assassiner l’ancien président Abdulla Yameen. Lahiru Madhushanka affirme avoir été soumis à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements, parmi lesquels l’isolement cellulaire prolongé et la privation de soins médicaux. Il est retourné au Sri Lanka après avoir été libéré le 22 novembre 2018, et toutes les poursuites engagées contre lui ont été abandonnées faute de preuves. Lahiru Madhushanka n’est toutefois qu’une personne parmi plus d’un millier d’autres qui restent privées de leur liberté aux Maldives.
Le nouveau gouvernement devra relever de nombreux défis dans le cadre de la réforme du système judiciaire pénal et du système carcéral. Au vu de la manière dont l’opposition a été emprisonnée ou exilée au cours des dernières années, il y a des chances qu’il s’agisse de l’un des projets prioritaires du gouvernement. En novembre 2018, les Maldives se sont engagées devant le Comité des Nations unies contre la torture à maintenir le moratoire de 65 ans sur la peine de mort, auquel Abdulla Yameen avait menacé de mettre fin, ainsi qu’à « étudier très attentivement la question de l’abolition de la peine de mort, augmenter l’âge de la responsabilité pénale à 18 ans et mettre pleinement en œuvre et faire respecter » plusieurs lois liées aux violences et aux discriminations liées au genre.
Les Maldives concluent l’année 2018 en envoyant un fort message d’espoir pour les droits humains et la dignité humaine. Non seulement cela met au défi une tendance inquiétante d’attaques contre les droits humains dans de nombreux pays d’Asie du Sud, comme l’Inde, le Bangladesh, l’Afghanistan et le Pakistan (pour n’en citer que quelques-uns), mais cela envoie également un message à ces grands et puissants États : celui que l’espoir est toujours permis et que les droits humains peuvent encore l’emporter. Bien que les droits humains restent menacés par de nombreux gouvernements qui s’appuient sur une politique de diabolisation pour mener leur attaque, les Maldives peuvent réellement représenter un nouvel élan d’espoir. Certes, les défis qui attendent le président Ibrahim Solih seront difficiles à relever, mais le chemin de la réforme est clairement défini et les mesures prises jusque-là montrent un engagement envers les droits humains et la dignité humaine qui doit être renforcé afin de faire sortir le pays de cinq ans de détérioration continue de la situation en matière de droits humains.
Par Dinushika Dissanayake, directrice régionale adjointe pour l’Asie du Sud à Amnistie internationale