RDC. Le M23 tue, torture et retient des civils en otage dans des lieux de détention – Nouvelle enquête

Le Mouvement du 23 mars (M23), soutenu par le Rwanda, tue, torture et fait disparaître de force des détenus, en prend certains en otage et les soumet à des conditions inhumaines dans des lieux de détention à Goma et Bukavu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ces actes violent le droit international humanitaire et sont susceptibles de constituer des crimes de guerre, a déclaré Amnistie internationale le 22 mai 2025.
Entre février et avril 2025, Amnistie internationale a interrogé 18 anciens détenus civils – tous des hommes – qui avaient été détenus illégalement dans des centres du M23 à Goma et à Bukavu, et dont neuf avaient été torturés par des combattants du M23.
« Les déclarations publiques du M23 concernant le rétablissement de l’ordre dans l’est de la RDC masquent la façon ignoble dont il traite les détenus. Il punit avec brutalité ceux qu’il considère comme des opposants et intimide les autres, de sorte que personne n’ose le contester, a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional d’Amnistie internationale pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe. Les acteurs régionaux et internationaux doivent faire pression sur le Rwanda pour qu’il cesse de soutenir le M23. »
Amnistie internationale demande au M23 de libérer immédiatement les civils maintenus en détention arbitraire, y compris ceux qui sont victimes de disparitions forcées et dont le sort doit être révélé. Le M23 doit traiter les détenus avec humanité et leur permettre de pouvoir consulter des avocats et communiquer avec leur famille. Enfin, des organismes de surveillance indépendants doivent être autorisés sans attendre à se rendre dans tous les sites de détention du M23.
Exécutions illégales dans les sites de détention
Huit détenus ont déclaré avoir vu des codétenus mourir en détention, probablement à cause de la torture et des conditions sévères. Selon leur témoignage, des centaines de personnes sont détenues dans des cellules surpeuplées et insalubres, et manquent de nourriture, d’eau, d’installations sanitaires et de soins de santé. La plupart sont détenues au secret et ne peuvent pas communiquer avec leurs familles ni leurs avocats.
Selon les témoignages d’anciens détenus, les sites de détention du M23 à Goma sont les suivants : le bureau provincial de l’Agence nationale de renseignements (ANR) connu sous le nom de Chien Méchant, un complexe proche de la Radio-Télévision Nationale Congolaise (RTNC) sur le mont Goma, le bâtiment de l’assemblée provinciale, le complexe de la 34e région militaire et un camp de détention improvisé à Kanyarucinya, à l’extérieur de Goma. À Bukavu, les lieux de détention du M23 se situent dans le bureau principal de l’ANR et dans un camp militaire situé dans le quartier de Bagira. Amnistie internationale a connaissance de quatre autres sites du M23 à Goma, où des personnes sont détenues entre quelques jours et plus d’une semaine.
Deux anciens détenus ont raconté avoir vu des combattants du M23 tuer deux détenus à coups de marteau et tirer sur un autre qui est mort sur le coup.
« J’ai vu un homme qui était fusillé, » a déclaré un ancien détenu à Goma. « C’était comme s’il était membre d’une bande de bandits. Le [M23] lui demandait où il gardait les armes et où se trouvait untel ou untel. Ils lui ont tiré dans le ventre et dans le bras droit, au niveau de l’épaule. »
Un autre détenu, sur un autre site, a déclaré avoir vu un combattant du M23 tuer deux personnes. « Le [combattant] du M23 a sorti un marteau et l’a frappé dans les côtes, il est mort sur le coup. Ils en ont pris un autre. Il a dit qu’il était un ancien membre de la Garde républicaine [un corps d’élite de soldats chargé de la sécurité du président de la RDC]. Ils l’ont frappé à coups de marteau, mais il n’est pas mort tout de suite. Le lendemain matin, il était mort. »
Détentions arbitraires
Selon le témoignage d’anciens détenus, le M23 les a accusés de soutenir l’armée ou le gouvernement congolais, leur reprochant de travailler avec la société civile, de cacher ou posséder des armes, de savoir où se trouvaient d’autres membres de groupes armés, des fonctionnaires ou des représentants du gouvernement ou d’être affiliés à ces groupes, de se livrer à des pillages ou de dénoncer les exactions commises par le M23.
Les détenus ont assuré que le M23 n’a jamais fourni de preuves de ces accusations et qu’au moins 12 d’entre eux n’avaient pas été informés des motifs de leur détention. Le M23 a aussi placé des personnes en détention pour les persuader de travailler pour lui ou les recruter de force dans ses rangs.
La plupart des détenus ont indiqué à Amnistie internationale qu’ils ne pouvaient pas communiquer avec leur famille ni recevoir de visites, et qu’ils étaient de fait détenus au secret.
Un proche d’un détenu, qui essayait de le voir, a déclaré : « Ils ne m’autorisent pas à lui parler. Il est en mauvaise santé. Les [combattants du M23] m’ont dit qu’il était malade. Ils ont dit : " Nous l’avons vraiment fouetté et il a des blessures aux fesses qui lui font mal ". »
Par ailleurs, les Congolais qui se rendent au Rwanda font l’objet d’arrestations arbitraires. Les garde-frontières rwandais ont arrêté au moins trois Congolais en février 2025 et ont remis deux d’entre eux aux combattants du M23 à Goma. Les deux hommes ont été libérés après avoir passé près de deux semaines dans un site de détention du M23, dans des conditions inhumaines.
Le 12 février, les services d’immigration du Rwanda ont arrêté Victoire Hategekimana Hakizimana, employé d’une ONG âgé de 35 ans, au poste-frontière de Ruzizi. Il est porté disparu depuis lors.
Amnistie internationale a écrit au ministère de la Justice et au procureur général du Rwanda le 7 mai 2025, ainsi qu’au président du M23 et à son porte-parole le 9 mai 2025. L'organisation a partagé ses conclusions et a demandé des informations sur les actions des agents des services d’immigration du Rwanda et des combattants du M23 concernant les allégations spécifiques documentées dans ce communiqué de presse. Au moment de la publication du présent document, l'organisation n'avait reçu aucune réponse du ministère de la Justice et du procureur général du Rwanda, ni des représentants du M23.
Des actes de torture infligés aux détenus
Amnistie internationale s’est entretenue avec quatre membres de la famille de trois détenus, torturés par le M23 pendant leur détention et décédés après leur libération, ainsi qu’un membre de la famille d’un détenu mort alors qu’il était entre les mains du M23.
Les 18 anciens détenus ont tous déclaré avoir été torturés ou avoir vu des combattants du M23 torturer d’autres détenus.
À Chien Méchant, le complexe situé sur le mont Goma, à l’assemblée provinciale et à l’enclos de la 34e région militaire, les anciens détenus ont raconté que les combattants du M23 les avaient frappés, notamment à coups de tiges de bois souples, de planches, de câbles électriques, de courroies de moteur, de crosses de fusil ou de bâtons, sur le dos, les jambes, les fesses et les parties génitales, ce qui leur a laissé des marques de traumatisme.
Au moins neuf détenus ont dû être soignés pour leurs blessures une fois libérés, dont cinq à l’hôpital. Dans quatre autres cas, Amnistie internationale a examiné des photos de blessures correspondant aux récits de torture.
Les combattants du M23 ont battu un homme, détenu par la suite au bureau de l’ANR à Bukavu pendant trois semaines, lui assénant 100 coups de bâtons en bois. Chaque matin, ils lui donnaient, ainsi qu’à d’autres détenus, 10 coups sur le dos lorsqu’ils étaient emmenés aux toilettes.
« [Les combattants du M23] disaient qu’ils nous donnaient notre thé du matin », a-t-il raconté.
Selon le témoignage de deux personnes détenues début mars dans l’enclos de la 34e région militaire à Goma, le M23 battait régulièrement les prisonniers.
« J’ai été frappé pendant cinq jours, a déclaré l’un d’entre eux. Tout le monde était battu. Ils ont dit qu’ils allaient me tuer : "Nous n’avons pas besoin de toi. Nous allons engrosser ta femme." »
À Kanyarucinya, fin mars, le M23 a enfermé un civil dans un conteneur maritime pendant cinq jours. Avant de mourir dans un hôpital à Goma, il a raconté à un proche que des combattants du M23 lui avaient coincé le bras entre les genoux avant de lui briser deux os du bras.
À Chien Méchant, tôt le matin, la plupart des détenus étaient sortis de leur cellule pour être fouettés dans la cour. Ils étaient frappés sur le dos à l’aide d’un câble électrique en caoutchouc ou de tiges de bois. Début avril, un détenu a été battu si violemment qu’il ne pouvait ni se lever ni s’asseoir, mais seulement s’allonger sur le sol. Des codétenus ont dû le soulever pour le déplacer.
Au site de détention situé sur le mont Goma, deux détenus ont indiqué que les combattants du M23 les ont fouettés à plusieurs reprises sur les fesses et le dos.
L’un d’eux a raconté ce qu’il a vécu : « Ils prennent une chaise et la mettent sur vos épaules pour que vous ne bougiez pas. Les soldats vous fouettent l’un après l’autre jusqu’à ce qu’ils soient fatigués. Dès que celui qui fouette est fatigué, un autre prend le relais. Ils étaient trois ou quatre à me frapper ainsi. »
Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnistie internationale a authentifié une vidéo, apparue pour la première fois sur les réseaux sociaux le 18 mars 2025, sur laquelle on peut voir des hommes en uniforme frapper un homme à coups de bâton au Stade de l’Unité à Goma. Les combattants du M23 contrôlaient la ville et étaient les seuls à avoir accès au stade. Amnistie internationale a recueilli des informations attestant que le M23 s’est servi du stade pour torturer des patients et des soignants enlevés dans des hôpitaux fin février et début mars 2025.
Des disparitions forcées
Amnistie internationale a recueilli des informations sur plusieurs cas de disparition forcée. Des parents ont cherché leurs proches dans les sites de détention de Goma et de Bukavu ; bien souvent, les combattants du M23 leur ont refusé l’accès à ces sites ou ont nié que leurs proches s’y trouvaient, ce qui équivaut à des disparitions forcées.
Amnistie internationale s’est entretenue avec trois détenus et deux proches de détenus qui ont expliqué que les familles cherchaient leurs proches dans les sites de détention du M23, mais qu’elles étaient souvent induites en erreur par les combattants du M23 qui dissimulaient l’endroit où ils se trouvaient.
Un détenu enfermé dans un site à Goma a déclaré : « Je suis resté là-bas cinq jours sans que ma famille ne le sache. Les familles font le tour [des centres de détention]. Elles se rendent devant le portail et demandent aux gardiens : " Savez-vous si untel ou untel est ici ? " [Les gardiens] vérifient la liste et disent oui s’ils en ont envie. Ou bien ils disent non, alors que vous êtes là. Ils ont menti deux fois à ma famille en disant que je n’étais pas là. »
Les membres d’une famille ont engagé une personne ayant des liens avec le M23 et ont pu avoir accès à un site de détention pour vérifier que leur proche s’y trouvait, parce que le M23 ne voulait pas dévoiler l’emplacement.
Versements de rançons
Il est fréquent que le M23 demande aux familles de verser de grosses rançons pour obtenir la libération de leurs proches. D’après huit détenus, leur famille a payé une rançon au M23 pour qu’ils soient remis en liberté. Les montants varient de quelques centaines d’euros à plus de 2 000 euros. De nombreuses familles se sont rendues dans les sites de détention à Goma et Bukavu et ont tenté de négocier ces sommes avec les combattants du M23.
Une famille a passé plusieurs semaines à tenter de négocier la libération d’un de ses membres et le montant de la rançon, demandant finalement à des membres hauts placés du M23 d’intervenir.
« Ma famille est arrivée [là où j’étais détenu] et [les combattants du M23] ont demandé de l’argent sans leur dire où je me trouvais », a déclaré un détenu.
La famille a fini par payer plusieurs centaines d’euros pour sa libération.
Des conditions inhumaines dans les lieux de détention du M23
Selon cinq prisonniers détenus dans des cellules collectives surpeuplées au centre situé sur le mont Goma en février 2025. Dans certaines cellules, ils étaient si à l’étroit qu’ils étaient obligés de dormir assis sur le sol en béton ou debout. Elles étaient sombres, chaudes et mal ventilées. Les gardiens n’apportaient de la nourriture qu’une fois par jour, généralement une assiette de maïs bouilli à partager. Sans eau courante, les détenus passaient des semaines sans se laver.
Un détenu a raconté : « Il faisait incroyablement chaud... Les gens buvaient l’urine des autres. Les jours de pluie, on pouvait boire de l’eau de pluie. »
Il a ajouté qu’il n’y avait que trois toilettes pour des centaines de détenus, et qu’ils étaient obligés de les déboucher à la main. Ils avaient le droit d’y aller une seule fois par jour et, la nuit, ceux qui avaient la diarrhée déféquaient dans des petits sachets ou des boîtes, s’il y en avait.
À la mi-mars, le M23 a transféré certains détenus par bus du mont Goma au site de détention de l’assemblée provinciale, semble-t-il en raison de la surpopulation ; mais la place est venue à manquer là-bas aussi. Un détenu a raconté qu’ils étaient entassés dans une cellule minuscule, et que certains étaient malades. S’ils se plaignaient d’être souffrants, le M23 les torturait.
Dans un deuxième site de détention sur le mont Goma, un ancien détenu a décrit les conditions dans une cellule souterraine en terre. « Le trou était long, il faisait plus de 2 mètres de profondeur. Il faisait très chaud. Certains sont morts à cause de la chaleur. J’ai perdu [un proche]. Il est mort au bout d’une semaine [de détention]. Il est mort du fait de la torture, combinée au manque de nourriture et d’eau. »
Le droit international humanitaire interdit aux parties au conflit, y compris aux groupes armés organisés, de détenir arbitrairement des civils. Le meurtre, les traitements cruels et la torture, ainsi que les atteintes à la dignité de la personne, en particulier les traitements humiliants et dégradants, à l’encontre des détenus, de même que les disparitions forcées, sont également prohibés par le droit international humanitaire et peuvent constituer des crimes de guerre. En outre, le M23 détient des civils afin de les obliger, eux-mêmes ou leur famille, à payer une rançon pour leur libération, ce qui peut être assimilé au crime de guerre que constitue la prise d’otages.
« Les Congolais·e·s ne connaissent que trop bien la cruauté du M23, » a déclaré Tigere Chagutah. Ils continuent de vivre dans la misère car les acteurs internationaux se montrent complaisants, attendant patiemment un accord de paix alors que la population continue de subir la brutalité du M23. Le M23 doit libérer immédiatement tous les civil·e·s et mettre un terme à ces pratiques illégales et cruelles. »