Un avocat des droits humains visé par de fausses accusations
Vives inquiétudes concernant des détenus torturés, voire tués
Les autorités de Guinée équatoriale ont désigné dans un mandat d’arrêt visant 16 personnes un avocat anticorruption français, vraisemblablement en représailles à sa participation dans un procès pour blanchiment d’argent contre le fils aîné du président, ont indiqué neuf organisations de défense des droits humains et de lutte contre la corruption vendredi 15 février.
Le mandat accuse les 16 personnes visées de blanchiment d’argent et d’aide au financement « du terrorisme et de la prolifération du trafic d’armes en Afrique centrale ».
Parmi elles figurent également des personnes déjà détenues par la police, accusées d’avoir participé à une tentative de coup d’État en décembre 2017. Elles n’ont pas pu communiquer avec leurs familles ni avec leurs avocats depuis leur arrestation, ce qui suscite de vives inquiétudes quant à leur risque de torture et d’autres formes de mauvais traitements, et dans certains cas pour leur droit à la vie, ont déclaré les organisations.
« Les autorités de Guinée équatoriale ne reculent devant rien pour protéger le fils du président des allégations crédibles indiquant qu’il a détourné plus de 100 millions d’euros (113 millions de dollars américains) de fonds publics pour vivre dans le luxe à Paris, a déclaré Tutu Alicante, directeur d’EG Justice, une organisation qui œuvre pour les droits humains et la transparence en Guinée équatoriale.
« Il semble à présent qu’elles inventent des accusations pour se venger de ceux qui ont aidé un tribunal français à le condamner pour ses agissements. »
Les organisations signataires sont Human Rights Watch, EG Justice, Sherpa, Amnistie internationale, la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF), la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, Corruption Watch UK, Rights and Accountability in Development, et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme.
Le ministère de la Sécurité nationale de Guinée équatoriale a publié le 23 janvier un communiqué accusant ces 16 personnes de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Dans cette liste figurait William Bourdon, l’avocat qui a fondé l’ONG française Sherpa, vouée à la lutte anticorruption par le biais de la justice, et qui a été le fer de lance de procès intentés en France contre les proches de plusieurs chefs d’État accusés de détournement de fonds publics. Le communiqué du ministère ne fournit aucun élément à l’appui de ses allégations.
« Ce à quoi nous assistons en ce moment en Guinée équatoriale n’est pas nouveau, mais s’inscrit dans la pratique de longue date des autorités consistant à faire taire les critiques. Régulièrement, elles harcèlent, intimident et détiennent arbitrairement des défenseurs des droits humains, des avocats, des membres de l’opposition politique et toute autre personne qui ose dénoncer les violations commises par le gouvernement », a déclaré Marta Colomer, chargée de campagne pour l’Afrique de l’Ouest à Amnistie internationale.
En 2008, Sherpa a porté plainte au pénal au nom de Transparency International France contre Teodorin Nguema Obiang, le fils du président de la Guinée équatoriale, qui était à l’époque ministre des Forêts, en l’accusant d’avoir dépensé en France plus de 100 millions d’euros (113 millions de dollars américains) dérobés au Trésor public équato-guinéen pour s’acheter un hôtel particulier, des voitures luxueuses, des œuvres d’art, des bijoux et d’autres articles de luxe. La loi française permet aux organisations de la société civile de déposer plainte au pénal.
En 2017, un tribunal français a condamné Teodorin Nguema Obiang par contumace à trois ans de prison avec sursis et 30 millions d’euros (34 millions de dollars américains) d’amende. Le gouvernement de Guinée équatoriale a défendu de façon agressive Teodorin Nguema Obiang, allant jusqu’à le nommer vice-président peu après le renvoi de l’affaire en jugement par le tribunal et poursuivre la France devant la Cour internationale de justice, en affirmant que le pays avait bafoué son immunité diplomatique. Les poursuites engagées contre les personnes à l’origine du procès semblent viser à se venger d’elles et à discréditer encore cette procédure.
Au moins deux des personnes désignées dans le mandat d’arrêt – Onofre O. Otogo Ayecaba et Hector-Santiago Ela Mbang – ont été arrêtées par la police en Guinée équatoriale le 28 décembre 2017, au lendemain d’une tentative manquée de coup d’État. Elles ont été placées en détention en même temps que des dizaines d’autres accusées d’avoir pris part à cette tentative. Leur procès pour ces faits est prévu dans les semaines à venir, même si des informations crédibles laissent craindre que les deux hommes n’aient été tués en détention.
Un avocat représentant Hector-Santiago Ela Mbang et neuf autres détenus a indiqué aux organisations qu’aucun avocat ni aucun proche n’avait été autorisé à communiquer avec eux depuis leur arrestation, et que leurs avocats n’avaient pas été informés de l’évolution judiciaire de l’affaire. Puis, le 11 février, un média indépendant a annoncé que le corps d’Onofre O. Otogo Ayecaba avait été remis à sa famille par les autorités.
Peu après l’arrestation d’Hector-Santiago Ela Mbang, celui-ci a été contraint de faire une déclaration à la télévision publique mettant en cause des personnes précises dans la tentative de coup d’État. Son avocat a déclaré que le gouvernement n’avait pourtant pas reconnu la détention de son client. Il craint maintenant qu’Hector-Santiago Ela Mbang ne soit décédé également et que son nom n’ait été inscrit sur le mandat d’arrêt pour permettre au gouvernement d’affirmer qu’il n’est pas en détention, mais en fuite.
L’inquiétude est d’autant plus forte que des allégations crédibles ont fait état de torture et de mort en détention dans une autre affaire récente concernant des membres de l’opposition politique. En décembre 2017, peu après la tentative de coup d’État, la police a arrêté 147 membres du parti d’opposition Citoyens pour l’innovation (CI), dont beaucoup affirment avoir été torturés en détention. Deux d’entre eux sont morts en détention, et des avocats qui connaissent bien le dossier sont convaincus qu’ils ont succombé à des actes de torture.
Parmi les 13 autres personnes citées dans le mandat d’arrêt de janvier 2019, certaines tentent d’obtenir l’asile à l’étranger, tandis que le sort des autres reste indéterminé.
« Au vu du bilan déplorable des autorités équato-guinéennes sur le plan des violations des droits humains, la communauté internationale doit tirer la sonnette d’alarme quant au traitement de ces détenus, a déclaré Sarah Saadoun, spécialiste de la responsabilité des entreprises en matière de droits humains pour Human Rights Watch.
« Les ambassades de pays étrangers présentes dans le pays doivent exiger de voir les éléments justifiant le mandat d’arrêt et demander que les avocats puissent s’entretenir avec les personnes déjà placées en détention. Il faut qu’elles suivent de près cette affaire pour veiller à ce que ces personnes soient jugées équitablement. »