• 18 Sep 2018
  • Communiqué de presse

Le Japon se situe du mauvais côté de l'histoire face aux atrocités commises contre les Rohingyas au Myanmar

Le 2 août 2017, le général Min Aung Hlaing, commandant en chef de l'armée du Myanmar, est arrivé par avion à Tokyo.

Il était à la tête d'une délégation de hauts gradés de l'armée venus rencontrer leurs homologues des forces japonaises d'auto-défense ainsi que les représentants d’un organisme japonais de subvention. La question de la coopération a été examinée ; ils ont aussi dîné ensemble et échangé des cadeaux.

Un peu plus de trois semaines plus tard, le 25 août, les troupes sous le commandement de Min Aung Hlaing ont lancé une offensive de grande ampleur, systématique et meurtrière contre des centaines de villages rohingyas à la suite d'une série d'attaques sur des postes de sécurité commises par l'Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA), un groupe armé dont les membres appartiennent à cette minorité.

Lors des premiers jours de violence, ou encore lors de l'annonce, à la fin du mois de septembre, d’une aide humanitaire d'urgence pour les populations concernées dans l'État d'Arakan, le ministre des affaires étrangères du Japon a condamné les attaques menées pas l'ARSA mais a semblé exonérer les forces de sécurité du Myanmar.

En quelques mois, les terribles actes de violence ciblés commis par les forces armées ont poussé plus de 725 000 femmes, hommes et enfants rohingyas à fuir leur pays vers le Bangladesh voisin. Cet exode brutal constitue le plus grand déplacement massif de population depuis des décennies en Asie du Sud-Est. Un an après, celles et ceux qui ont fui se trouvent dans une impasse dans le plus grand camp de réfugiés du monde.

Amnistie internationale a recueilli des informations très précises sur les atrocités imputables à l'armée du Myanmar à l'égard des Rohingyas. Les militaires ont notamment incendié des villages, affamé la population, utilisé des mines terrestres et commis des crimes contre l'humanité, tels que des homicides, des viols, des actes de torture et le déplacement forcé et massif de la population rohingya. Lorsque les violences du début se sont quelque peu calmées, et une fois les maisons des Rohingyas incendiées et abandonnées, les autorités ont commencé à raser les villages rohingyas et à y construire de nouvelles bases pour les forces de sécurité. Elles maintiennent également en place un système d’apartheid déshumanisant visant les Rohingyas encore présents dans l'État d’Arakan.

Les recherches effectuées par Amnistie internationale ont spécifiquement mis en cause des unités de l'armée dans ces atrocités. Parmi elles figurent les 33e et 99e divisions d'infanterie légère, des unités de combat déployées dans le nord de l'État d'Arakan à la mi-août 2017 et qui ont exécuté des centaines de Rohingyas dans les villages de Chut Pyin et Min Gyi plus tard ce même mois.

Ces unités s’étaient déjà livrées à des atteintes aux droits humains. À la fin de l'année 2016 et au début de 2017, elles ont commis des crimes de guerre dans l'État kachin et dans le nord de l'État chan, où des violations des droits humains contre des civils issus des minorités ethniques continuent d'être signalées aujourd'hui.

Au cours de ses neuf mois de recherche, Amnistie internationale a rassemblé de nombreux éléments de preuve, notamment dans l'État d'Arakan et dans les camps de réfugiés du sud du Bangladesh. Elle a ainsi pu identifier et nommer 13 personnes qui devraient faire l'objet d'une enquête pénale pour crimes contre l'humanité. Parmi elles figure le commandant en chef des armées, le général Min Aung Hlaing.

Mais tandis que les preuves de crimes commis par l'armée du Myanmar s’accumulaient et que des hauts responsables des Nations unies qualifiaient ces actes de nettoyage ethnique, le gouvernement japonais ne s'est pas rallié à la vague de protestation mondiale ni n'a tenté de prendre ses distances vis-à-vis des responsables militaires du pays.

Lors d'une réunion avec Min Aung Hlaing à Naypyidaw en novembre 2017, le ministre d'État japonais aux affaires étrangères Kazuyuki Nakane a fait allusion à des « atteintes aux droits humains [...] présumées » dans le nord de l’État d’Arakan, sans critiquer toutefois les actions de l’armée du Myanmar. Il a au contraire réaffirmé les liens militaires étroits qui existent entre les deux pays.

Outre la coopération militaire, le Japon joue un rôle important dans les affaires du Myanmar. En janvier 2018, le gouvernement japonais a annoncé qu’il allait fournir une enveloppe supplémentaire de 20 millions de dollars des États-Unis destinée à l’aide humanitaire et au développement dans l’État d’Arakan. Au titre de grand donateur, le Japon a le devoir de faire en sorte de ne pas contribuer à ce que des crimes relevant du droit international continuent d’être perpétrés dans le pays, en particulier des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

Puis le Japon, tout comme neuf autres pays, a décidé de s’abstenir de voter, en mars 2018, lorsque le Conseil des droits de l'homme des Nations unies a adopté une résolution « condamn[ant] fermement les violations des droits de l’homme et atteintes à ceux-ci généralisées, systématiques et flagrantes qui seraient commises dans l’État Rakhine ».

Les déclarations officielles du Japon concernant ce qui s’est passé dans l’État d’Arakan ou son silence sur la question ont de l’importance.

Il était donc étonnant qu’un jour à peine après la publication, par les Nations unies, d’un rapport explosif demandant que les hauts responsables de l’armée du Myanmar soient poursuivis pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, l’ambassadeur du Japon au Myanmar rencontre le général en chef Min Aung Hlaing afin de discuter des relations bilatérales et de « promouvoir l’amitié entre les deux forces armées ».

Cet acte de soutien ne devrait peut-être pas apparaître comme une surprise. Plusieurs semaines auparavant, quand le ministre des Affaires étrangères japonais Taro Kono avait rencontré Min Aung Hlaing, ce dernier l’avait reçu chaleureusement et avait salué le Japon comme un pays « ami ». À cette occasion non plus, Taro Kono n’avait pas condamné le nettoyage ethnique. À la place, il avait exprimé son appui pour une « commission d’enquête indépendante » nationale sur la situation dans l’État d’Arakan - cette commission comprenant d’ailleurs un ancien ambassadeur japonais.

Il y a toutefois peu d’espoir que cette enquête permette de rendre justice. Il est peu probable que les autorités du Myanmar mènent une enquête en bonne et due forme sur les crimes commis contre les Rohingyas. De précédentes investigations ont été caractérisées par un manque d’indépendance, d’impartialité et de compétence. Par ailleurs, les victimes et les témoins ont été harcelés et ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation. Rien n’indique que ce nouvel organe sera différent.

Il est temps que la communauté internationale intervienne et que le Japon se joigne à elle.

Il est indispensable que des mesures solides et décisives soient prises lorsque le Conseil des droits de l'homme et l’Assemblée générale de l’ONU se réuniront dans les semaines à venir, afin d’ouvrir la voie à la justice pour la population rohingya et les minorités ethniques qui subissent des attaques dans le nord du Myanmar.

Amnistie internationale exhorte le Japon et tous les autres États à réclamer justice, vérité et réparation en mettant en place un mécanisme indépendant visant à recueillir et à conserver les éléments attestant que des crimes de droit international ont été commis. L’organisation encourage également le Conseil de sécurité des Nations unies à saisir de toute urgence le procureur de la Cour pénale internationale au sujet de la situation au Myanmar.

Le Japon doit condamner sans équivoque les crimes commis par l’armée du Myanmar contre les Rohingyas et les autres minorités ethniques et faire pression pour que les personnes dont la responsabilité pénale serait engagée soient jugées dans le cadre de procès équitables. À moins de sortir de son silence à propos des crimes commis dans le nord de l’État d’Arakan au Myanmar, le Japon restera du mauvais côté de l’histoire.

Lisa Tassi, directrice adjointe d’Amnistie internationale pour l'Asie de l'Est