• 16 mai 2025
  • Syrie
  • Communiqué de presse

Syrie. Le nouveau gouvernement doit donner la priorité aux mesures en faveur de la justice et de la vérité afin d’éviter de nouvelles exactions

Le nouveau gouvernement syrien doit prendre immédiatement des mesures concrètes en faveur de la justice, de la vérité et de réparations, afin de s’attaquer à l’héritage dévastateur des atteintes aux droits humains commises dans le pays, et entreprendre de toute urgence des réformes fondées sur les droits humains afin d’empêcher de nouvelles violations, a déclaré Amnistie internationale le 16 mai.

Entre 2011 et 2024, Amnistie internationale a recueilli des informations sur des crimes de droit international commis massivement, notamment des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des violations flagrantes des droits humains, commis par le gouvernement du président Bachar el Assad. L’organisation a également recueilli des informations sur des crimes graves commis par des alliés du gouvernement, notamment la Russie, ainsi que par des groupes armés opposés au gouvernement et la Turquie leur alliée, et aussi par les autorités de facto dirigées par les Kurdes et leurs alliés.

Le nouveau gouvernement de transition, dirigé par le président Ahmad al Charaa et formé le 29 mars 2025, dispose d’une occasion cruciale de rompre avec le passé et de veiller à ce que ces atrocités ne se reproduisent pas.

Amnistie internationale a présenté aujourd’hui les mesures prioritaires que les autorités doivent prendre pour y parvenir et pour respecter les obligations de la Syrie au regard du droit international. Le 14 avril 2025,

Amnistie internationale a envoyé ces recommandations aux autorités syriennes, en leur demandant de répondre à une série de questions et de fournir des informations actualisées sur leurs projets, mais l’organisation n’a toujours pas reçu de réponse.

« Afin de rompre avec le passé, le gouvernement syrien doit faire respecter les droits à la vérité, à la justice et à réparation pour toutes les personnes en Syrie. Les autorités se sont publiquement engagées à prendre au sérieux les demandes de justice, et pour tenir cette promesse, il est essentiel de garantir une véritable participation des victimes et des organisations de la société civile syrienne tout au long du processus, ainsi qu’une transparence maximale, a déclaré Kristine Beckerle, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnistie internationale. 

« Les défis auxquels la Syrie est confrontée sont immenses, mais pour construire une Syrie nouvelle et plus juste, il est essentiel de garantir la reddition de comptes pour les crimes commis par toutes les parties au conflit, d’accorder des réparations aux victimes et à leurs familles, dont beaucoup souffrent encore de la disparition de proches, de mettre en œuvre des réformes fondées sur les droits humains dans les secteurs de la justice pénale et de la sécurité en Syrie, et de veiller à ce que les familles des personnes disparues connaissent la vérité sur ce qui est arrivé à leurs proches.

« Il est essentiel que les autorités rétablissent la confiance entre la population syrienne et l’État syrien.  Retarder la justice ne fera qu’accroître le risque de voir se produire de nouveaux bains de sang tels que le récent massacre de civil·e·s alaouites sur la côte syrienne. Il est essentiel que les autorités veillent sans délai à ce que toutes les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, d’actes de torture et de disparitions forcées soient traduites en justice dans le cadre de procès équitables devant des juridictions civiles ordinaires, conformément au droit international.

Pendant des décennies, l’ancien gouvernement a systématiquement arrêté et fait disparaître des militant·e·s et des défenseur·e·s des droits humains, opprimé les organisations locales de défense des droits humains et refusé l’accès au pays pour les organisations internationales de défense des droits humains. Les nouvelles autorités se sont engagées à adopter une nouvelle approche ; il est essentiel qu’elles permettent aux organisations syriennes et internationales de travailler sans ingérence, qu’elles consultent la société civile syrienne et qu’elles accordent aux organisations locales et internationales un accès illimité.

Les autorités sont confrontées à des défis économiques majeurs résultant d’un conflit qui dure depuis dix ans, et aggravés par les sanctions internationales et la destruction généralisée des infrastructures.

La communauté internationale doit soutenir le peuple syrien dans sa quête de vérité, de justice et de réparation, et dans la construction d’un avenir plus juste après des années de souffrance.

Si de nombreux pays continuent de soutenir les efforts de justice essentiels pour la Syrie, d’autres ont aggravé les difficultés. Au début de l’année 2025, les États-Unis ont effectué des coupes dans des financements étrangers destinés à ceux qui fournissaient une aide humanitaire cruciale et accomplissaient un travail essentiel en faveur des droits humains en Syrie. Depuis la chute de l’ancien gouvernement, la Turquie et Israël ont mené des frappes aériennes, tuant et blessant des civil·e·s et endommageant des infrastructures civiles.

Garantir la justice, la vérité et des réparations

L’une des questions les plus urgentes en Syrie aujourd’hui est celle de la justice pour les victimes des disparitions forcées massives. Après la chute du gouvernement de Bachar el Assad le 8 décembre 2024, des dizaines de milliers de familles ont espéré que leurs proches disparus seraient libérés. Mais presque aucun d’entre eux n’a réapparu et beaucoup ont apparemment définitivement disparu.

Alors que le gouvernement a annoncé la création d’une Haute Commission nationale pour les personnes disparues le 27 février 2025, des représentant·e·s d’associations de familles de personnes disparues ont déclaré à Amnistie internationale qu’ils n’avaient pas été consultés sur la création de cet organe et sur son fonctionnement, et qu’ils n’avaient constaté aucune avancée tangible cinq mois après l’effondrement du gouvernement de Bachar el Assad. Le nouveau gouvernement doit immédiatement remédier à cette situation en veillant à ce que les victimes et leurs représentant·e·s participent pleinement et de manière significative à l’élaboration du mandat de la Commission, de son cadre opérationnel et de ses mécanismes de contrôle.

L’article 49 de la Déclaration constitutionnelle de la République arabe syrienne, adoptée le 13 mars 2025, établit une Commission de justice transitionnelle, chargée d’adopter « des mécanismes centrés sur les victimes [...] pour établir des mécanismes de reddition de comptes, le droit de connaître la vérité, et la justice pour les victimes, en plus d’honorer les martyrs ».  Pour être efficaces, les processus de vérité, de justice et de réparation doivent s’appuyer sur des consultations nationales avec les Syrien·ne·s, en particulier avec les victimes.

Le gouvernement doit également créer des programmes de réparation fondés sur les informations fournies par les victimes et les familles des victimes, procurant des réparations complètes tenant compte des souffrances des victimes et aidant les personnes à reconstruire leur vie. Le gouvernement syrien devrait également demander des réparations à des États tels que les États-Unis, la Russie et la Turquie, ainsi qu’à d’autres acteurs, y compris des entreprises, responsables de violations des droits humains. 

Entreprendre des réformes fondées sur les droits humains

Pendant plus d’une décennie avant la chute de l’ancien gouvernement, Amnistie internationale a recueilli des informations sur des violations systématiques, notamment des arrestations arbitraires, des actes de torture et des disparitions forcées, commises par d’anciens agent·e·s des forces de l’ordre et des services de renseignement, ainsi qu’au sein du système pénitentiaire. De plus, l’organisation a recueilli des informations sur des enlèvements, des actes de torture et des exécutions sommaires commis par d’anciens groupes armés non étatiques, dont certains sont aujourd’hui intégrés dans le ministère de la Défense et dans le ministère de l’Intérieur.

Dans l’immédiat, et pour éviter que les violations et les cycles de violence ne se répètent, les autorités syriennes doivent veiller à ce que tous les responsables gouvernementaux, chefs militaires et autres personnalités nommées qui sont soupçonnés d’être pénalement responsables de tels agissements, y compris de crimes commis après la chute du gouvernement de Bachar el Assad – tels que les massacres de civil·e·s alaouites dans les régions côtières – fassent l’objet d’un examen rigoureux. Amnistie internationale a recueilli des informations sur des homicides illégaux commis sur la côte syrienne en mars 2025, notamment sur le ciblage délibéré de civil·e·s de la minorité alaouite, qui doivent faire l’objet d’investigations en tant que crimes de guerre. Les nouvelles autorités syriennes ont fait un premier pas important en vue d’enquêtes sur ces massacres en mettant en place une commission d’établissement des faits ad hoc. Sa façon de procéder constituera un signal important et un précédent essentiel.

Les réformes devront également comprendre l’abrogation des lois qui ne sont pas conformes au droit international et l’adoption d’une législation garantissant les droits humains de toutes les personnes, y compris les droits à un procès équitable, à la vérité, à la justice et à réparation, le droit de ne pas être soumis à la torture et à une disparition, l’égalité et la non-discrimination, y compris dans le contexte des droits au logement et à la propriété. Tout comité de réforme devra être accessible, inclusif et participatif.