« Pardonnez mes enfants de ne pas jeûner » – le ramadan au Xinjiang
À l’occasion du ramadan, des musulmans à travers le monde vont jeûner du lever au coucher du soleil pendant environ un mois.
Cependant, dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, les autorités chinoises considèrent le jeûne comme un « signe d’extrémisme ».
Les démonstrations publiques ou même privées d’appartenance religieuse – parmi lesquelles les barbes « anormales », le port d’un voile ou d’un foulard, les prières régulières, le jeûne ou le fait de s’abstenir de boire de l’alcool – sont systématiquement qualifiées de « signes d’extrémisme » dans certains endroits.
Une seule de ces actions ou caractéristiques peut suffire à être envoyé dans l’un des camps d’internement du Xinjiang, que le gouvernement appelle « centres de transformation par l’éducation » et où seraient actuellement détenues presque un million de personnes.
Ces dernières années, les autorités de nombreux cantons du Xinjiang ont publié des avis sur leurs sites Internet indiquant que les élèves de l’enseignement primaire et secondaire, ainsi que les membres du Parti communiste, n’étaient pas autorisés à faire le ramadan.
L’internement et la surveillance en masse se sont intensifiés assez récemment, mais les pratiques religieuses et culturelles des musulmans sont découragées depuis longtemps dans la région.
Le ramadan dans les établissements scolaires
Gulzire, une femme ouïghoure originaire de Yining, dans le nord-ouest du Xinjiang, a raconté que lorsqu’elle était au lycée, au début des années 2000, ses professeurs incitaient les élèves à ne pas jeûner car ils avaient d’importants besoins nutritionnels pour préparer leurs examens. Certains élèves jeûnaient malgré tout et restaient dans leur classe pour se reposer à l’heure du déjeuner au lieu de rentrer chez eux ou d’aller à la cantine. Afin de les dissuader, des professeurs entraient dans les classes pour vérifier si les élèves mangeaient. Gulzire se souvient avoir montré à un enseignant le déjeuner qu’elle avait apporté pour prouver qu’elle ne jeûnait pas. Néanmoins, selon elle, la restriction n’était pas appliquée très strictement à l’époque et certains parvenaient toujours à jeûner en secret.
Ces restrictions n’étaient pas non plus appliquées uniformément en Chine. Quand Gulzire a quitté le Xinjiang pour étudier à Shenzhen, une ville du sud de la Chine, en 2006, elle a été agréablement surprise par l’ouverture d’esprit qu’elle y a trouvée. Lors des fêtes religieuses, l’Université de Shenzhen offrait le transport en bus à Gulzire et ses amis du Xinjiang pour se rendre à la mosquée et à d’autres lieux et événements religieux et culturels. Elle affirme que ses camarades, pour la plupart issus de l’ethnie han (majoritaire en Chine), étaient également très ouverts d’esprits et respectueux des pratiques culturelles ouïghoures.
Le tournant de 2009
La situation a pris une mauvaise tournure durant l’été 2009. Les violences interethniques qui se sont déroulées à Ürümqi, la capitale du Xinjiang, ont fait près de 200 morts. En réaction, la présence de l’armée et des services de sécurité a été renforcée dans toute la région, ce qui n’a fait qu’attiser la tension.
Gulzire a expliqué que ses parents lui avaient demandé de ne plus aller à la mosquée, même à Shenzhen. Par crainte d’être pris pour des extrémistes, ils ont en outre cessé de lui parler du Coran et de lui présenter des vœux par téléphone pour les fêtes religieuses, telles que l’Aïd el Kebir (ou fête du sacrifice).
Les choses ont aussi évolué à l’université où Gulzire étudiait à Shenzhen. Un professeur ouïghour originaire d’Ürümqi a été envoyé sur place, et lorsque l’université a organisé un service de bus pour conduire les étudiants à la mosquée pendant le ramadan, il a tenu une réunion avec des responsables de l’établissement et empêché les étudiants d’y aller. Gulzire pense que cet enseignant estimait que, ces activités n’étant pas autorisées au Xinjiang, elles devaient être considérées comme « extrémistes ».
Depuis, la situation n’a cessé de se détériorer. Une série de textes de loi a été adoptée pour justifier la discrimination religieuse et ethnique, et la répression s’est intensifiée au Xinjiang.
Aux termes d’un règlement de 2017, les personnes peuvent être qualifiées d’« extrémistes » si elles refusent de regarder ou d’écouter certaines émissions de télévision et de radio, portent une burqa ou ont une barbe « anormale ».
En avril 2017, le gouvernement aurait publié une liste de prénoms interdits, pour la plupart d’origine islamique, et exigé que tous les enfants de moins de 16 ans portant ces prénoms en changent.
Des vœux provenant de l’extérieur du Xinjiang
Pour ce ramadan, de nombreux musulmans du Xinjiang sont séparés de leurs proches – certains sont portés disparus, d’autres internés dans des camps, d’autres encore sont exilés.
Journaliste à Radio Free Asia, Gulchehra Hoja a quitté la Chine il y a 18 ans. Ce n’est qu’une fois installée aux États-Unis qu’elle a enfin pu observer pleinement le ramadan. Au sujet du temps où elle vivait au Xinjiang, elle a déclaré :
« Je me rappelle que seules les personnes âgées comme ma grand-mère jeûnaient et faisaient la doua (prière) en demandant à Allah de pardonner à ses enfants de ne pas jeûner. Aujourd’hui, c’est à mon tour de prier pour ma famille et tout le peuple ouïghour. »