• 31 oct 2025
  • Israël et territoire palestinien occupé
  • Lettre ouverte

Qu’est-il arrivé aux droits humains des Palestinien·ne·s ?

Par Agnès Callamard et Federico Borello 

Quand le monde est sorti des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, en déclarant « Plus jamais ça », les nations ont posé les bases du système de justice internationale qui existe aujourd’hui pour traiter les pires crimes de la planète. À présent, les États-Unis tentent activement de le démanteler. 

Le 4 septembre, le gouvernement de Donald Trump a imposé des sanctions à trois grandes organisations de défense des droits humains des Palestiniens et Palestiniennes : Al Haq, fondée en 1979 et pionnière dans le recensement des violations commises dans la bande de Gaza occupée et en Cisjordanie ; le Centre Al Mezan pour les droits humains, qui tient depuis plus de deux décennies la chronique minutieuse des violations du droit de la guerre à Gaza ; et le Centre palestinien pour les droits humains, qui fournit depuis longtemps une aide juridique aux victimes, notamment à Gaza. 

En juin, il avait déjà pris des sanctions contre une autre organisation de premier plan qui défend les droits de la population palestinienne, Addameer, dans le cadre d’une série de mesures distincte. 

Cette démarche s’inscrit dans une volonté plus large du gouvernement américain de cibler celles et ceux qui luttent en faveur de la justice pour le peuple palestinien. Le motif affiché des sanctions prononcées en septembre était que les trois organisations visées aidaient la Cour pénale internationale (CPI) dans son enquête sur Israël « sans l’accord d’Israël ». Cependant, les autorités américaines s’en sont également prises à des fonctionnaires de la CPI, qui a ouvert une enquête concernant les allégations de graves crimes commis par l’armée israélienne à Gaza ; elle a émis des mandats d’arrêt contre le Premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahou, et l’ancien ministre de la Défense du pays, Yoav Gallant, en les accusant de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Le gouvernement des États-Unis a pris des sanctions contre le procureur de la CPI, ses procureurs adjoints et six de ses juges, ainsi que contre Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits humains dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. 

Au-delà de ce que la population palestinienne a subi, le gouvernement de Donald Trump a fragilisé l’état de droit, la protection des droits fondamentaux et la justice internationale, qui sont au cœur d’un ordre mondial fondé sur des règles. Il a réduit considérablement les fonds destinés à l’ONU et l’a menacée d’autres coupes budgétaires, tout en se retirant du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Il a en outre brutalement mis fin à la quasi totalité de l’aide internationale des États-Unis, qui apportait un soutien aux défenseur·e·s des droits humains et une aide humanitaire vitale dans le monde entier. L’arrêt des subventions du Bureau du Département d’État chargé de la démocratie, des droits humains et du travail aux agences consacrées aux personnes réfugiées, aux droits des femmes et à la justice universelle a encore davantage réduit l’engagement des États-Unis en faveur des droits humains. 

Al Haq, Al Mezan et le Centre palestinien sont des organisations récompensées par des prix qui, dans des conditions extrêmement difficiles, ont révélé des violations des droits humains et du droit de l’environnement commises par les autorités israéliennes et palestiniennes, des groupes armés et des entreprises. Elles sont la voix des victimes palestiniennes, porte-parole des récits d’injustices qui, sans elles, ne seraient pas entendus. 

Ces organisations ont continué leur travail courageux à Gaza pendant presque deux ans. Al Mezan et le Centre palestinien ont leur siège à Gaza, et Al Haq, établie à Ramallah, en Cisjordanie, compte également du personnel à Gaza. Elles ont subi des bombardements qui ont tué ou blessé plusieurs membres de leur personnel et des centaines de leurs proches, ainsi que la famine et les déplacements forcés. Le 7 septembre, des frappes israéliennes ont rasé l’immeuble où siégeait le Centre palestinien. Les différents bureaux d’Al Mezan à Gaza ont tous été endommagés ou détruits en 2024. 

Non seulement les sanctions américaines vont perturber le travail essentiel qu’elles peuvent encore faire, mais elles adressent aussi un signal inquiétant aux défenseur·e·s des droits humains dont le travail met en cause des acteurs puissants ou leurs alliés. Ces organisations palestiniennes ont exprimé leur soutien à l’enquête de la CPI sur les violations commises par les autorités israéliennes et présenté des contributions à son procureur. 

Amnistie internationale et Human Rights Watch collaborent étroitement avec ces organisations depuis plusieurs décennies et, conformément à nos missions indépendantes de longue date consistant à défendre haut et fort la protection des droits humains, nous pouvons attester que leur travail est indispensable pour l’ensemble des défenseur·e·s des droits humains, tant dans la région qu’à l’échelle internationale. 

Ce travail fait partie d’un mouvement mondial en faveur de la justice pour les victimes et les survivant·e·s d’atteintes aux droits humains. Un système fiable de justice internationale qui traite les situations de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité constitue une pièce essentielle pour renforcer le respect des droits fondamentaux. 

La Cour pénale internationale est un pilier de ce système. Créée par un traité en 1998, elle est une juridiction de dernier recours. En établissant cette institution permanente, les États entendaient concrétiser la promesse du « Plus jamais ça » formulée après la Seconde Guerre mondiale. Le système n’est pas parfait, mais sa capacité à demander des comptes même aux personnes occupant les plus hautes fonctions peut contribuer à mettre un terme aux cycles de violations des droits humains. Ce pouvoir du droit est aujourd’hui en danger. 

Des sanctions supplémentaires ou d’autres actions de la part des États-Unis, notamment l’extension des sanctions à la CPI dans son ensemble, mettraient en péril les droits des victimes dans le monde entier. Les États doivent se montrer à la hauteur pour protéger le système qu’ils ont créé. 

Lorsqu’Israël a qualifié de grandes organisations palestiniennes de défense des droits humains, dont Addameer et Al Haq, d’« organisations terroristes » en 2021, neuf pays membres de l’Union européenne (UE) ont rejeté ces allégations en les déclarant sans fondement. Cette réaction a probablement était l’une des raisons principales pour lesquelles les autorités israéliennes ne sont alors pas allées plus loin. 

Jusqu’à présent, les autres États ont mûrement réfléchi leurs réactions aux sanctions américaines par crainte de provoquer le gouvernement de Donald Trump. Cette stratégie est bancale et en décalage avec le caractère urgent de la situation. 

Les gouvernements doivent condamner les actions visant à fragiliser l’indépendance de la CPI et à faire taire les personnes qui recensent les violations des droits humains. Ils doivent utiliser les lois régionales et nationales, comme la loi de blocage de l’UE, qui peuvent annuler les effets de la législation de pays tiers dans l’UE, afin d’atténuer l’impact des sanctions américaines sur les personnes travaillant pour la CPI. Les États qui ont contribué à la création de la CPI et affirment soutenir les valeurs sur lesquelles elle est fondée doivent se mobiliser pour les défendre. 

Agnès Callamard est secrétaire générale d’Amnistie internationale. Federico Borello est directeur exécutif par intérim de Human Rights Watch. 

Cet article a été initialement publié dans le New York Times.