Les autorités doivent protéger le droit d’une communauté côtière de donner ou refuser son consentement pour un projet minier sur ses terres
Amnistie internationale condamne fermement le fait que le ministre des Ressources minérales, Gwede Mantashe, n’ait pas réellement donné aux membres de la communauté autochtone d’Amadiba la possibilité de faire entendre leur voix lors d’une réunion organisée le 16 janvier 2019. Cette réunion a eu lieu dans le cadre de consultations actuellement menées à l’initiative du ministère des Ressources minérales au sujet du projet minier dans cette région.
Dans le cadre de cette réunion, le chef traditionnel local contesté, le roi Sigcau, a affirmé que les terres d’Amadiba lui appartenaient et que l’exploitation minière aurait lieu à cet endroit. Le roi a ainsi tenté d’empêcher toute autre personne appartenant à la communauté touchée, y compris les femmes et les jeunes qui assistaient à la réunion, de participer au processus de décision quant à l’avenir de l’exploitation minière sur leurs terres.
Lors d’un échange sous forme de questions-réponses, un homme disant appartenir au Comité de crise d’Amadiba (ACC) a affirmé que l’ACC était favorable au projet minier. Un tollé s’est ensuivi, car cette position n’est pas celle de l’ACC, qui est opposé à l’exploitation minière. Une grande partie de l’assistance a réagi par des protestations aux propos de ce soi-disant membre de l’ACC, et le ministre, Gwede Mantashe, a mis fin prématurément à la réunion. Nonhle Mbuthuma, la porte-parole de l’ACC, a engagé le ministre à poursuivre la rencontre, et lui a demandé de quel village d’Amadiba venait le prétendu membre de l’ACC. Cependant, le ministre a ignoré sa question et a quitté les lieux.
Amnistie internationale est vivement préoccupée par le fait que le ministre ait affirmé à tort que le Comité de crise d’Amadiba (ACC) avait interrompu la réunion. En réalité, le ministre a négligé les membres de la communauté touchée qui voulaient partager leur point de vue sur le projet minier en Amadiba, notamment Nonhle Mbuthuma, militante des droits humains liés à l’environnement et porte-parole de l’ACC. Le gouvernement a de fait exclu la communauté de ces prétendues consultations.
Avant de mettre fin prématurément à la réunion, Gwede Mantashe a dit approuver une décision historique rendue par la Haute Cour en novembre 2018, en vertu de laquelle il doit obtenir le consentement total et éclairé de la communauté détentrice des droits fonciers avant d’accorder tout droit d’exploitation à la société minière, TEM.[1] Il a cependant annoncé son intention de mener un sondage en porte à porte dans la région, afin de demander l’avis des membres de la communauté touchée par le projet minier. Il a déclaré que si, au vu de ce sondage, une majorité de membres de la communauté acceptait le projet minier, son ministère délivrerait le permis d’exploitation minière. Il est important de noter que le droit au consentement préalable, libre et éclairé est un droit collectif qui « ne peut pas être détenu ou exercé à titre individuel par des membres d’une communauté autochtone. »[2] Le consentement doit être obtenu par une concertation « de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés - par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives ».[3] L’enquête en porte à porte envisagée par le gouvernement est donc illégitime et ne concorde pas avec sa réaction face à l’arrêt de la Haute Cour.
Le 13 décembre 2018, le ministère des Ressources minérales a introduit un recours contre l’arrêt rendu en novembre 2018 par la Haute Cour.
Les autorités sud-africaines sont tenues de se conformer à la règle générale du droit international selon laquelle aucune activité extractive ne devrait être menée sur les territoires des peuples autochtones sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.[4] L’Afrique du Sud est signataire de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale[5] et doit donc veiller à ce qu’aucune décision directement liée aux droits et aux intérêts des peuples autochtones ne soit prise sans leur consentement éclairé.[6]
La façon dont le ministre Gwede Mantashe a géré la réunion en Amadiba, ainsi que la position exprimée par le roi Sigcau, témoignent d’une volonté de ne pas tenir compte de l’opposition de la communauté au projet minier, et de mettre de côté l’ACC, qui est le représentant choisi par la communauté pour les consultations. Amnistie internationale estime donc que cette réunion n’était en aucun cas une consultation sérieuse, qu’il n’y a eu aucune participation réelle, et qu’il s’agissait qu’une simple consultation de façade.
Amnistie internationale appelle les autorités sud-africaines à respecter et protéger le droit de la communauté côtière d’Amadiba à une participation réelle pour tout projet minier sur ses terres. Amnistie internationale appelle également les autorités sud-africaines à abandonner leur recours contre l’arrêt rendu par la Haute Cour le 22 novembre 2018, cette juridiction ayant interprété correctement les obligations qui incombent à l’Afrique du Sud en vertu du droit international.
Complément d'information
La communauté traditionnelle côtière d’Amadiba est une communauté autochtone qui détient des droits collectifs sur des terres côtières préservées, de grande valeur, dans la province sud-africaine du Cap-Est. La communauté comprend actuellement au moins 600 personnes, qui vivent dans cinq villages sur ces terres depuis des siècles. Une société minière australienne, Transworld Energy and Mineral Resources (SA) Pty LTD (TEM), et le ministère des Ressources minérales veulent exploiter les sables riches en titane qui se trouvent sur ces terres. Les membres de la communauté refusent que la société minière et le gouvernement exploitent leurs terres ancestrales, de crainte notamment de perdre leurs foyers, leurs moyens de subsistance et leur héritage culturel. La communauté a fondé le Comité de crise d’Amadiba (ACC) pour réunir les habitants des cinq villages d’Amadiba qui seraient touchés par ce projet minier. Sikhosiphi « Bazooka » Rhadebe, défenseur des droits fonciers et environnementaux et ancien président de l’ACC, a été tué par balle le 22 mars 2016. À ce jour, personne n’a eu à rendre compte de son assassinat.
Le 23 avril 2018, l’ACC a formé un recours contre le ministère des Ressources naturelles et la société minière TEM, car le ministre des Ressources minières avait accordé le permis d’exploitation minière sans le consentement de la communauté.
Bien que la MPRDA (Loi relative au développement des ressources minières et pétrolières) et l’IPILRA soient manifestement contradictoires en ce qui concerne les exigences en matière de consultation et de consentement, le juge Basson, dans l’arrêt rendu par la Haute Cour en novembre 2018, a statué que « la MPRDA et la Loi relative à la protection provisoire des droits fonciers informels (IPILRA) [devaient] être lues conjointement ». Il a ajouté que la communauté touchée « ne [pouvait] pas être privée de ses terres sans son consentement. »[7]
Le préambule de la MPRDA reconnaît que « les ressources minières et pétrolières d’Afrique du Sud appartiennent à la nation et l’État en est le dépositaire. »[8]
La MPRDA autorise l’État, et non plus le propriétaire au titre du droit coutumier, à être le dépositaire de toutes les ressources minières, qui appartiennent à la nation.[9] La MPRDA comprend une obligation procédurale de consultation en cas de demande de droit d’exploitation minière.[10] Dans le cadre du processus de consultation, la compagnie minière doit fournir aux personnes qui possèdent les terres toutes les informations nécessaires pour qu’elles puissent prendre une décision éclairée quant au projet minier.[11]
La Constitution sud-africaine reconnaît qu’il est nécessaire de remédier aux inégalités issues de l’apartheid en Afrique du Sud en ce qui concerne l’accès à la terre et la sécurité d'occupation.[12] De même, l’IPILRA a pour but de protéger « certains droits fonciers et intérêts relatifs à la terre, qui ne seraient autrement pas protégés de manière adéquate par la loi ».[13] L’IPILRA est axée sur la protection des droits fonciers informels des communautés et dispose que « nul ne peut être privé d’un quelconque droit foncier informel sans son consentement ».[14]
Amnistie internationale était présente en Amadiba le 16 janvier 2019 pour observer la réunion.
[1] Par. 83 de l’affaire n° 73768/2016, 22 novembre 2018, Cour suprême d’Afrique du Sud, Pretoria.
[1] Loi relative au développement des ressources minières et pétrolières (Loi n° 28 de 2002)
[1] Article 3 de la MPRDA
[1] Article 22(4) de la MPRDA
[1] Article 16(4)(b) de la MPRDA tel que cité dans l’arrêt de la Haute Cour en date du 22 novembre 2018, par. 66.
[1] Constitution sud-africaine. Article 25(6)
[1] Titre abrégé de l’IPILRA (Loi n° 31 de 1996).
[1] Article 2(1) de l’IPILRA