Tunisie. Les condamnations collectives dans l’« Affaire du complot 2 » amplifient la crise de l’état de droit

La condamnation collective de figures de l’opposition dans le cadre de l’« Affaire du complot 2 » en Tunisie illustre une nouvelle fois les restrictions imposées par les autorités à l’espace civique et l’érosion de l’indépendance judiciaire et des garanties d’un procès équitable, a déclaré Amnistie internationale le 28 juillet 2025.
Cette affaire, fondée sur des accusations vagues de terrorisme et d’atteinte à la sûreté de l’État, s’inscrit dans une série de poursuites à caractère politique qui semblent avoir pour objectif de réduire au silence la dissidence pacifique et d’intimider et réprimer les détracteurs du gouvernement du président Kaïs Saïed.
« Cette affaire illustre l’instrumentalisation du système pénal tunisien dans le but de réprimer la dissidence pacifique et de persécuter des gens qui ne font qu’exercer leurs droits fondamentaux. Le recours croissant à la législation antiterroriste pour sanctionner la dissidence pacifique relève d’une stratégie très préoccupante qu’Amnistie internationale documente depuis 2023, a déclaré Sara Hashash, directrice adjointe du programme régional Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnistie internationale.
« Les condamnations prononcées dans " l’Affaire du complot 2 " constituent une grave injustice et une violation flagrante des obligations de la Tunisie en matière de droits humains. Toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé sans violence leurs droits à la liberté d’expression, d’association et d’activité politique doivent être libérées sans délai.
« Les autorités doivent mettre fin à la répression qui s’abat sur les droits humains ; elles doivent notamment cesser de persécuter les détracteurs sous prétexte de sécurité nationale, rétablir l’indépendance judiciaire et l’état de droit, et mettre en place des garanties permettant d’empêcher l’utilisation des lois relatives à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité nationale comme outils de répression. »
Amnistie internationale demande aux autorités tunisiennes d’annuler toutes les condamnations prononcées dans le cadre de l’« Affaire du complot 2 » et de libérer sans attendre les personnes détenues arbitrairement. Elles doivent veiller à ce que les futurs procès se déroulent dans le plein respect du droit international relatif aux droits humains, et garantir notamment qu’ils soient publics et que les familles, les avocat·e·s, les journalistes et les observateurs indépendants puissent y assister librement. En tant que partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Tunisie est légalement tenue de respecter les droits à un procès équitable, à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à la liberté.
Ce procès s’est déroulé sur fond de crise de l’état de droit en Tunisie. Depuis la prise de pouvoir du président Kaïs Saïed en juillet 2021, le pays connaît une érosion de l’état de droit : les garanties de l’indépendance judiciaire ont été démantelées, ce qui s’est traduit par une ingérence accrue de l’exécutif dans le système judiciaire et une vague de poursuites ciblant des personnalités de l’opposition, des journalistes, des militant·e·s de la société civile et d’ancien·ne·s hauts responsables, mais aussi par un rétrécissement de l’espace dédié aux libertés et aux droits fondamentaux.
Condamnations collectives à l’issue d’un procès à caractère politique
Le procès s’est ouvert le 24 juin 2025 et s’est conclu le 8 juillet par la condamnation collective de 21 des 24 accusés, parmi lesquels figuraient de hauts dirigeants du parti Ennahdha, d’anciens responsables du gouvernement et des services de sécurité, des avocat·e·s et des membres de partis d’opposition. Ils ont été condamnés à des peines comprises entre 12 et 35 ans d’emprisonnement. Un seul accusé a été acquitté, tandis que deux autres attendent toujours la décision concernant leur appel.
Parmi les personnes condamnées figurait Rached Ghannouchi, le chef du parti Ennahda, condamné par contumace à 14 ans de prison après avoir refusé de participer au procès. D’autres hauts responsables du parti, comme Habib Ellouz, Samir Hanachi et Fathi Elbedoui, ont été condamnés à 12 ans de prison, tandis que les membres en exil Mouadh Kheriji et Lotfi Zitoun ont été condamnés par contumace à 35 ans de prison.
Preuves peu fiables et violations de procédure
L’enquête a débuté en mai 2023, à la suite du rapport d’un informateur anonyme au sujet de l’existence d’un réseau secret dirigé par Rached Ghannouchi dans le but de « changer la nature de l’État », avec l’aide de l’ancien fonctionnaire du ministère de l’Intérieur Kamel Ben El Bedoui. Cet informateur a dénoncé le recrutement de membres des services de sécurité et la coordination avec d’autres accusés. Ces allégations ont par la suite été complétées par les déclarations de responsables des services de sécurité, dont l’un était également anonyme.
Les accusations se fondaient sur des allégations de « complot contre la sécurité de l’État », s’appuyant en grande partie sur des témoignages anonymes, des communications interceptées et des documents saisis lors de descentes de police. Il s’agssait pour la plupart de critiques politiques et de communications privées critiquant le président Kaïs Saïed, datant de 2011 à 2022, mais sans preuve concrète d’une conduite criminelle. L’allégation centrale selon laquelle certains opposants politiques auraient mis en place un « appareil de sécurité » clandestin demeure infondée, faute d’être étayée par des éléments de preuve vérifiables de manière indépendante. L’accusation s’est largement appuyée sur des allégations anonymes amplifiées par les médias proches du pouvoir et les syndicats de police, sans produire de documents matériels, d’enquête institutionnelle ni de vérification indépendante. Aucune enquête officielle sur des actes répréhensibles présumés n’a été présentée, y compris lors des contre-interrogatoires des accusés.
Un procès entaché de graves violations de la procédure régulière
Le procès a été entaché de graves violations des droits à une procédure régulière et à un procès équitable.
Fin février, le tribunal de première instance de Tunis a décidé que les prochains procès pour terrorisme se dérouleraient en visioconférence et que les détenus participeraient depuis leur prison, invoquant des « dangers réels » non précisés. Il a par la suite renouvelé cette décision, sans donner plus d’explications.
Ainsi, les accusés placés en détention provisoire ont dû participer à distance par liaison vidéo, ce qui a fortement limité leur capacité à communiquer avec leur avocat et à interagir avec le tribunal, selon leurs avocats.
Comme dans d’autres affaires très médiatisées, l’accès aux salles d’audience était strictement limité sous prétexte de sécurité : les journalistes indépendants, les familles et les observateurs indépendants n’ont pas été autorisés à assister au procès, laissant planer des doutes quant à sa transparence.
« Ces procès pèchent par manque d’équité, de crédibilité et de transparence. Reposant sur des sources anonymes et des procédures secrètes, ils sont en fait une mascarade débouchant sur des condamnations et des sentences qui sont une parodie de justice, a déclaré Sara Hashash.
« Les autorités tunisiennes doivent cesser d’instrumentaliser le système judiciaire pour cibler leurs opposants politiques, respecter l’état de droit et défendre les droits fondamentaux de tous dans le pays. »
Une répression élargie contre la dissidence pacifique
Le procès s’est déroulé sur fond de crise de l’état de droit en Tunisie. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Kaïs Saïed en juillet 2021, le pays connaît une érosion de l’état de droit : les garanties de l’indépendance judiciaire ont été démantelées, ce qui s’est traduit par une ingérence accrue de l’exécutif dans le système judiciaire et une vague de poursuites ciblant des personnalités de l’opposition, des journalistes, des militant·e·s de la société civile et d’ancien·ne·s hauts responsables, mais aussi par un rétrécissement de l’espace dédié aux libertés et aux droits fondamentaux.
Complément d’information
Depuis juillet 2021, date à laquelle le président Kaïs Saïed a consolidé son pouvoir, Amnistie internationale recueille des informations sur la répression croissante qui cible les dissident·e·s en Tunisie. Elle a dénoncé la manière dont les autorités se servent du système judiciaire, s’appuyant sur des accusations vagues et piétinant le droit à un procès équitable dans des affaires intentées à l’encontre de figures de l’opposition.
Cela inclut de nombreuses poursuites motivées par des considérations politiques, détentions arbitraires et actes de harcèlement visant les opposant·e·s politiques, les journalistes indépendants, les avocat·e·s et les défenseur·e·s des droits humains.