• 24 jan 2018
  • Iran
  • Communiqué de presse

Le port obligatoire du voile est insultant, discriminatoire et humiliant. La persécution des femmes qui s’y opposent pacifiquement doit cesser

Les autorités iraniennes doivent libérer immédiatement et sans condition une femme arrêtée le 27 décembre 2017 à Téhéran pour avoir participé à une manifestation pacifique contre le port obligatoire du voile (hijab), a déclaré Amnistie internationale mercredi 24 janvier 2018. L’organisation a une nouvelle fois demandé aux autorités iraniennes de cesser de persécuter les femmes qui dénoncent l’obligation de porter le voile et d’abolir cette pratique discriminatoire et humiliante. Depuis des décennies, elle bafoue les droits des femmes en Iran, notamment leurs droits à la non-discrimination, à la liberté de conviction et de religion, à la liberté d’expression, ainsi que le droit d’être protégées contre les arrestations et détentions arbitraires, la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Dans une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux depuis le mercredi 27 décembre 2017, une femme se tient debout sur une structure en béton dans un secteur très passant de la rue Enqelab (révolution) de Téhéran, tête nue et en agitant en silence un drapeau blanc, semble-t-il pour protester contre le code vestimentaire islamique obligatoire dans le pays, qui contraint les femmes à se couvrir les cheveux avec un foulard, entre autres obligations. Cette vidéo a d’abord été obtenue et diffusée par White Wednesdays (mercredis blancs), une campagne populaire qui encourage les femmes à partager chaque mercredi sur les réseaux sociaux des photos et des vidéos d’elles avec un foulard ou d’autres vêtements blancs, pour protester contre le port obligatoire du voile.

D’après trois témoins, des agents des forces de l’ordre ont arrêté cette femme sur place avant de la conduire dans un centre de détention à proximité, appelé Kalantari 148. Depuis, aucune indication sur son sort et l’endroit où elle se trouve n’a été rendue publique, ce qui a suscité des craintes concernant sa sécurité et son bien-être et a poussé des milliers de personnes à participer à une campagne sur les réseaux sociaux avec le hashtag anglais #Where_is_She? (où est-elle ?) et son équivalent en persan[1]. D’après des informations issues de deux sources indépendantes, Amnistie internationale pense que la famille de cette femme a choisi de ne pas révéler son nom jusqu’à présent, en raison de préoccupations pour sa sécurité.

Le 22 janvier 2018, Nasrin Sotoudeh, une avocate de renom, a expliqué sur sa page Facebook qu’elle avait fait des recherches et découvert que cette femme avait été libérée après son arrestation, avant d’être à nouveau placée en détention. Elle a indiqué que le bureau du procureur de la zone 6 de Téhéran avait engagé des poursuites pénales contre elle. D’après des informations obtenues et partagées publiquement par Nasrin Sotoudeh, cette femme est âgée d’environ 31 ans et a un enfant de 19 mois.

Amnistie internationale a appris que, le même jour, le 27 décembre 2017, une autre femme, âgée d’environ 18 ans, a également été arrêtée à Téhéran pour avoir manifesté pacifiquement contre le port du voile obligatoire. Pour des raisons de sécurité, son nom n’a pas été révélé non plus par sa famille et son avocat. Elle est maintenue en détention provisoire à la prison de Gharchak, à Varamin, près de Téhéran, où des femmes reconnues coupables d’infractions pénales violentes sont incarcérées dans de très mauvaises conditions.

PERSÉCUTION DE FEMMES QUI ONT DÉNONCÉ LE PORT OBLIGATOIRE DU VOILE

Les arrestations du 27 décembre 2017 semblent s’inscrire dans le cadre d’une vague de répression contre les femmes qui s’opposent pacifiquement à l’obligation de porter le voile en Iran, notamment en rejoignant et en soutenant la campagne White Wednesdays. Amnistie internationale craint que les femmes qui participent à cette campagne ne s’exposent à des risques d’arrestations, d’interrogatoires, de poursuites et d’emprisonnement.

Le 15 août 2017, la défenseure des droits humains Shima Babaee a reçu un appel téléphonique menaçant de la part du bureau de la police de la sécurité des mœurs (amniat-e akhlaghi) de Téhéran, qui l’a convoquée pour l’interroger. Cela faisait suite à la publication sur les réseaux sociaux de White Wednesdays de plusieurs vidéos dans lesquelles elle s’exprimait contre le port obligatoire du voile. Lorsqu’elle a refusé de s’y rendre, les autorités de la police de la sécurité des mœurs lui ont adressé une convocation écrite lui demandant de se présenter à leur bureau de Téhéran le 19 août 2017. Ce jour-là, Shima Babaee a été interrogée pendant une heure et demie environ, en l’absence d’un avocat. Elle a affirmé que les personnes qui l’ont interrogée lui ont posé des questions agressives, l’accusant d’avoir participé à une campagne « antirévolutionnaire » et d’avoir « désobéi » aux lois du pays.

Selon elle, les personnes qui l’interrogeaient ont crié et l’ont injuriée quand elle a souligné qu’elle avait le droit d’exprimer pacifiquement son opposition au port obligatoire du voile en portant un foulard blanc. Lorsque son père, qui était présent dans la salle, a protesté contre ces agressions verbales, deux agents de sécurité l’ont attrapé par les bras et l’ont poussé contre la porte. Shima Babaee et son père ont ensuite été transférés au bureau du procureur de la zone 21 de Téhéran. Ils y ont appris qu’elle serait placée en détention jusqu’à ce qu’une caution soit versée pour sa libération et que son père, Ebrahim Babaee, serait inculpé d’« outrage à des représentants de l’État ». Elle a ensuite été conduite au centre de détention de Vozara, à Téhéran, où elle est restée plusieurs heures, avant que sa famille n’obtienne sa libération sous caution.

Depuis, le même bureau de la police de la sécurité des mœurs de Téhéran l’a convoquée plusieurs fois par téléphone, mais elle a refusé de s’y rendre, car, selon la loi iranienne, il est illégal de convoquer une personne à un interrogatoire par téléphone.

En novembre 2017, le père de Shima Babaee a reçu une convocation écrite lui demandant de se présenter dans un délai de cinq jours au bureau du procureur de la zone 21 de Téhéran pour une enquête complémentaire. Sa famille a sollicité une prolongation du délai, car il se trouve temporairement à l’étranger pour recevoir des soins médicaux spécialisés en raison de problèmes cardiaques. Les autorités ont d’abord refusé leur demande et émis un mandat d’arrêt contre lui, mais elles ont fini par accepter de reporter l’interrogatoire jusqu’à son retour en Iran.

Les femmes qui s’opposent au port obligatoire du voile font également l’objet de campagnes de diffamation virulentes dans les médias d’État. L’exemple le plus extrême est celui de Masih Alinejad, une journaliste iranienne travaillant aux États-Unis et défenseure des droits humains. Elle est la fondatrice de White Wednesdays et d’une autre campagne populaire en ligne appelée My Stealthy Freedom (ma liberté furtive), qui encourage les femmes iraniennes à publier sur Internet des photos d’elles sans foulard pour signifier leur opposition au port obligatoire du voile. Des médias approuvés par l’État ont publié des articles montés de toutes pièces qui la qualifiaient de « traînée » et, en juin 2017, ont prétendu qu’elle avait été « violée en réunion après avoir fait une overdose de cocaïne et s’être entièrement déshabillée dans la rue ». Au cours de la même période, elle a aussi reçu un certain nombre de menaces de mort de la part de comptes de réseaux sociaux semble-t-il affiliés aux services de renseignements iraniens et à d’autres forces de sécurité du pays.

Des défenseures des droits humains qui ont dénoncé l’obligation de porter le voile en Iran ont aussi été accusées d’« outrage à l’islam » et reçoivent des menaces de mort. En octobre 2016, la défenseure des droits humains iranienne Atena Daemi a publié le message suivant sur sa page Facebook : « Le juge m’a dit qu’en m’opposant à l’obligation de porter le voile, je m’opposais aux préceptes clairs du Coran, que j’avais insulté des figures saintes et que je devais être condamnée à la peine de mort. » Elle a finalement été reconnue coupable de plusieurs chefs d’accusation relatifs à la sécurité nationale, uniquement en raison de son militantisme pacifique, et elle a été condamnée à sept ans de prison, une peine qu’elle purge actuellement.

Amnistie internationale constate aussi avec inquiétude que les autorités continuent de confisquer des voitures aux femmes qui laissent tomber leur foulard sur leurs épaules en conduisant. L’organisation a examiné deux vidéos obtenues par la campagne White Wednesdays, qui montrent des témoignages de femmes iraniennes ayant subi ce traitement en janvier 2018.

VIOLATIONS SYSTÉMATIQUES DES DROITS DES FEMMES DUES AU PORT OBLIGATOIRE DU VOILE

Aux termes de l’article 368 du Code pénal islamique iranien, tout acte considéré comme « portant atteinte » à la décence publique est puni d’une peine de 10 jours à deux mois de prison, ou de 74 coups de fouet. Une note explicative se rapportant à cet article précise que les femmes qui se montrent en public sans voile sont passibles d’une peine de 10 jours à deux mois de prison ou d’une amende. La loi s’applique aux filles dès neuf ans, l’âge minimum de la responsabilité pénale pour les filles en Iran. En pratique, les autorités imposent le port obligatoire du voile à partir de l’âge de sept ans pour les filles, c’est-à-dire lorsqu’elles entrent à l’école élémentaire.

Ces dispositions et pratiques juridiques, qui sont renforcées par des dizaines de règles et politiques supplémentaires, donnent à la police et aux forces paramilitaires les moyens d’arrêter et de placer en détention de façon arbitraire des dizaines de milliers de femmes chaque année, pour avoir laissé apparaître des mèches de cheveux sous leur foulard ou pour avoir porté un manteau, des manches ou un pantalon courts et colorés.

Les femmes iraniennes sont régulièrement victimes de harcèlement verbal et d’agressions physiques de la part de la police et des forces paramilitaires. Par exemple, leurs agents prennent les femmes pour cibles en les arrêtant de manière aléatoire dans la rue, les couvrent de menaces et d’insultes, leur demandent de remettre leur foulard pour cacher leurs cheveux, leur donnent des mouchoirs pour effacer leur maquillage devant des agents de la police des mœurs, attrapent les femmes par les bras, les giflent, les frappent à coups de poing et de matraque, les menottent et les font violemment monter dans des fourgons de police. Ces actes s’apparentent à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui sont absolument interdits par le droit international, notamment par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’Iran est partie.

Sur la base des règles et politiques adoptées et appliquées par divers organes du gouvernement, des millions de femmes se sont aussi vu refuser l’entrée de lieux publics tels que des aéroports, des campus universitaires, des centres de loisirs, des hôpitaux et des bureaux du gouvernement, ont été exclues d’écoles et d’universités, et ont été licenciées de leur emploi pour des raisons arbitraires, par exemple parce que des cheveux dépassaient de leur foulard, parce que leur maquillage semblait « excessif » ou parce qu’elles portaient un pantalon, un foulard ou un manteau court, serré ou coloré.

Certains espaces publics et institutions du gouvernement sont allés plus loin en interdisant totalement l’entrée aux femmes qui ne portaient pas de tchador noir, une grande pièce de tissu drapé autour de la tête et du haut du corps, qui ne laisse apparaître que le visage.

Depuis des décennies, les autorités iraniennes appliquent des lois et des règles sur le port obligatoire du voile qui bafouent les droits humains des femmes et conduisent à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi qu’à des arrestations et placements en détention arbitraires. Les autorités iraniennes doivent cesser de prétendre que la timide annonce faite récemment par le chef de la police de Téhéran va protéger les droits des femmes. Elles doivent au contraire abroger immédiatement l’article 368 du Code pénal islamique et abolir la règle humiliante et discriminatoire qui interdit aux femmes de se montrer en public sans foulard.

CONTEXTE JURIDIQUE

Le principe de non-discrimination, en particulier l’égalité entre les hommes et les femmes et plus globalement entre tous les genres, est un principe essentiel du droit international relatif aux droits humains. Il est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et garanti par plusieurs traités ratifiés par l’Iran et juridiquement contraignants, notamment la Charte des Nations unies et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

En vertu du droit international, les États sont dans l’obligation de respecter les droits humains de toutes et de tous sans aucune discrimination ; de protéger ces droits contre toute atteinte commise par des tiers, y compris des acteurs privés appartenant à la famille ou à l’entourage des personnes ; et de veiller à ce que ces droits puissent être exercés dans la pratique.

Ils ne peuvent donc pas obliger de façon globale les femmes à s’habiller ou à ne pas s’habiller d’une certaine façon, et ils doivent protéger les femmes contre les contraintes imposées dans ce domaine par des tiers.

Cette règle est valable dans les deux sens : ni l’État ni des acteurs non gouvernementaux ne doivent forcer les femmes à porter un foulard ou un voile, mais il n’est pas non plus correct que la législation leur interdise de le porter.

L’obligation de respecter des règles vestimentaires traditionnelles, culturelles ou religieuses, qu’elle soit imposée par l’État ou par des acteurs privés, bafoue les droits des femmes à la liberté d’expression et à la liberté de religion ou de conviction. Les femmes doivent être libres de décider si elles souhaitent ou non porter des signes ou des vêtements particuliers du fait de leurs convictions religieuses, de leurs coutumes culturelles ou pour tout autre motif.

[1] Le hashtag utilisé en persan est کجاست_انقالب_خیابان_دختر#