Le Liban se dote d'une nouvelle loi contre la torture – enfin
En juillet 2017, un procureur militaire libanais a rejeté les allégations selon lesquelles quatre Syriens avaient été torturés à mort aux mains de l'armée libanaise, à la suite d'un raid contre un camp informel de réfugiés syriens dans la région d'Arsal.
À Amnistie internationale, nous avons analysé les photos des victimes avec l'aide d'experts médicolégaux et conclu qu'au moins trois de ces quatre hommes avaient subi un traumatisme à la tête, aux jambes et aux bras. Cela aurait dû déclencher une enquête approfondie, dont les conclusions auraient dû être rendues publiques. Pourtant, le procureur militaire a annoncé que ces hommes étaient morts de « causes naturelles », sans divulguer publiquement aucune autre information.
Sa décision ne fut pas une surprise. Ce n'était pas la première fois que l'armée était accusée de soumettre des détenus à la torture ou à d'autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Au cours des quatre dernières années, Amnistie internationale a recensé quatre cas de mort en détention des suites de torture – le nombre réel étant sans doute bien plus élevé. Tous ont été balayés : les victimes et leurs familles n’ont pas obtenu une once de justice de la part d’une justice militaire qui pèche par son manque de transparence et d'indépendance et ne devrait en aucun cas juger des civils.
C'est pour cette raison que les militants et les organisations de défense des droits humains ont exprimé une certaine déception lorsque la nouvelle loi contre la torture a été ratifiée en octobre 2017. En effet, cette loi ne précise pas explicitement que les tribunaux militaires ne sont pas qualifiés pour examiner les affaires comportant des allégations de torture. Selon le Code de justice militaire, tous les crimes impliquant des militaires sont soumis à la compétence des tribunaux militaires. La nouvelle loi dispose explicitement que les cas de torture seront examinés par des tribunaux ordinaires, mais cela n'empêche pas les tribunaux militaires d'enquêter et de se prononcer sur des allégations de torture liées à la sécurité et aux institutions militaires.
Des organisations nationales et internationales de défense des droits humains ont fait pression pendant des années sur les autorités libanaises pour qu’elles remédient aux crimes présumés de torture et respectent pleinement la Convention de l'ONU contre la torture ratifiée en 2000 – pour qu’enfin le Parlement libanais adopte la Loi visant à sanctionner la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Pour la première fois, le Code pénal libanais inclut une définition de la torture. Avant l'adoption de la loi, le droit national évitait toute criminalisation absolue de la torture. L'article 401 la définissait en termes vagues comme « des pratiques violentes non autorisées par la loi... dans l'intention d'extorquer les aveux d'un crime ou des informations afférentes ».
Tout en pénalisant la torture, la nouvelle loi précise le caractère irrecevable des déclarations extorquées sous la torture, demande au procureur général de prendre des mesures dans les 48 heures en cas de plaintes ou d'informations faisant état de torture, établit le droit à la réadaptation et déclare que la torture est un crime qui ne saurait se justifier par la nécessité ou des critères de sécurité nationale.
Cependant, le texte présente d'autres lacunes hormis la question de la juridiction des tribunaux militaires. Il prévoit par exemple un délai de prescription de trois à 10 ans dans les affaires de poursuites pour torture, qui débute au moment où la victime est libérée de prison ou de détention. Ce délai fait fi du droit international et des normes internationales et du droit des victimes d'obtenir justice et de disposer de recours. La loi restreint aussi les investigations sur les allégations de torture aux seuls actes qui se sont déroulés lors de phases précises des poursuites (avant la détention, investigations préliminaires, enquêtes judiciaires, procès ou exécution des peines). Elle ne prend pas en compte les actes qui ne s'inscrivent pas dans ce contexte, comme la violence lors des arrestations ou l'usage de la force contre des manifestants n'opposant pas de résistance. En d'autres termes, les responsables pourraient échapper aux poursuites dans des situations que cette loi ne couvre pas.
En bref, la nouvelle loi établit un cadre juridique national qui criminalise la torture, mais elle doit être pleinement mise en œuvre et doit être modifiée afin de résoudre les lacunes du droit national, qui permettent aux responsables de se soustraire à la justice.
Les organisations de défense des droits humains ont joué un grand rôle dans l’adoption de cette loi et ont encore un rôle aussi nécessaire que crucial à jouer dans le suivi de sa mise en œuvre et le travail de pressions en faveur d'amendements pour que les victimes bénéficient pleinement de l'obligation de rendre des comptes, de réparations et obtiennent justice.
Sahar Mandour est chercheuse sur le Liban à Amnistie internationale.