Une jeune femme yéménite condamnée à mort confrontée à la « guerre psychologique » menée par les Houthis contre leurs opposants
Asmaa al Omeissy a quitté le sud du Yémen pour trouver la sécurité et retrouver son père à Sanaa, la capitale du Yémen. Mais la jeune femme de 22 ans, mère de deux enfants en bas âge, a subi un calvaire qui l'a amenée à devenir la première femme yéménite, à notre connaissance, condamnée à mort pour des infractions liées à la « sûreté de l’État ».
En septembre 2016, son mari, soupçonné d'appartenance à Al Qaïda, s'est enfui et l'a quittée lors d'une embuscade tendue par les forces de la coalition menée par l'Arabie saoudite non loin de la ville d'al Mukalla, dans le sud du pays. Après l'avoir brièvement détenue à la suite de cette embuscade, les soldats de la coalition l'ont laissée repartir. Ce n'était que le début de ses problèmes.
Un ami de la famille lui avait proposé de la conduire d'al Mukalla jusqu'à Sanaa, ville placée sous le contrôle des Houthis, afin qu'elle puisse retrouver son père. Un homme a fait le voyage avec eux. Le 7 octobre 2016, les forces de sécurité houthies ont arrêté leur véhicule à un poste de contrôle de la capitale et les ont emmenés pour les interroger. À la suite de leur arrestation, le père d'Asmaa al Omeissy a été convoqué et arrêté lui aussi.
Leur arrestation a marqué le début d'une terrible série d'épreuves incluant une disparition forcée, des actes de torture et d'autres formes de mauvais traitements, ainsi qu'une condamnation à mort prononcée à l'issue d'un procès manifestement inique. Comme ces violations commises par les Houthis sont liées au conflit au Yémen, elles pourraient constituer des crimes de guerre.
Des organisations de défense des droits ont indiqué que depuis que le groupe armé houthi et ses alliés ont pris le contrôle de vastes régions du Yémen fin 2014, des milliers de personnes ont été arrêtées de façon arbitraire et soumises à une disparition forcée et à la torture en raison de leur appartenance politique ou de leurs croyances religieuses supposées. Amnistie internationale et d'autres organisations locales et internationales de défense des droits humains ont rassemblé des informations sur de tels cas et demandé aux Houthis de respecter leurs obligations découlant du droit international.
Mais au lieu de tenir compte de ces appels, les Houthis ont intensifié la répression exercée contre leurs opposants et ceux qui les critiquent, notamment les journalistes et les défenseurs des droits humains. Parmi ceux qui ont été arrêtés figurent des personnes considérées comme soutenant leurs adversaires, à savoir le gouvernement yéménite reconnu par l'ONU, basé dans le sud du pays, et ses soutiens, les membres de la coalition menée par l'Arabie saoudite. De plus, les Houthis utilisent de plus en plus le système judiciaire pour régler des comptes politiques, ce qui a donné lieu à des procès manifestement iniques s'étant soldé par des peines de mort.
Ces procès ainsi que la procédure qui y a abouti démontrent un mépris total pour le droit yéménite et le droit international. Ainsi, Asmaa al Omeissy et ses trois coaccusés ont été empêchés pendant plusieurs mois d'avoir des contacts avec le monde extérieur, pendant qu'ils étaient déplacés d'un lieu de détention à un autre, y compris une annexe « secrète » du Département des enquêtes criminelles. Elle n'a pu obtenir aucune nouvelle de ses deux enfants, issus d'un précédent mariage et à présent âgés de quatre et sept ans, qui vivent actuellement chez des proches dans le sud du pays.
Asmaa al Omeissy a été frappée sous les yeux de son père, Matir al Omeissy, qui est âgé de 50 ans ; elle a notamment été frappée à coups de poing et avec un bâton par une policière, m'a dit son père. On l'a aussi forcée à regarder pendant que deux autres personnes, arrêtées dans le cadre de la même affaire, étaient torturées, pendues au plafond par les poignets et frappées à coups de pied et de poing sur tout le corps.
On l'a interrogée au sujet de liens présumés avec Al Qaïda, et accusée à tort d'avoir eu des « relations sexuelles illégitimes » avec ses compagnons de voyage masculins. « Il s'agit d'une guerre psychologique », m'a dit le père d'Asmaa al Omeissy.
« Pouvez-vous imaginer ce que cela représente pour une femme d'être enfermée seule dans une salle [d'interrogatoire] et accusée de telles choses alors que vous êtes innocente ?, a-t-il dit, expliquant que ceux qui l'interrogeaient avaient essayé de la briser en attaquant son « honneur ». Au Yémen, les relations extraconjugales sont à la fois illégales et un sujet tabou.
C'est seulement en mai 2017 qu'Asmaa al Omeissy et les autres personnes ont finalement été inculpées et déférées au tristement célèbre Tribunal pénal spécial de Sanaa, chargé de juger les affaires liées au « terrorisme » et à la «Sécurité de l'État ». Elle est notamment accusée d'avoir « aidé un pays étranger en guerre avec le Yémen », ce qui fait référence aux Émirats arabes unis, membres de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite. Aucun des accusés n'a bénéficié de l'assistance d'un avocat au cours du procès.
Les trois hommes ont bénéficié d'une libération sous caution plusieurs mois avant le verdict, d'eux d'entre eux notamment pour raisons médicales, mais l'on ignore pourquoi Asmaa al Omeissy est la seule à avoir été maintenue en détention dans cette affaire. Les trois hommes se sont par la suite enfuis dans des régions du Yémen n'étant pas contrôlées par les Houthis, et elle comparaissait seule devant le tribunal le 30 janvier quand le juge a condamné la jeune femme et deux de ses coaccusés à la peine de mort. Les accusations fallacieuses relatives à des « actes indécents » ont abouti pour elle à une peine supplémentaire de 100 coups de fouet, et pour son père à une peine de 15 ans d'emprisonnement.
Les personnes qui ont parlé avec Asmaa al Omeissy à la prison centrale de Sanaa m'ont indiqué que son moral est au plus bas. Ses conditions de détention restent totalement inadéquates. Elle doit payer pour sa nourriture, n'a aucun accès à des vêtements ni à des produits d'hygiène, et ses proches ne lui ont pas rendu visite car ils craignent d'être à leur tour placés en détention.
Les conditions de détention dans les prisons yéménites sont de longue date inhumaines et dégradantes, mais des militants locaux ont dit qu'elles n'ont fait qu'empirer sous les Houthis. Les détenus sont entassés dans des cellules répugnantes et surpeuplées, et on leur extorque systématiquement de l'argent.
Des violences infligées à des détenues, notamment le viol et d'autres formes de violences sexuelles, ont été signalées dans le passé, mais des militants se sont dits choqués par la multiplication ces derniers temps des informations faisant état de tels actes. Un défenseur des droits humains m'a dit que son organisation a rassemblé des informations sur plusieurs centaines de cas de détenues soumises à la torture et à une humiliation, notamment à une « utilisation dégradante des prisonnières pour des travaux de construction ».
Le père d'Asmaa al Omeissy m'a dit qu'il veut que le monde entier soit averti de ce cas et du fait que la jeune femme est innocente. Un avocat a déposé un recours en appel en son nom, mais il a eu beaucoup de mal à obtenir le dossier de cette affaire auprès du tribunal. Parallèlement à cela, le tribunal prononce de nombreuses peines de mort ; il a ainsi condamné à mort en janvier Hamid Haydara, un prisonnier d'opinion âgé de 52 ans qui appartient à la communauté baha’ie.
Les autorités houthies doivent mettre un terme à cette parodie de justice : elles doivent immédiatement annuler ces condamnations contestables et ces sentences capitales, et mettre fin à l'utilisation de ce châtiment cruel par nature. Chaque jour qu'Asmaa al Omeissy passe derrière les barreaux dans le quartier des condamnés à mort ne fait qu'accroître cette injustice, l'expose à des violations supplémentaires de ses droits, et représente du temps volé à ses enfants.