Les autorités doivent garantir la liberté de réunion pacifique
Tandis que les rassemblements antigouvernementaux se poursuivent dans la capitale de la Géorgie, Tbilissi, les autorités doivent s’abstenir de faire usage d’une force injustifiée contre des manifestants pacifiques. Les agents des forces de l’ordre ne peuvent recourir à la force que si les moyens non violents sont peu susceptibles d’être efficaces, et ils doivent chercher à limiter autant que possible les blessures. Ils doivent faire preuve de la plus grande retenue lorsqu’ils dispersent des rassemblements pacifiques illégaux au titre de la législation nationale. Si l’usage de la force est nécessaire, celle-ci doit être proportionnée au degré de résistance des manifestants. Une force susceptible de provoquer des dommages ne peut être dirigée que contre des personnes qui se livrent à des actes de violence.
Les manifestations antigouvernementales ont éclaté le 18 novembre, après que le Rêve géorgien, le parti au pouvoir, est revenu sur sa promesse de réformer le système électoral. Des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés devant le Parlement en déclarant qu’ils allaient commencer à bloquer pacifiquement ses entrées afin que les députés ne puissent pas y accéder, à moins que le parti au pouvoir ne s’engage à tenir ses promesses et à adopter la réforme du système électoral.
À au moins deux reprises, les 18 et 26 novembre, des dizaines de manifestants ont tenté d’empêcher les députés d’entrer dans le Parlement. Dans les deux cas, malgré le froid, des unités spéciales des forces de police ont utilisé des canons à eau pour disperser les manifestants quelques heures après le début du blocage. Le 26 novembre, quatre manifestants ont été blessés et 28 ont été arrêtés en vertu du droit administratif, parce qu’ils auraient refusé d’obtempérer à des ordres de la police. Trente-sept manifestants avaient été arrêtés pour les mêmes motifs le 18 novembre.
Le médiateur géorgien a noté avec préoccupation que la détention administrative et les procès des personnes arrêtées le 18 novembre n’avaient pas respecté les « normes minimales » en la matière, ce qu’ont également signalé de nombreux observateurs locaux indépendants qui surveillent la situation des droits humains.
Selon certaines informations, des manifestants auraient été blessés lors de l’utilisation des canons à eau. Une personne aurait subi une blessure à l’œil et plusieurs factures au niveau du crâne.
Le droit international relatif aux droits humains, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention européenne des droits de l’homme, auxquels la Géorgie est partie, garantit le droit à la liberté de réunion pacifique. Les restrictions à ce droit ne peuvent être imposées que si elles sont absolument nécessaires, proportionnées et prévues par la loi, et afin d’atteindre l’un des rares objectifs autorisés.
Dans le contexte actuel, la dispersion des rassemblements devant les entrées du Parlement géorgien ne serait légitime que si les autorités étaient en mesure de montrer clairement qu’il existe un besoin social impérieux de le faire, et seulement si la manifestation avait entraîné des perturbations importantes sur une longue période. Ceci n’a pas été le cas les 18 et 26 novembre, les entrées du bâtiment n’ayant été bloquées par des manifestants que pendant quelques heures.
L’utilisation des canons à eau n’était ni proportionnée ni nécessaire. Ces armes devraient être employées exclusivement en cas de stricte nécessité pour maîtriser ou disperser des personnes ou un groupe participant à un rassemblement public, et uniquement lorsque le degré de violence est tel que les forces de l'ordre ne peuvent contrôler la menace en ciblant directement les personnes violentes. Les facteurs contextuels doivent être pris en compte dans toute décision d'utilisation de canons à eau (un froid intense, par exemple, peut augmenter les dommages occasionnés par cette arme). Le document des Nations unies intitulé United Nations Human Rights Guidance on Less Lethal Weapons in Law Enforcement préconise de n’utiliser le canon à eau que dans des cas de troubles à l'ordre public graves susceptibles de provoquer la mort, des blessures graves ou des dégâts matériels étendus. Ce texte indique également que le jet d’eau du canon ne doit pas être dirigé sur un individu ou un groupe d’individus à faible distance, en raison du risque d’occasionner une perte de vision définitive ou des blessures indirectes dues au fait que les personnes peuvent être violemment projetées par l’eau sous pression.
Les autorités doivent aussi cesser de placer des manifestants pacifiques en détention administrative pour des durées pouvant aller jusqu’à 15 jours simplement parce qu’ils ont refusé d’obéir quand la police leur a ordonné de libérer le passage devant les entrées du bâtiment. Agir de la sorte constitue une violation des droits à la liberté de réunion pacifique, à la liberté de la personne et à un procès équitable. Le recours à de telles pratiques est susceptible d’avoir un effet néfaste sur la perception que les habitants de la Géorgie ont de leur liberté de réunion.
Complément d'information
En novembre, le parti Rêve géorgien, au pouvoir, a déclaré qu’il n’était pas en mesure de tenir sa promesse de mener une réforme du système électoral car ce projet n’était pas soutenu par suffisamment de ses membres au Parlement. La réforme promise aurait modifié le système électoral en remplaçant le mode de scrutin mixte par un système totalement proportionnel, sans seuil minimum requis pour les partis politiques, garantissant ainsi un Parlement davantage pluraliste. Le système en vigueur est considéré comme favorisant le parti au pouvoir.
La réforme était une promesse annoncée en juin 2019 pour tenter de répondre à certaines des revendications des manifestants antigouvernementaux qui s’étaient rassemblés en masse à ce moment-là. Les manifestations avaient éclaté après la prise de parole d’un député russe depuis la tribune réservée au président du Parlement géorgien dans le cadre d'une rencontre interparlementaire régionale. La rencontre avait été suspendue et des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue pour manifester contre la visite de la délégation russe au Parlement géorgien. Le président du Parlement et un député géorgien qui avait organisé la rencontre régionale interparlementaire ont démissionné.
Une guerre a eu lieu en 2008 entre la Géorgie et la Russie au sujet de la région géorgienne séparatiste d’Ossétie du Sud/région de Tskhinvali, où la Russie maintient une présence militaire après l’avoir reconnue unilatéralement en tant qu’État indépendant. Le conflit et ses répercussions ont donné lieu à de nombreuses violations des droits humains, notamment au déplacement forcé de milliers de personnes, principalement des Géorgiens, et continuent de porter préjudice aux droits des habitants de ces régions.
Pour toute demande d'information et/ou d'entrevue, veuillez contacter :
Khoudia Ndiaye | Directrice des communications et stratégies
kndiaye@amnistie.ca | 514 766-9766 poste 5230
@ndiayek_