Il faut ouvrir une enquête exhaustive sur les exécutions extrajudiciaires présumées
Le gouvernement du Bangladesh doit ouvrir sans délai une enquête impartiale et efficace sur les homicides d’au moins 127 personnes commis par le Bataillon d’action rapide, une unité d’élite de la police bangladaise. Amnistie internationale demande au gouvernement de traduire tous les responsables présumés d’homicides illégaux en justice dans le cadre de procès équitables, devant des tribunaux civils de droit commun et sans recours à la peine de mort. Ces homicides ont été commis dans le contexte d’une répression contre les trafiquants de drogue présumés menée dans tout le pays depuis mai 2018. Le recours à la force meurtrière par le Bataillon d’action rapide a fait au moins 127 morts, et ces homicides pourraient s’apparenter à des exécutions extrajudiciaires, un crime au titre du droit international.
Le 3 mai 2018, la Première ministre Sheikh Hasina a ordonné au Bataillon d’action rapide d’endiguer le problème de toxicomanie en continuant de mener ses opérations de lutte contre les stupéfiants. Formé en 2004, le Bataillon d’action rapide est une « unité d’élite de la police bangladaise chargée de la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Il est composé de membres de la police, de l’armée, de la marine, de l’armée de l’air et de la police des frontières bangladaises ainsi que de membres du groupe paramilitaire des Ansar ». Ces opérations de lutte contre les stupéfiants ont provoqué la mort d’au moins 127 personnes, et plus de 11 000 trafiquants de drogue présumés ont été arrêtés. Des commandants du Bataillon d’action rapide et le ministre de l’Intérieur (auquel le Bataillon d’action rapide est rattaché) ont déclaré séparément que ces morts étaient le résultat de violences armées lors de ces opérations. D’après eux, ces personnes auraient été tuées lors d’affrontements soit entre des trafiquants de drogue et des responsables de l’application des lois, soit entre des gangs rivaux. Cependant, les proches de certaines des personnes décédées affirment que les victimes ont été arrêtées à leur domicile par des responsables de l’application des lois et exécutées.
Les homicides de trafiquants de drogue présumés par un organe étatique responsable de l’application des lois ont commencé après un discours de la Première ministre Sheikh Hasina. L’absence d’enquêtes, de poursuites judiciaires et d’obligation de rendre des comptes pour ces homicides pourrait bafouer les droits à la vie et à un procès équitable, garantis par les obligations internationales du Bangladesh en matière de droits humains. Le Bangladesh est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi qu’à plusieurs autres instruments relatifs aux droits humains, et est donc tenu de garantir les droits prévus par ces instruments pour tous les citoyens. Le droit à la vie, consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, prévoit le devoir pour l’État d’« empêcher que [ses] propres forces de sécurité ne tuent des individus de façon arbitraire ». Le droit à la vie est également garanti par l’article 32 de la Constitution du Bangladesh.
Cette vague d’homicides révèle également des violations du droit à un procès équitable. La présomption d’innocence et le droit « à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi » sont des garanties fondamentales que le Bangladesh est tenu de respecter au titre du droit international.
De plus, il est possible que la mort de trafiquants de drogue présumés lors d’« affrontements » avec la police ne soit qu’un écran de fumée destiné à dissimuler des exécutions extrajudiciaires et le non-respect du droit à un procès équitable, et en particulier du droit à la présomption d’innocence et du droit de bénéficier d’un procès devant un tribunal civil de droit commun. Amnistie internationale avait déjà dénoncé le fait que le Bataillon d’action rapide ait invoqué des « échanges de tirs », des « affrontements armés », des morts accidentelles et des actes de légitime défense pour justifier des exécutions extrajudiciaires au Bangladesh. Dans ce contexte, ces récents homicides justifient l’ouverture de toute urgence d’une enquête indépendante.
Les exécutions extrajudiciaires sont des homicides commis délibérément et en toute illégalité sur ordre du gouvernement ou avec sa complicité ou son assentiment. Le bureau du rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires définit une exécution extrajudiciaire comme « tout homicide qui enfreint le droit international relatif aux droits humains ou le droit international humanitaire, notamment les “homicides illégaux commis par la police”, les “morts en détention militaire ou civile” et les “homicides commis par des particuliers et qui ne font pas l’objet d’enquêtes convenables et de poursuites par les autorités” ». Le Bangladesh est tenu, au titre des normes internationales relatives aux droits humains, d’ouvrir des enquêtes sur les responsables présumés de ces homicides et de les traduire en justice, faute de quoi les autorités bafoueraient le droit international.
Le recours à une force meurtrière par le Bataillon d’action rapide pourrait par ailleurs constituer une violation des obligations du Bangladesh au regard du droit international coutumier. Les responsables de l’application des lois doivent recourir à la force de manière strictement proportionnelle à « la gravité de l’infraction » et à « l’objectif légitime à atteindre ». Ils doivent s’efforcer de ne causer que le minimum de dommages et d’atteintes à l’intégrité physique et veiller à ce qu’une assistance et des secours médicaux soient fournis à toute personne blessée. Les armes à feu ne doivent être utilisées qu’en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs.
À la lumière de la gravité des crimes commis lors des opérations de lutte contre les stupéfiants par le Bataillon d’action rapide depuis mai 2018, Amnistie internationale appelle le gouvernement bangladais à :
1. demander immédiatement au Bataillon d’action rapide et à tous les organes chargés de l’application des lois impliqués de mettre fin au recours à la force meurtrière dans le cadre de la répression visant les trafiquants de drogue présumés ;
2. suspendre immédiatement de ses fonctions tout agent du Bataillon d’action rapide ou d’un organe responsable de l’application des lois soupçonné d’être impliqué dans le recours à une force illégale ayant entraîné la mort ou des blessures parmi les civils, dans l’attente d’une enquête officielle et de poursuites contre ces agents ;
3. veiller à ce que toute personne soupçonnée d’infractions à la législation sur les stupéfiants soit jugée devant un tribunal civil de droit commun, dans le cadre d’un procès équitable et sans recours à la peine de mort ;
4. diligenter des enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces sur les homicides de trafiquants de drogue présumés commis par le Bataillon d’action rapide ou d’autres groupes depuis le 3 mai 2018, et poursuivre devant des tribunaux civils de droit commun et sans recours à la peine de mort les responsables présumés, y compris les personnes exerçant des fonctions de commandement ;
5. accorder des réparations pleines et entières aux survivants, à leurs familles et à toute personne ayant subi un préjudice direct du fait d’une exécution extrajudiciaire.