Une enquête indépendante sur l’homicide de quatre Kayahs par des soldats est essentielle pour obtenir vérité et justice
Les autorités du Myanmar doivent veiller à ce qu’une enquête indépendante, impartiale et efficace soit menée sur l’homicide, attribué à des soldats, de quatre hommes appartenant à l’ethnie karenni en décembre 2017, a déclaré Amnistie internationale. L’enquête actuellement menée par l’armée sur cette affaire ne peut être considérée comme crédible, et il est peu probable qu’elle permette que la vérité soit établie et que justice soit rendue. S’abstenir d’obliger les responsables présumés à rendre des comptes devant un tribunal civil indépendant ne ferait que renforcer le climat d’impunité dans le pays.
Les quatre hommes ont été tués le matin du 20 décembre 2017 à un poste de contrôle de la ville de Loikaw (État kayah) dirigé par le Parti national progressiste karenni (KNPP), une organisation ethnique armée au Myanmar. La veille au soir, un convoi de camions militaires transportant semble-t-il du bois abattu illégalement, est passé par le poste de contrôle et a été inspecté par des membres du KNPP affectés à celui-ci. Le KNPP et l’armée du Myanmar ont conclu un accord de cessez-le-feu, signé en mars 2012. Selon un membre du KNPP, le lendemain matin, des soldats du Myanmar ont encerclé le poste de contrôle, puis ont arrêté cet homme ainsi que trois autres membres du KNPP et une autre personne qui avait dormi sur place. Ces hommes se sont vu ordonner de revêtir leur uniforme du KNPP et de se mettre en rang pour que l’on prenne leur photo. C’est alors qu’un soldat de l’armée du Myanmar a ouvert le feu, tuant quatre personnes - trois des hommes du KNPP et le civil. Le quatrième membre du KNPP est parvenu à s’échapper et est entré dans la clandestinité. L’armée conteste cette version des événements, affirmant que ces hommes ont été tués après avoir essayé de se battre contre les soldats durant la descente ; il a toutefois été annoncé que l’armée enquêtait sur l’événement.
Peu après ces homicides, des dirigeants du KNPP ont demandé que l’armée restitue les dépouilles de ces hommes afin que l’on puisse les inhumer. L’armée a répondu qu’ils avaient été incinérés, et a rendu leurs restes dans quatre urnes accompagnées de photographies des quatre hommes. Selon des sources crédibles, le commandant de l’armée en charge des opérations régionales a proposé aux familles des défunts 100 000 kyats (soit 60 dollars américains) chacune, ce qu’elles ont refusé. Elles ont plus tard accepté 500 000 kyats (environ 300 dollars) du gouvernement régional de l’État kayah.
Le droit international relatif aux droits humains et les normes qui s’y rapportent disposent clairement que les personnes chargées d’enquêter sur des violations des droits humains doivent être choisies en raison de leur impartialité manifeste et de leur indépendance vis-à-vis des individus, institutions et organes impliqués dans les événements faisant l’objet de l’enquête. Une enquête de l’armée du Myanmar sur ces homicides est donc inadaptée et ne peut être considérée comme crédible.
Amnistie internationale exhorte les autorités du Myanmar à diligenter dans les meilleurs délais des investigations indépendantes, impartiales et efficaces sur ces événements. Les familles des quatre hommes doivent être tenues informées de la progression de l’enquête et les conclusions de celle-ci doivent être rendues publiques. S’il existe suffisamment de preuves recevables, les responsables présumés, y compris ceux exerçant une responsabilité dans la chaîne de commandement, devront être déférés à la justice et jugés par des tribunaux civils indépendants, dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité et sans recours à la peine de mort. En attendant, toute personne soupçonnée d’avoir joué un rôle dans ces homicides doit être immédiatement suspendue de ses fonctions en première ligne.
Amnistie internationale craint par ailleurs pour la sécurité et le bien-être du témoin de ces homicides, qui vit actuellement caché. Selon des informations communiquées par des sources crédibles, des responsables militaires ont demandé qu’il se présente afin d’être interrogé, mais il a peur de le faire car son témoignage mettrait en cause des membres de l’armée. Amnistie internationale exhorte également les autorités à garantir la sécurité des éventuels autres témoins.
Cette affaire survient dans un contexte plus large d’allégations de violations des droits humains - notamment d’exécutions extrajudiciaires et d’autres homicides illégaux - impliquant l’armée du Myanmar, en particulier dans les zones où vivent des minorités ethniques. Il est rare que des enquêtes soient menées sur la base de ce genre d’allégations, et les auteurs présumés de telles infractions ne sont quasiment jamais amenés à rendre des comptes, ce qui contribue à maintenir un climat d'impunité. Ce cas souligne, une fois encore, à quel point il est nécessaire que les autorités du Myanmar permettent à une mission d’établissement des faits mandatée par les Nations unies de se rendre dans le pays, d’enquêter sur les allégations de violations des droits humains, et d’émettre des recommandations visant à garantir l’établissement des responsabilités.
Amnistie internationale déplore par ailleurs que les autorités aient invoqué une loi répressive contre des personnes, et notamment des militants, qui se sont exprimées sur ces homicides. Le 22 décembre, plus d’une dizaine de manifestants pacifiques se sont rassemblés dans la ville de Loikaw pour protester contre ces homicides et réclamer justice. Cinq organisateurs de l’Union de la jeunesse de l’État kayah et du Syndicat des paysans de l’État kayah ont ensuite été accusés d’avoir porté atteinte à la Loi sur les réunions et processions pacifiques, un texte fréquemment utilisé par le passé dans le but d’étouffer l’opposition non violente. Ces militants ont été déclarés coupables le 12 janvier 2018, et sommés de payer une amende ou de purger une peine de 20 jours de prison. Ils ont choisi la peine de prison.
Amnistie internationale engage les autorités du Myanmar à respecter les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Les autorités ne doivent pas brandir la menace d’une arrestation et de poursuites pour dissuader des manifestants pacifiques d’exercer leurs droits, de réclamer justice et de demander des comptes. Elles devraient plutôt agir sans délai afin d’abroger ou de modifier la Loi sur les réunions et processions pacifiques, ainsi que tous les autres textes répressifs utilisés afin de restreindre arbitrairement ces droits.