• 8 Aoû 2019
  • Corée du Nord
  • Communiqué de presse

« Nous ne baisserons jamais les bras. » Des militants nord-coréens se battent depuis l’étranger pour les droits humains dans leur pays

Ji Cheol-ho et Kim Keon-woo ont tous deux, séparément, entrepris un périlleux périple pour échapper à la violence de la vie quotidienne en Corée du Nord et trouver un avenir meilleur.

C'est à Séoul que Cheol-ho, 34 ans, et Keon-woo, 32 ans, se sont rencontrés pour la première fois en 2011. Ils font cause commune autour de la volonté d'aider ceux qui continuent d’endurer des souffrances dans leur pays et ceux qui, comme eux, ont cherché refuge à l'étranger.

Les deux hommes consacrent désormais leur temps à travailler pour Now Action for Unity and Human Rights (NAUH), une ONG basée à Séoul qui milite pour la défense des droits humains en Corée du Nord et aide les personnes qui s'enfuient.

Depuis deux ans, Amnistie internationale s'est associée à NAUH. Dans le cadre de ce partenariat, Ji Cheol-ho et Kim Keon-woo ont pris la parole devant des diplomates réunis à l'ONU à Genève en mars, lors d'un examen du bilan alarmant de la Corée du Nord en matière de droits humains.

Ces deux militants nous livrent leurs témoignages.

Ji : J'ai fui la Corée du Nord en 2006 avec ma mère et mon frère. J'avais 22 ans. Notre père était censé nous rejoindre plus tard, mais je ne l'ai jamais revu. On nous a dit qu'il avait été capturé, torturé et qu’il était mort en Corée du Nord.

Cette année, j’ai pu raconter notre histoire devant les Nations unies et demander au régime nord-coréen de rendre des comptes pour les atteintes aux droits humains commises contre son peuple et ceux qui recherchent une vie meilleure. Ce fut pour moi une occasion inespérée.

Liberté

Kim : Ma famille était relativement aisée en Corée du Nord, mais nous avons tous souffert de la Grande famine des années 1990. Il n’y a pas eu de distribution de nourriture au cours des six mois qui ont précédé le départ de ma famille. J'avais 11 ans lorsque ma mère m'a dit : « Allons dans un endroit meilleur où nous trouverons à manger ». Et nous avons fui en 1998.

Nous avions prévu de nous rendre chez nos parents à Dangdong, en Chine, non loin de la frontière. Nous avons traversé le fleuve Tumen. Beaucoup de ceux qui tentent de fuir la Corée du Nord meurent le long de cet itinéraire. C'était au mois d’août et il pleuvait abondamment. Ma mère a failli se noyer, mais le plus dur nous attendait à notre arrivée en Chine.

Sans papiers légaux, nous étions exposés en permanence au danger d'être renvoyés en Corée du Nord, où nous risquions d’être envoyés dans un camp de travail ou même exécutés. En Chine, nous restions la plupart du temps à la maison, où j'ai étudié et appris à parler chinois. Lorsque la police est venue chez nous, nous avons dû nous cacher. Nous sommes finalement restés en Chine pendant sept ans, car nous ne savions pas comment rejoindre la Corée du Sud. Lorsque nous avons enfin atteint Séoul grâce au consulat de Corée du Sud à Shanghai en 2005, j'ai découvert la liberté.

Ji : Malgré la pénurie de nourriture, à l’école on nous apprenait que la Corée du Nord est le meilleur pays du monde. J’étais conditionné et je le croyais.

J'ai eu mon diplôme et un emploi, mais je me suis retrouvé à lutter pour m’acheter à manger. À 17 ans, je ne mesurais que 1,10 m à 1,20 m. Je mangeais tout ce qui passait à ma portée, même de l'écorce d'arbre. J'ai commencé à me demander si c'était vraiment le meilleur qu'un pays puisse offrir à sa population.

Mon frère et moi avons fui en Chine, puis nous nous sommes séparés, sachant qu'ensemble, nous avions plus de chances de nous faire prendre. Nous espérions nous retrouver en Corée du Sud, sans savoir si c’était la dernière fois que nous nous voyions. Pendant 15 jours, j'ai pris de nombreux bus et parcouru des forêts pour tenter de gagner la Corée du Sud en traversant l’Asie du Sud-Est. Chaque fois que quelqu'un me parlait en chinois, je me contentais de sourire, espérant que tout irait pour le mieux.

J’avais tellement de choses à intégrer lorsque je suis arrivé à Séoul. Ma première impression ? La fraîcheur dans l’aéroport. Je me souviens de l’air frais. J’étais bouleversé lorsque j'ai retrouvé mon frère et ma mère, qui étaient déjà arrivés en Corée du Sud.

Pendant ma première semaine à Séoul, je ne savais que faire de ma nouvelle liberté. J'ai dormi pendant une semaine. J'ai utilisé ma liberté pour dormir ! Ensuite, j'ai décidé de dire oui à tout ce que j’avais envie de faire. Je voulais étudier. C'était la liberté.

Kim : Ce que j’ai trouvé vraiment incroyable dans ma vie à Séoul, c’est que j'étais libre d'aller où bon me semblait. En Chine, la peur d'être renvoyé était constante.

En 2011, à l'université, j'ai été présenté à Ji Seong-ho, fondateur de NAUH. Cela peut paraître étrange, mais je ne savais pas grand-chose à propos des atteintes aux droits humains en Corée du Nord. J'avais vu deux exécutions publiques quand j'y vivais, mais j'étais si jeune quand nous sommes partis, je ne comprenais pas ce que cela signifiait. Par curiosité, je suis allé à l'une des réunions de NAUH. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que ma famille aurait pu être victime de ces violations.

Courage

Ji : Ma vie a changé à Séoul, mais je savais que beaucoup continuaient de souffrir au pays. J'ai donc aidé à fonder NAUH en 2010. Nous avons commencé par des campagnes de rue à Séoul sur les droits humains en Corée du Nord et nous nous sommes développés au fur et à mesure que nos ressources et le nombre de nos sympathisants augmentaient. Un an plus tard, nous avons commencé les sauvetages d'urgence de Nord-Coréens. J'aide les Nord-Coréens en Chine, en particulier les femmes, à atteindre la Corée du Sud et à s'adapter à leur nouvelle vie.

Chaque fois que je rencontre des Nord-Coréens, je vois leur courage. Quand j’étais au pays, on me disait que les femmes qui partent sont les pires. Mon point de vue a changé et je veux aider ces femmes. Je leur parle dans un dialecte nord-coréen et elles se sentent chez elles. Je ressens le besoin de faire ce travail. Il est très précieux et je suis heureux de pouvoir les aider.

Kim : Avec l'aide d'Amnesty, nous avons appris différentes approches pour défendre les droits humains. Comme nous, Amnesty travaille avec des personnes dont la voix ne serait pas entendue autrement.

Notre collaboration a abouti à une campagne auprès des Nations Unies à Genève en mars dernier, au cours de laquelle nous avons rencontré des diplomates pour discuter des droits fondamentaux. Nous avons présenté des témoignages et des recherches afin de contribuer à l'Examen périodique universel (EPU) de l'ONU sur la Corée du Nord.

Notre rapport à l'ONU portait sur les enfants des rues en Corée du Nord. Les abus dont ils sont victimes sont parmi les pires. Ils n'ont pas la possibilité de défendre leurs droits, alors en tant que militant des droits humains, je voulais faire quelque chose pour les aider.

Ji : Bien que les violations des droits humains soient encore très répandues en Corée du Nord, des initiatives telles que les nôtres rappellent aux gens ce qui se passe. Nous ne cesserons jamais d'œuvrer pour aider les Coréens du Nord à faire valoir leurs droits.

Kim : Pour amener un changement positif, il faut que les gouvernements du monde entier renforcent la pression sur la Corée du Nord. Les gouvernements craignent l'opinion de leur peuple. Au pays, les Nord-Coréens ne sont pas en mesure de faire entendre leurs voix maintenant ; merci de continuer de dénoncer les violations des droits humains afin que le gouvernement nord-coréen ne puisse pas ignorer les vôtres.

Ji : Merci aux sympathisants d'Amnesty de se préoccuper de la situation des droits humains en Corée du Nord. J'espère qu'ensemble, nous pourrons améliorer les droits pour tous.