Thaïlande. Les autorités doivent mettre un terme aux campagnes de dénigrement et aux cyberattaques malveillantes contre la société civile

Amnistie internationale a appelé les autorités thaïlandaises à mener des enquêtes et à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme aux cyberattaques contre les défenseur·e·s des droits humains, après la fuite de documents internes du gouvernement révélant que l’organisation figurait parmi plusieurs groupes de la société civile visés par une campagne coordonnée et soutenue par le gouvernement.
Ces documents, qui ont été mis au jour lors d’un récent débat parlementaire, ont révélé que la police et des unités militaires thaïlandaises dirigent ensemble une « Équipe numérique » qui a délibérément cherché à ternir la réputation d’organisations de la société civile et de membres de l’opposition politique et à entraver leur travail légitime.
Cette équipe a également mené des attaques d’hameçonnage et des tentatives d’attaques par force brute en vue d’accéder à des comptes de réseaux sociaux. L’ancienne directrice d’Amnistie internationale Thaïlande fait partie des personnes prises pour cible.
« Ces cyberattaques constituent une attaque scandaleuse contre l’espace civique en Thaïlande. Les autorités thaïlandaises doivent immédiatement mettre un terme à ces campagnes de dénigrement malveillantes contre des défenseur·e·s et des militant·e·s des droits humains », a déclaré Chanatip Tatiyakaroonwong, spécialiste de la Thaïlande à Amnistie internationale.
« Le gouvernement thaïlandais doit prendre toutes les mesures nécessaires pour révéler toutes les informations sur l’implication d’acteurs étatiques et amener tous les responsables à rendre des comptes, que ces personnes soient des représentant·e·s de l’État, des membres des forces de sécurité ou des personnes privées. »
Amnistie internationale figurait parmi les « cibles de grande importance »
Lors d’un débat parlementaire sur une motion de censure le 25 mars 2025, le parlementaire d’opposition Chayaphon Satondee a révélé des documents internes qui avaient fuité concernant une Équipe numérique dirigée par un Centre de commandement conjoint géré par la police et des unités militaires, notamment du Commandement des opérations de sécurité intérieure.
D’après les documents révélés, Amnistie internationale était explicitement citée comme « cible de grande importance ». D’autres organisations non gouvernementales internationales, groupes locaux de la société civile, militant·e·s de premier plan et personnalités prodémocratie figuraient aussi sur la liste, notamment les organisations de défense des droits humains Thai Lawyers for Human Rights (TLHR, Avocats thaïlandais pour les droits humains) et iLaw, ainsi que la jeune défenseure des droits humains Anna Annanon.
L’Équipe numérique a diffusé des contenus néfastes et diffamatoires en ligne. Par exemple, en réponse aux publications d’Amnistie internationale sur les réseaux sociaux concernant le recours excessif à la force contre des manifestant·e·s en Thaïlande, l’Équipe numérique a ordonné à des responsables de répliquer en dépeignant les manifestant·e·s comme étant violents.
Les documents indiquent que pendant la période électorale de 2023, l’Équipe numérique a pris pour cible les comptes de réseaux sociaux de militant·e·s et d’opposant·e·s politiques de premier plan, notamment la directrice d’Amnistie internationale Thaïlande de l’époque Piyanut Kotsan, par des attaques par force brute visant à compromettre leur sécurité numérique.
Une attaque par force brute est utilisée pour obtenir l’accès non autorisé à des systèmes, des réseaux ou des données cryptées, en essayant systématiquement toutes les combinaisons possibles de nom d’utilisateur ou de mots de passe, jusqu’à trouver la bonne, par une approche par essais et erreurs.
Au moins jusqu’à octobre 2024, l’Équipe numérique a continué de surveiller activement les plateformes de réseaux sociaux d’Amnistie internationale. Les documents révélés montrent que des responsables ont reçu pour instruction de répondre agressivement aux contenus perçus comme des menaces pour la sécurité nationale, notamment la campagne d’Amnistie internationale demandant l’abandon des accusations contre des manifestant·e·s pacifiques et mettant en lumière des atteintes aux droits humains, comme les homicides illégaux de manifestant·e·s musulmans appartenant à l’ethnie malaise à Tak Bai, dans la province de Narathiwat.
Des pratiques numériques autoritaires continues en Thaïlande
En réponse à ces allégations, pendant le débat parlementaire, un représentant du gouvernement thaïlandais a catégoriquement nié toute implication dans la campagne d’attaques numériques. Les gouvernements thaïlandais successifs ont systématiquement réfuté des accusations similaires de ciblage de militant·e·s, de défenseur·e·s des droits humains et de personnalités politiques d’opposition, souvent dans un contexte d’extrême opacité, et même en dépit d’éléments de preuve techniques et indiciaires. Cependant, ces nouvelles révélations correspondent aux observations d’Amnistie internationale montrant que les pratiques numériques autoritaires sont un problème chronique en Thaïlande.
De précédentes recherches d’Amnistie internationale publiées en mai 2024 avaient révélé le recours systématique des autorités et acteurs étatiques thaïlandais à la surveillance numérique ciblée et au harcèlement en ligne, notamment par des campagnes de dénigrement, touchant de manière disproportionnée les femmes et les personnes LGBTI défendant les droits humains. Ces violences numériques ont été déployées de manière systématique pour attaquer des défenseur·e·s des droits humains, réprimer l’engagement citoyen et restreindre sévèrement la liberté d’expression.
En novembre 2024, le Comité des Nations unies contre la torture a en outre exprimé de graves préoccupations concernant le recours de la Thaïlande à des logiciels espions et des campagnes de dénigrement numériques contre des défenseur·e·s des droits humains, appelant à des enquêtes rapides, minutieuses et impartiales sur ces faits.
Amnistie internationale avait déjà fait partie des organisations de la société civile prises pour cible dans le cadre d’attaques numériques. En février 2021, le rapport de Meta sur les Comportements inauthentiques coordonnés a confirmé que le Commandement des opérations de sécurité intérieure avait orchestré une opération coordonnée inauthentique en ligne visant Amnistie internationale, entre autres organisations de la société civile et militant·e·s.
L’ancienne directrice d’Amnistie internationale Thaïlande Piyanut Kotsan a également été la cible à plusieurs reprises de campagnes de dénigrement en ligne intenses recourant à des discours violents fondés sur le genre, à des menaces de violences sexuelles et à de fausses informations, qui s’étaient notamment intensifiées après le début des mouvements de manifestations menés par des étudiant·e·s en 2020.
« Les organisations de la société civile ont à plusieurs reprises recensé des vagues d’attaques numériques contre des défenseur·e·s des droits humains en Thaïlande et, tel un disque rayé, ne cessent de demander aux autorités thaïlandaises d’enquêter sur ces violences. Ces derniers éléments ne font que confirmer les menaces persistantes auxquelles font face les militant·e·s et la société civile », a déclaré Chanatip Tatiyakaroonwong.
Promesses de protection des droits humains en ligne vides de sens
À l’approche d’une élection du Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2023, le gouvernement thaïlandais avait pris plusieurs engagements, notamment celui d’« élaborer des politiques et lois en vue de promouvoir et protéger les droits humains dans les espaces numériques et en ligne, à la lumière des nouvelles technologies, et de travailler avec les partenaires pertinents en vue de lutter contre les menaces telles que la désinformation, les fausses informations, et pour le droit à la vie privée, tout en continuant de combler la fracture numérique au sein de la société. »
Cependant, ces cyberattaques constituent des violations directes des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Ces tentatives spécifiques de compromettre des comptes de réseaux sociaux par des attaques par force brute constituent également une violation du droit à la vie privée.
« Depuis trop longtemps, les défenseur·e·s des droits humains en Thaïlande vivent dans un environnement numérique hostile. Maintenant que la Thaïlande dispose d’un siège au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, les autorités thaïlandaises doivent honorer leurs engagements, en commençant par mettre un terme à ces campagnes de dénigrement néfastes et en assurant un environnement sûr et favorable pour les défenseur·e·s des droits humains », a déclaré Chanatip Tatiyakaroonwong.
Complément d’information
En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Thaïlande est tenue de protéger les droits de chaque personne à avoir ses propres opinions, sans entrave, ainsi que le droit à la liberté d’expression, et de protéger chaque personne de toute immixtion arbitraire et illégale dans sa vie privée. Le pays est en outre tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les atteintes aux droits humains et, lorsqu’elles se produisent, d’enquêter à leur sujet, d’en punir les auteurs, et de les réparer.
Amnistie internationale est une organisation qui ne prend pas position sur le plan politique et ne prend pas parti dans des litiges politiques ; elle se conforme scrupuleusement à sa mission en tant qu’organisation de défense des droits humains.