Vingt-neuf ans après la répression de Tiananmen, le temps presse pour les familles des victimes qui espèrent obtenir justice
La nuit du 3 au 4 juin 1989, des troupes de l’Armée populaire de libération ont pénétré dans Pékin pour mettre fin à des semaines de manifestations pacifiques et d’occupation de la place Tiananmen par des étudiants qui demandaient des réformes politiques. Des centaines, si ce n’est des milliers, de manifestants non armés ont été tués.
Alors que le 29e anniversaire de ces événements approche, Amnistie internationale demande une nouvelle fois qu’une enquête approfondie soit menée sur la répression militaire de 1989, et que le gouvernement protège pleinement les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
Amnistie internationale demande une nouvelle fois au gouvernement chinois :
- d’ouvrir une enquête transparente et indépendante sur la répression et d’amener les responsables présumés d’atteintes aux droits humains à rendre des comptes ;
- de reconnaître publiquement les violations des droits humains qui ont été commises au cours de la répression et de rendre public le nombre de morts et de blessés ;
- d’accorder une indemnisation adéquate aux victimes de la répression et à leurs familles ;
- de cesser de harceler et de poursuivre en justice les personnes qui exercent pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression et de réunion, notamment celles qui demandent une nouvelle analyse des manifestations qui se sont déroulées sur la place Tiananmen en 1989 et celles qui souhaitent commémorer ces événements, et de libérer immédiatement les personnes détenues pour ces raisons.
Le gouvernement chinois n’a jusque-là pas reconnu sa responsabilité dans les violations des droits humains qui ont été commises au cours de la répression militaire, et n’a jamais amené les responsables présumés à rendre des comptes.
Pour les proches des personnes tuées pendant la répression qui espèrent que justice soit rendue de leur vivant, notamment les Mères de Tiananmen, une association demandant une enquête sur la répression, le temps presse. Selon You Weijie, porte-parole des Mères de Tiananmen, 51 membres de ce groupe sont déjà décédés.
Wang Fandi est décédé en décembre 2017 à l’âge de 84 ans. Son fils, Wang Nan, avait été abattu lors de la répression alors qu’il avait 19 ans. Wang Fandi était spécialiste du pipa (luth chinois) et professeur au Conservatoire de musique de Chine. Sa femme, Zhang Xianling, a cofondé les Mères de Tiananmen avec Ding Zilin. Avant de mourir, Wang Fandi a déclaré qu’il avait peu d’espoir que le gouvernement change sa position sur la répression de Tiananmen, mais il a ajouté : « Les Mères de Tiananmen n’abandonneront jamais, et nous sommes déterminés à faire valoir la vérité et à demander que les responsables soient amenés à rendre des comptes. »
En février 2018, Li Xuewen, une autre membre importante des Mères de Tiananmen, est décédée à l’âge de 90 ans. Son fils, Yuan Li, était chercheur et avait 29 ans lorsqu’il a été tué pendant la répression.
Parallèlement, les autorités chinoises continuent de censurer systématiquement toute référence à la répression militaire et de harceler, réduire au silence et poursuivre en justice les personnes rendant hommage aux victimes de la répression de Tiananmen.
En mai 2016, Fu Hailu, Chen Bing, Zhang Junyong et Luo Fuyu, quatre amis, ont produit une bouteille de baijiu spécial (un alcool chinois) pour commémorer la répression de Tiananmen. Ils ont été rapidement arrêtés et ont été officiellement inculpés d’« incitation à la subversion du pouvoir de l’État » en mars 2017. Aujourd’hui, près de deux ans après leur arrestation, ils sont toujours détenus par les autorités, mais n’ont pas encore été jugés. La Cour populaire suprême a de nouveau repoussé l’affaire de trois mois en mai. Liu Tianyan, la femme de Fu Hailu, s’est plainte de la façon dont le gouvernement gère l’affaire, car « le procès n’a pas eu lieu et [le tribunal n’a] pas rendu de décision », laissant ainsi la famille dans l’incertitude.
Le 4 juin 2017, Shi Tingfu, un militant de longue date, a prononcé un bref discours devant le Mémorial du massacre de Nanjing. Il portait un t-shirt avec l’inscription « N’oubliez pas le 4 juin 1989 : Commémorez le 4 juin » et a dit aux personnes présentes de ne pas oublier la date du 4 juin. Il a été arrêté pour avoir « cherché à provoquer des conflits et troublé l’ordre public » et a été condamné à un an de prison avec sursis et mise à l’épreuve pendant 18 mois le 12 février 2018.
D’après Radio Free Asia, en mai, un tribunal a condamné Omerjan Hesen, 39 ans, et Elijan Ehmet, 35 ans, deux fonctionnaires ouïghours, à 11 ans d’emprisonnement pour avoir regardé un reportage en anglais sur la répression de Tiananmen. Ces deux hommes ont été accusés d’« hypocrisie », une accusation politique vague utilisée contre les Ouïghours dont la loyauté politique est remise en question par les autorités hans.
Dong Guangping, un militant en faveur de la démocratie, a fait face à de nombreuses difficultés depuis qu’il a participé, en février 2014, à un événement public en mémoire des victimes de la répression de 1989. Dong Guangping a été arrêté en mai 2014 en même temps que neuf autres personnes. Le cas de ces 10 hommes est devenu connu sous le nom de l’affaire des « dix gentlemen de Zhengzhou ». Dong Guangping n’a été libéré qu’en février 2015, et a ensuite fait l’objet d’une étroite surveillance. Pour échapper au harcèlement incessant exercé par les autorités, il s’est enfui en Thaïlande en septembre 2015 et a déposé une demande de statut de réfugié. Il a été renvoyé de force en Chine par les autorités thaïlandaises en novembre 2015, alors que le HCR lui avait accordé le statut de réfugié et avait confirmé sa réinstallation dans un pays tiers. Il a été inculpé de « subversion du pouvoir de l’État » et de « franchissement illégal de la frontière », et est détenu au secret depuis son renvoi forcé.
En septembre, Lee Ming-cheh, un militant taiwanais, a « avoué » devant un tribunal de Yueyang (province du Hunan, en Chine) qu’il avait parlé de la répression de Tiananmen sur Internet. Il est presque certain qu’il a récité des « aveux » rédigés à l’avance. Ces déclarations ont été admises parmi les éléments de preuve présentés par le parquet pour étayer les accusations de « subversion du pouvoir de l’État », ce qui démontre non seulement que le gouvernement continue d’interdire les discussions sur les événements de 1989, mais également que des commentaires à ce sujet publiés sur Internet peuvent être utilisés comme éléments de preuve lors d’un procès.
Zhu Yufu, un poète et militant qui avait participé au mouvement de 1989 en faveur de la démocratie, est sous surveillance depuis qu’il a été libéré après avoir purgé une peine de sept ans d’emprisonnement pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’État ». Le tribunal ayant prononcé la condamnation a statué que le poème de Zhu Yufu intitulé It’s Time (Il est temps, en français), diffusé via Skype, justifiait une sanction sévère. Ce poème contenait les vers suivants (traduits en anglais) :
It’s time, people of China! It’s time.
The Square belongs to everyone.
With your own two feet
It's time to head to the Square and make your choice.
En français :
Il est temps, peuple de Chine ! Il est temps.
La Place appartient à tous.
Levez-vous
Il est temps de marcher vers la Place et de faire un choix.
En effet, il est temps. Le gouvernement chinois ne peut pas continuer éternellement à se soustraire à son obligation de rendre des comptes, à dissimuler des informations et à réduire au silence les personnes commémorant les événements de la place Tiananmen.
Il est plus urgent que jamais que le gouvernement affronte son histoire et veille à ce que les victimes de la répression de Tiananmen et leurs familles obtiennent enfin justice.