Briser le silence sur mon viol
Il y a quelques semaines, un homme qui avait l’air tout à fait ordinaire est apparu à la télévision et a dit quelque chose qui m’a fait pleurer.
Cet homme, c’était Lars Løkke Rasmussen, le Premier ministre danois, qui annonçait que son gouvernement allait adopter des lois fondées sur le consentement en matière de viol.
Pour comprendre pourquoi l’annonce d’une nouvelle législation m’a fait éclater en sanglots, il faut se rendre compte de l’épreuve que je traverse depuis presque deux ans : cette épreuve a commencé une nuit d’été, quand j’ai été violée.
Je n’ai pas été violée par un inconnu dans une allée obscure, mais par quelqu’un que je considérais comme un ami, dans un appartement où je me pensais en sécurité. Je passais la nuit dans son appartement à Copenhague, comme je l’avais déjà fait précédemment, quand il est entré dans ma chambre.
Il voulait coucher avec moi. J’ai refusé. Il est monté dans mon lit. J’ai résisté. Il a mis son bras sur ma gorge, m’a maintenue dans le lit et m’a violée.
Le lendemain matin, j’étais en état de choc.
J’ai mis un an avant de pouvoir prononcer le mot « viol ». Au lieu de cela, je me surprenais à utiliser le mot « accident », et d’une certaine manière, l’impression de désorientation que je ressentais était la même que celle que l’on ressent après avoir eu un accident de voiture.
Les jours suivants, j’ai dû me battre pour signaler mon viol à la police. Cela m’a demandé quatre tentatives. Lors de ma seconde tentative, j’ai été conduite dans un petit bureau et prévenue que je pouvais être emprisonnée si je mentais.
Au cours de l’année et demie qui a suivi, je me suis débattue avec le système judiciaire complexe, lent et parfois indiscret. L’aspect le plus difficile de cette expérience a été le fait que la police, les avocats et le juge se sont concentrés sur l’existence ou non de preuves de violence physique : on cherchait à déterminer si j’avais résisté, et non pas si j’avais consenti.
Bien que j’aie dit à plusieurs reprises au violeur d’arrêter, on m’a demandé de manière répétée s’il existait des preuves physiques que j’avais résisté.
Cette approche reflète le fait que la loi danoise ne définit pas le viol sur la base de l’absence de consentement. La définition actuelle dans la loi est fondée sur le recours à la violence, la menace ou la contrainte ou l’incapacité démontrée de la victime à se défendre. La présomption selon laquelle une victime était consentante si elle n’a pas résisté physiquement pose de graves problèmes, car des experts ont reconnu que la « paralysie involontaire » ou la « sidération » étaient des réactions physiologiques et psychologiques très communes à une agression sexuelle.
Et ce n’est pas le cas seulement au Danemark.
Malgré l’image de terre d’égalité des genres dont bénéficient les pays nordiques, la réalité pour les femmes est très différente. Comme l’a révélé un rapport publié par Amnesty International aujourd’hui, le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède affichent des taux de viol élevés, et leur système judiciaire porte préjudice aux victimes de violences sexuelles. Des législations déficientes et des mythes répandus sur le viol ainsi que des stéréotypes néfastes liés au genre ont entraîné une impunité généralisée pour les auteurs de viol dans la région.
Au titre de la Convention d’Istanbul, un traité relatif aux droits humains que tous les pays nordiques ont ratifié, le viol et tout acte à caractère sexuel non consenti doivent être considérés comme des infractions pénales. Si la Suède a modifié sa législation l’année dernière, en Finlande, en Norvège et au Danemark, la définition du viol est toujours fondée sur le recours à la violence physique, la menace ou la contrainte ou l’incapacité démontrée de la victime à se défendre, par exemple si elle était endormie ou en état d’ivresse.
Le fait de se concentrer sur la résistance et la violence plutôt que sur le consentement a des conséquences non seulement sur les signalements de viols, mais également sur la sensibilisation plus générale aux violences sexuelles, deux éléments essentiels pour prévenir le viol et lutter contre l’impunité.
L’année dernière, j’ai appris que l’homme qui m’avait violée avait été acquitté. Le tribunal n’a pas pu prouver au-delà de tout doute raisonnable son intention de commettre des violences.
J’étais bouleversée, dépitée et en colère. J’ai senti le peu de confiance qu’il me restait dans le système judiciaire s’évaporer. Mais au lieu d’abandonner, j’ai décidé d’agir.
J’ai contacté Amnesty International et d’autres organisations. J’ai rencontré d’autres victimes et, ensemble, nous avons lancé la campagne #LetsTalkAboutYes afin de mettre en lumière le déni de justice pour les victimes de viol.
Le but de la campagne était de sensibiliser les gens aux réalités, de les encourager à se mobiliser et de changer les attitudes quant à la perception du viol et la manière dont la question est traitée. Mais surtout, notre objectif était de modifier la loi, afin qu’elle nous permette de bénéficier d’un droit qui nous revient en tant que citoyennes : la protection contre la violence.
Pour que la campagne soit efficace, nous avons compris qu’il serait nécessaire de faire tomber les murs de silence qui entourent la question du viol. Avec plusieurs autres victimes de viol, nous avons commencé à raconter publiquement notre histoire : d’abord sur Facebook, puis de manière plus vaste.
Au début, il n’était pas facile de parler d’une expérience si douloureuse et personnelle à des inconnus et des journalistes sous la lumière des projecteurs de studios. Mais c’est devenu plus facile et j’ai réalisé que cela me donnait de la force.
En février, j’ai fait partie d’une délégation qui a remis au ministre de la Justice 50 000 signatures demandant une modification de la législation danoise. En mars, avec d’autres victimes, je me suis entretenue avec plus de 100 journalistes et responsables politiques lors du lancement du rapport d’Amnesty International sur le viol, dans lequel mon histoire était reprise.
Et nous n’avons pas fait que parler : nous avons été entendues.
Une nouvelle législation modifiant la définition du viol au Danemark pourrait être bientôt adoptée. Nous nous réjouissons de voir la loi et nous espérons qu’elle reflétera les priorités présentées par les victimes.
J’espère que le périple qui a commencé la nuit où j’ai été violée aboutira bientôt à l’adoption d’une législation fondée sur le consentement pas seulement au Danemark, mais aussi en Finlande et en Norvège.
Cette expérience m’a montré que si les femmes s’unissent et s’expriment courageusement, le changement n’est pas seulement possible, il est inévitable.
Kristine Holst est une journaliste qui a travaillé avec Amnesty International sur la campagne #LetsTalkAboutYes.