Il faut annuler la déclaration de culpabilité d’un militant prononcée en raison de sa contestation pacifique
Amnistie internationale est vivement préoccupée par la décision de la Cour suprême des Philippines de maintenir la déclaration de culpabilité et la peine d’emprisonnement de Carlos Celdran, un militant en faveur des droits en matière de procréation, pour « atteinte aux sentiments religieux ». Amnistie internationale demande l’annulation de cette déclaration de culpabilité et appelle le gouvernement à revoir l’article 133 du Code pénal révisé, dont les dispositions remontent à l’époque de la colonisation espagnole et, comme l’illustre l’affaire de Carlos Celdran, peuvent donner lieu à différentes interprétations, ce qui est contraire aux obligations des Philippines au titre du droit international relatif aux droits humains. Si la déclaration de culpabilité de Carlos Celdran n’est pas annulée, cela créerait un dangereux précédent pour le droit à la liberté d’expression et à la liberté de pensée, de conscience et de religion dans le pays.
En septembre 2010, lors d’un service œcuménique à la cathédrale de Manille, Carlos Celdran s’était tenu devant l’autel en criant et en brandissant une affiche sur laquelle était écrit le mot « Damaso », le nom d’un personnage du roman Noli Me Tangere de Jose Rizal, décrivant les atteintes commises par les moines durant le règne espagnol. Par cette contestation provocante mais pacifique, Carlos Celdran exprimait ses inquiétudes au sujet de la position de l’Église en ce qui concerne le projet de loi sur la procréation, entré en vigueur depuis. Après son action, Carlos Celdran a été arrêté, placé en détention jusqu’au lendemain et inculpé pour « atteinte aux sentiments religieux », au titre de l’article 133 du Code pénal révisé de 1930. Carlos Celdran a été déclaré coupable et tous les recours qu’il a déposés par la suite ont été rejetés. Le 6 août 2018, la Cour suprême des Philippines a maintenu la condamnation prononcée par la Cour d’appel contre Carlos Celdran pour sa contestation pacifique. Lorsqu’elle a rejeté son appel, la Cour suprême a indiqué qu’elle approuvait la décision de la Cour d’appel selon laquelle Carlos Celdran « avait pour but d’insulter et de ridiculiser les membres du clergé dont les croyances et les principes étaient diamétralement opposés aux siens. »
Une telle interprétation restreint de manière excessive et arbitraire le droit à la liberté d’expression. Dans son observation générale sur l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantit la liberté d’expression et est juridiquement contraignant pour les Philippines, qui y sont partie, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré que « les interdictions des manifestations de manque de respect à l’égard d’une religion ou d’un autre système de croyance, y compris les lois sur le blasphème, sont incompatibles avec le Pacte », ajoutant qu’il « ne serait pas non plus acceptable que ces interdictions servent à empêcher ou à réprimer la critique des dirigeants religieux ou le commentaire de la doctrine religieuse et des dogmes d’une foi ». Le Comité a également établi un lien étroit entre la liberté d’expression et la liberté de pensée, de conscience et de religion. Au sujet de l’article 18 du Pacte, qui garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, le Comité a souligné que « la liberté de pensée et la liberté de conscience sont protégées à égalité avec la liberté de religion et de conviction, » et que le Pacte « protège les convictions théistes, non théistes et athées, ainsi que le droit de ne professer aucune religion ou conviction ».
Amnistie internationale estime donc que la déclaration de culpabilité de Carlos Celdran, qui encourt une peine pouvant aller de deux mois et 21 jours à un an, un mois et 11 jours d’emprisonnement, bafoue ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Si le droit international relatif aux droits humains reconnaît que ces droits ne sont pas absolus et qu’ils peuvent être soumis à certaines restrictions, ces restrictions doivent impérativement être prévues par la loi, et doivent être nécessaires et proportionnées à certains intérêts publics ou à la protection des droits d’autrui. La décision de maintenir la condamnation de Carlos Celdran n’est ni nécessaire ni proportionnée. Le droit à la liberté d’expression, garanti par le droit international relatif aux droits humains, protège l’expression non seulement des opinions inoffensives ou politiquement correctes, mais également des opinions et actions qui pourraient être considérées, pour reprendre les termes de la Cour européenne des droits de l’homme, comme « offensantes, choquantes ou gênantes ». Amnistie internationale appelle donc la Cour suprême à réexaminer l’affaire de Carlos Celdran et à annuler sa condamnation.
Amnistie internationale demande en outre aux autorités des Philippines de revoir l’article 133 du Code pénal révisé, afin de faire en sorte que le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion et le droit à la liberté d’expression ne soient pas restreints arbitrairement dans le pays et à ce que chacun puisse en bénéficier.
L’article 133 du Code pénal révisé sanctionne en effet tout individu commettant des actes « qui portent atteinte aux sentiments des fidèles [...] dans des lieux de culte ou lors d’une cérémonie religieuse ». Il prévoit une peine de prison pouvant atteindre plus d’un an pour tout individu déclaré coupable d’« atteinte aux sentiments religieux ». Amnistie internationale demande au gouvernement philippin de prendre dans les meilleurs délais des mesures afin de lever cette restriction illégale de la liberté de religion et d’expression et de faire en sorte de créer un environnement qui encourage, et ne pénalise pas, la diversité de croyances et d’opinions.
Complément d’information
En janvier 2013, le tribunal métropolitain de Manille a reconnu Carlos Celdran coupable de violation de l’article 133 du Code pénal révisé. Carlos Celdran a fait appel de cette décision auprès du tribunal métropolitain, du tribunal régional et de la Cour d’appel. Les trois instances ont rejeté ses recours. En octobre 2015, il a demandé à la Cour suprême d’annuler le rejet de son recours auprès de la Cour d’appel.
En décembre 2012, après plus de dix ans de campagne menée par la société civile, Benigno Aquino III, alors président des Philippines, a promulgué la Loi sur la procréation responsable, la santé reproductive, la population et le développement. Le projet de loi avait été vivement critiqué par le clergé catholique du pays, où
80 % de la population est catholique, qui s’y était fermement opposé. Ses dispositions les plus controversées concernaient les soins médicaux post-avortement, le financement par le gouvernement de méthodes de contraception modernes et l’éducation obligatoire en matière de santé et de sexualité. La Conférence des évêques des Philippines s’était vivement prononcée contre la promulgation de cette loi.
Amnistie internationale avait salué l’adoption de cette loi et, bien qu’elle se soit inquiétée de certaines mesures insuffisantes, avait reconnu qu’il s’agissait d’un premier pas vers la mise en place d’une protection des droits des femmes en matière de procréation aux Philippines.