• 8 déc 2025
  • Népal
  • Communiqué de presse

Népal. Le gouvernement doit garantir l’obligation de rendre des comptes pour les homicides illégaux et le recours à la force durant les manifestations de la Gen Z

Les manquements généralisés des organes népalais chargés de l’application des lois dans le cadre du maintien de l’ordre lors des manifestations de la « Génération Z », en septembre, se sont soldés par des homicides illégaux, un recours injustifié et excessif à la force, et de graves blessures, écrit Amnistie internationale dans une nouvelle synthèse. 

Ce document, intitulé "We went there to raise our voice, not to be killed": Nepal's Deadly Crackdown on Protesters, montre que les forces de sécurité ont employé une force de plus en plus intense et au bout du compte meurtrière – utilisant notamment des munitions réelles - contre des manifestant·e·s en grande partie pacifiques lors du rassemblement à Katmandou le 8 septembre, durant lequel au moins 19 personnes ont été tuées et plus de 300 blessées. À travers le pays, ces manifestations ayant duré deux jours, ainsi que les six jours de troubles ayant suivi, ont fait 76 morts et plus de 2 000 blessés. 

« La réaction violente et illégale du gouvernement face à des jeunes exerçant leur droit à la liberté de réunion pacifique reflète un mépris choquant et cruel pour les droits humains. Les personnes ayant commandité, autorisé ou perpétré ces abus, quels que soient leur rang ou leur poste, doivent être traduites en justice dans le cadre d’une procédure juste et transparente », a déclaré Nirajan Thapaliya, directeur d’Amnistie internationale Népal. 

Amnistie internationale a confirmé la véracité de témoignages, d’éléments photographiques et vidéo, et a recueilli les propos de professionnel·le·s de la santé, de manifestant·e·s, de personnes ayant observé les manifestations, de responsables de leur organisation et de journalistes. Les conclusions mettent en évidence une série de manquements systémiques dans les opérations de maintien de l’ordre lors des rassemblements, notamment : le fait de ne pas avoir épuisé les solutions non violentes avant de recourir à la force ; un recours dangereux et illégal à des armes à létalité réduite ; une planification, une préparation et une formations insuffisantes pour le maintien de l’ordre lors de manifestations ; un recours injustifié et illégal à la force meurtrière dans des situations où il n’existe aucun risque imminent de blessure grave ou de mort. 

Ces agissements ont bafoué les droits à la liberté de réunion pacifique et d’expression garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 

Durcissement de la force employée face aux manifestant·e·s pacifiques 

La synthèse décrit comment, après que les manifestations se sont initialement déroulées sans incident, les tensions se sont accrues lorsqu’une partie de la foule a démantelé une barricade de police érigée afin d’empêcher l’accès au bâtiment du Parlement fédéral, à moins de 500 mètres de là. 

Les forces de sécurité ont réagi en déployant un canon à eau, utilisant dans certains cas des jets à haute pression à faible distance contre les manifestant·e·s, d’une manière suscitant de graves inquiétudes quant au respect des principes de nécessité et de proportionnalité inscrits dans les normes internationales relatives aux droits humains. Le recours à la force s’est rapidement intensifié au cours des heures suivantes, certains témoins décrivant des scènes de panique et de chaos quand les forces de sécurité ont durci leur réaction. 

Selon des témoins, des grenades lacrymogènes ont été lancées depuis des positions élevées, une pratique extrêmement dangereuse bafouant les Lignes directrices des Nations unies sur les armes à létalité réduite. Certaines ont été lancées à l’intérieur et à proximité de locaux hospitaliers, et ont perturbé les services médicaux d’urgence. Des professionnel·le·s de la santé ont signalé que du gaz lacrymogène a été répandu à l’intérieur et à proximité de locaux hospitaliers, causant des difficultés respiratoires chez des patients, des enfants et des personnes âgées n’ayant pas participé à la manifestation. 

Des projectiles à impact cinétique, notamment des balles en caoutchouc et des balles métalliques recouvertes de caoutchouc, ont été tirés directement sur des foules denses sans avertissement et sans véritable tentative de désamorcer la situation, atteignant des personnes dont certaines n’avaient pas plus de 14 ans. Des médecins ayant traité les blessé·e·s ont confirmé que des balles en caoutchouc ont dû être retirées du crâne de plusieurs personnes. 

Une utilisation aussi abusive d’armes à létalité réduite constitue une violation des normes internationales relatives aux droits humains telles que les Principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, et les Lignes directrices des Nations Unies basée sur les droits de l’homme portant sur l’utilisation des armes à létalité réduite dans le cadre de l’application des lois, ainsi que de la Loi népalaise relative à l’administration locale. 

Recours illégal à la force meurtrière 

Amnistie internationale a également constaté une escalade rapide du recours à la force, avec l’utilisation illégale de balles réelles. 

Un journaliste qui couvrait la manifestation près de l’entrée du Parlement a déclaré : « Les tirs ont commencé tous azimuts - depuis l’enceinte du Parlement, de l’extérieur, et en provenance d’unités armées proches du portail principal ». 

Dans leurs témoignages, des travailleurs de santé et des personnes blessées ont décrit des lésions infligées par des balles à des organes vitaux. Les forces de sécurité ont tiré sur la foule - notamment sur des manifestant·e·s, des mineur·e·s, des passant·e·s et des journalistes - touchant des personnes à la tête, au cou et à la poitrine. 

Un médecin hospitalier où un grand nombre des blessé·e·s ont été soignés a déclaré : 

« Dans les situations caractérisées par un afflux massif de patient·e·s, on compte en général un nombre relativement restreint de cas graves, et davantage de cas d’une gravité faible ou modérée, avec seulement quelques décès. Nous sommes préparés à ce genre de situation. On s’attend généralement à 10 à 20 % de cas graves. Mais cette fois-ci c’était l’inverse - il y avait bien plus de personnes grièvement blessées, peut-être 50 à 60 %. » 

Un autre médecin qui s’était occupé de manifestant·e·s blessés a déclaré : « Certains présentaient des lésions à la tête et à la poitrine qui avaient été causées par des tirs d’armes à feu, d’autres des blessures à l’abdomen et au niveau des principaux vaisseaux sanguins engageant leur pronostic vital [...] Vers 14 heures, les urgences n’avaient jamais connu pire - du sang partout, des patient·e·s qui perdaient connaissance, des médecins et des infirmières travaillant sans s’arrêter. On avait l’impression d’être dans une boucherie. » 

Amnistie internationale a rassemblé des éléments attestant un recours à la force meurtrière par la police dans des circonstances qui n’impliquaient pas de danger imminent de mort ou de blessures graves, donnant lieu à une privation arbitraire de la vie. 

L’utilisation délibérée ou inconsidérée de munitions réelles, de projectiles à impact cinétique, de canons à eau et de gaz lacrymogène contre des manifestant·e·s largement pacifiques ne peut être justifiée sous aucune circonstance. 

« Les jeunes tués et blessés durant le soulèvement Gen Z méritent vérité et justice. En s’abstenant de garantir l’établissement des responsabilités pour des violations des droits humains commises lors de manifestations passées, les gouvernements successifs ont permis à l’impunité de prendre racine et compromis l’état de droit. Les autorités ne doivent pas répéter les erreurs du passé et abandonner les victimes. Faute d’obligation de rendre des comptes, et à moins que le Népal ne réforme en urgence ses pratiques en matière de maintien de l’ordre, les conditions ayant permis ces homicides illégaux persisteront, mettant les futurs rassemblements et des vies en danger », a déclaré Nirajan Thapaliya. 

Amnistie internationale a demandé au gouvernement : de revoir son approche globale de la réaction aux rassemblements ; de garantir que la police favorise la tenue de manifestations pacifiques ; et de modifier les lois nationales, notamment celles qui portent sur le maintien de l'ordre, de sorte qu’elles respectent pleinement les normes internationales relatives aux droits humains. 

Complément d’information 

La synthèse d’Amnistie internationale porte sur les événements survenus le premier jour des manifestations, le 8 septembre. Si les épisodes des jours suivants ne sont pas couverts par cette synthèse, Amnistie internationale condamne le recours à la violence collective contre les personnes et les biens immobiliers, qui a causé des morts, des blessures et de graves dégâts dans le cadre des troubles plus larges de septembre 2025. Les autorités doivent mener une enquête digne de ce nom, approfondie, indépendante et impartiale sur ces actes de violence et faire preuve de la diligence requise pour identifier les auteurs présumés de ces actes, qui doivent être traduits en justice, dans le cadre de procès conformes aux normes d’équité.