Damisoa : après avoir quitté nos terres frappées par la famine, nous rencontrons de nouvelles difficultés
Damisoa vient de la région Androy, à la pointe sud de Madagascar. En 2021, lui et sa famille ont été contraints de quitter leur foyer à cause de la sécheresse, aggravée par le changement climatique, qui les privait de la nourriture nécessaire à leur survie.
Les personnes déplacées par la famine qui vivent désormais dans le nord de Madagascar ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence. Or actuellement, celle-ci est presque exclusivement consacrée aux régions du sud de Madagascar, ravagées par les sécheresses.
Damisoa raconte son déplacement forcé et sa survie, et appelle le gouvernement à prendre des mesures urgentes pour lutter contre la faim, la privation de logement et le manque d’accès aux soins auxquels lui et d’autres personnes déplacées par la sécheresse à Madagascar sont confrontés.
Je n’aurais jamais dû quitter mes terres ancestrales du sud de Madagascar, mais nous étions contraints de partir. La famine frappait notre région.
Je n’avais pas grand-chose à vendre pour payer le voyage : pas de chèvre ni de zébu (bétail), alors nous avons vendu les casseroles et le mobilier de notre maison. Cela nous a permis de récolter assez d’argent pour que les 10 membres de notre famille puissent partir. Mais nous n’avons pu aller bien loin.
Nous nous sommes arrêtés à Toliara, puis à Antananarivo. À chaque fois, nous acceptions le premier travail proposé afin de réunir la somme nécessaire pour payer le prochain trajet en bus : extraction de pierres précieuses, travaux manuels, ménages et lessives. Toute la famille, y compris ma femme et mes enfants, travaillait dur pour collecter l’argent.
Finalement, nous sommes arrivés à Ambondromamy, dans la région de Boeny, du nord de Madagascar. On nous a dit que nous pouvions gagner notre vie dans la forêt en faisant du charbon de bois et en cultivant du maïs et des haricots mungo. Nous avons immédiatement commencé à cultiver la terre et à produire du charbon de bois.
Puis, les autorités sont venues. En tant que nouveaux arrivants, nous avons pris peur : en voyant leurs armes, nous avons fui. Certains d’entre nous ont été arrêtés, tandis que d’autres ont été laissés sur place.
Aujourd’hui, nous avons un endroit où vivre, mais nous continuons de souffrir
Les autorités locales ont fini par trouver une solution pour les personnes vulnérables, en nous relogeant dans de petites cases non loin, à Tsaramandroso. Elles ont construit un site où les gens peuvent vivre. Je n’ai pas amené ma famille aussi loin pour que nous mourions, mais pour assurer notre survie. Nous avons donc accepté ce nouveau lieu de vie.
Cependant, une fois installés, nous avons continué de rencontrer des difficultés. Lorsqu’on dort, on a l’impression de se trouver à l’extérieur de la case. En particulier lors de la saison des pluies (de décembre à avril), c’est comme si un orage éclatait à l’intérieur : la pluie traverse les murs et inonde notre espace de vie.
Nous sommes entourés d’eaux mortelles
Lorsque le niveau de la rivière monte, chaque année durant la saison des pluies, des personnes meurent. Il y a des monstres et des créatures invisibles dans l’eau : la rivière est infestée de crocodiles. De plus, les courants sont très forts, et certains sont morts en tentant de traverser. Nous avons donc peur et attendons que le niveau de l’eau redescende pour passer.
Nous n’avons pas de bateau pour traverser la rivière, alors nous utilisons des jerricans jaunes à la place. Nous les attachons au bout d’une longue corde de l’autre côté de l’étendue d’eau et nous tirons sur celle-ci pour atteindre la rive. Nous ne pouvons jamais savoir si le dispositif va tenir. Plusieurs personnes apportent leur aide : certaines savent nager et peuvent en aider d’autres à traverser en les portant sur leur dos.
Lorsqu’il re reste plus rien à partager, nous dormons le ventre vide
Nous n’avons plus de graines ni de nourriture. À cause de cette pauvreté, nous ignorons les risques et tentons de traverser l’eau pour trouver de quoi manger. J’ai l’impression que nous vivons dans un gouffre et non plus sur la terre. Où pouvons-nous aller, avec cette eau tout autour ?
Nous ne pourrions pas survivre sans entraide. Quand l’une des 33 familles qui vivent ici a quelque chose, elle le partage avec les autres. Lorsqu’il re reste plus rien à partager, nous dormons le ventre vide. Nous faisons bouillir des feuilles de lalanda (feuilles de patate douce sauvage) dans de l’eau salée, que nous mangeons pour survivre jusqu’au lendemain.
Nous avons peur de tomber malades
Ma sœur a accouché pendant la saison des pluies, quand le niveau de l’eau était haut. Nous n’avions pas assez d’argent pour l’emmener chez le médecin. Alors, nous avons marché pendant trois heures, traversant les eaux mortelles de la rivière pour aller voir la matrone.
Malheureusement, ma nièce est morte peu après sa naissance lorsque sa mère, affaiblie par la faim et la soif, s’est retrouvée incapable de l’allaiter.
Nous avons peur de tomber malades car nous n’avons pas d’assurance maladie. La pauvreté nous pousse à éviter soigneusement toute complication.
Nous aurions encore plus de problèmes si nous partions d’ici
Si nous restons ici, dans le nord, c’est parce que nous rencontrions encore plus de difficultés lorsque nous habitions dans nos terres ancestrales, dans le sud. Si nous quittons ce lieu, nous devrons faire face à davantage de problèmes. Si nous partons à nouveau, nous serons à nouveau déplacés vers un autre endroit, seuls, sans soutien des autorités ni aide humanitaire.
Nous préférons souffrir ici. Il vaut mieux rester avec des personnes que nous connaissons. Et les terres sur lesquelles nous vivons sont le seul endroit que le gouvernement a mis à disposition pour les personnes dans notre situation.
Nous préférons donc rester, même si c’est difficile. Nous n’avons ni charrue ni bœufs pour labourer la terre. Mais nous restons ici pour éviter de rencontrer encore plus de difficultés.
Je n’ai pas honte de demander qu’on nous traite avec humanité
En tant que chef du village, je représente la population de ce lieu. Il est important pour moi de me montrer à la hauteur de ce rôle et d’utiliser cette position pour amplifier les voix de ma communauté. Nous n’avons pas honte de notre pauvreté, qui est due à un manque de soutien de la part du gouvernement.
Nous n’avons pas honte de parler de nos difficultés. Il n’y a rien à cacher. Si nous laissons la honte nous empêcher de parler, notre peuple tout entier pourrait mourir.
Voici où nous vivons, voici où nous en sommes. Nous appelons le gouvernement à tenir compte de notre demande d’aide. Nous attendons son soutien avec impatience.
Rejoignez le combat de Damisoa pour les personnes déplacées en raison du changement climatique à Madagascar. Signez la pétition