Seul un tribunal civil peut rendre justice pour la mort d'Alaa Abou Fakhr
L'homicide du manifestant pacifique Alaa Abou Fakhr est une violation des droits humains qui doit faire l'objet d'une enquête menée par la justice civile, et non par la justice militaire, a déclaré Amnistie internationale jeudi 14 novembre 2019. Des manifestations silencieuses en hommage à cet homme se sont tenues dans tout le pays le 13 novembre.
« La famille d'Alaa Abou Fakhr a le droit de connaître toute la vérité sur ce qu'il lui est arrivé et de voir les responsables présumés de sa mort déférés à la justice. Seul un tribunal pleinement indépendant peut rendre justice à Alaa et à sa famille, et faire ainsi clairement savoir, à l'heure où les manifestations se poursuivent, que nul ne saurait échapper à son obligation de rendre des comptes », a déclaré Heba Morayef, directrice pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnistie internationale.
« Nous appelons les autorités libanaises à confier immédiatement cette enquête à la justice civile. »
Le 12 novembre 2019, un véhicule militaire est passé à côté d'une foule de manifestant·e·s pacifiques à Khaldé, ville côtière située au sud de la capitale, Beyrouth. À un moment, un militaire a tiré en l'air, puis a tiré une balle dans la tête d'Alaa Abou Fakhr, manifestant de 39 ans, père de trois enfants. Celui-ci a été conduit à l’hôpital, mais il est mort peu après. Dans la soirée, le commandement des forces armées libanaises a annoncé que le procureur militaire avait reçu l'ordre d'enquêter sur les circonstances de ce décès. Le lendemain, l'armée a indiqué dans une deuxième déclaration que les services de renseignement militaire avaient enquêté et déféré le premier adjudant Charbel Hajeel à « la justice compétente dans cette affaire ».
Dans un autre incident survenu le 26 octobre 2019 à Beddawi, ville du nord du Liban, les forces militaires ont utilisé des balles en caoutchouc et des balles réelles pour disperser un sit-in pacifique qui bloquait l'une des artères principales de la ville. Leur intervention a fait au moins deux blessés graves parmi les manifestant·e·s. Un peu plus tard dans la journée, l'armée a déclaré qu'elle avait ouvert le feu à balles réelles pour « se défendre » face aux manifestant·e·s qui attaquaient les militaires avec « des pierres et des fusées de feu d'artifice », blessant cinq soldats. Elle ajoutait dans cette déclaration avoir saisi le tribunal militaire pour qu'il enquête sur ces événements.
En vertu des Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, les forces de l'ordre ont l'obligation de recourir à des moyens non violents avant de faire usage de la force. Si celle-ci s'avère inévitable, elles « en useront avec modération et leur action sera proportionnelle à la gravité de l'infraction ». Les armes à feu ne peuvent être utilisées qu'« en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave » et les responsables de l'application des lois « ne recourront intentionnellement à l'usage meurtrier d'armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines ».
Aux termes du droit international relatif aux droits humains, la compétence des tribunaux militaires en matière pénale doit se limiter aux procès de militaires poursuivis pour des infractions disciplinaires. Si l'infraction revêt un caractère délictueux en vertu du droit relatif aux droits humains, le droit à un procès équitable doit être respecté. En outre, l'accès aux audiences des tribunaux militaires est restreint et le droit de recours dans les affaires jugées par ces tribunaux est limité.
« La mort d'Alaa Abou Fakhr et les blessures infligées à des manifestants à Beddawi sont des violations des droits humains qui ne peuvent être instruites que par la justice civile. Le droit d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial serait bafoué si l'enquête était confiée à la seule justice militaire », a déclaré Heba Morayef.