• 7 oct 2025
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Lettre ouverte: recommandations d’Amnistie internationale concernant le G20

Amnistie internationale Canada francophone a envoyé une lettre à Julia Dabrusin (C.P., députée, Ministre de l’Environnement et du Changement climatique), à Anita Anand (C.P., députée, Ministre des Affaires étrangères) et à François-Philippe Champagne (C.P., député, Ministre des Finances et du Revenu national) le 6 octobre 2025.

La lettre exhorte le Canada à agir dans le cadre du G20 pour :

  • renforcer la lutte contre la crise climatique, notamment en finançant l’adaptation et la réparation pour les pays à faible revenu et en assurant une transition énergétique juste et respectueuse des droits humains ;
  • soutenir la justice sociale et économique mondiale, par l’allègement de la dette, la protection sociale universelle et des mesures fiscales ciblant les super-riches et les profits exceptionnels ;
  • défendre les droits humains et le multilatéralisme, en incitant tous les membres du G20 à respecter leurs engagements internationaux et à protéger les défenseur·e·s des droits humains et les populations vulnérables.

Objet : recommandations d’Amnistie internationale concernant le G20

Madame la ministre de l’Environnement et du Changement climatique, madame la ministre des Affaires étrangères et monsieur le ministre des Finances,

Je vous écris au nom d'Amnistie internationale, un mouvement mondial regroupant plus de 10 millions de personnes qui militent pour un monde où les droits humains sont respectés pour tous et toutes.

Amnistie internationale souhaite attirer votre attention sur notre document de position ci-joint (en anglais), qui expose nos préoccupations et nos recommandations concernant le processus du G20 de cette année, et vous exhorte à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour qu'elles soient prises en compte dans les conclusions du G20 et mises en œuvre à l'avenir.

Le monde est touché par de multiples crises et par une inégalité croissante entre les pays et au sein des pays. Cette situation a été exacerbée par les décisions des États-Unis en avril et juillet 2025 d'imposer des droits de douane sévères à l'échelle mondiale, qui ont particulièrement touché certains des pays les plus pauvres et les plus vulnérables. En outre, les coupes brutales et chaotiques dans l'aide étrangère américaine décidées par l'administration du président Trump mettent en danger des millions de vies et les droits humains à travers le monde. 

Elles semblent être la conséquence la plus importante d'une tendance plus large de réduction de l’aide ces derniers mois, plusieurs autres pays du G20 ont également réduit leur aide publique au développement (APD) ou prévoient de le faire. De plus, un nombre croissant de dirigeant·e·s autoritaires sabotent délibérément le système multilatéral, érodant ainsi le potentiel d'action collective en faveur du bien commun. Pourtant, alors que le monde a précisément besoin de s'unir pour faire face à ces innombrables catastrophes, nous assistons à un reniement, par les États à revenu élevé, de leurs obligations internationales en matière de droits humains et d'autres engagements internationaux tels que les Objectifs de développement durable (ODD) et ceux pris dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et de l'Accord de Paris.

Les effets catastrophiques de la crise climatique se font sentir partout dans le monde, souvent dans les pays à faible revenu qui ont le moins contribué aux émissions de gaz à effet de serre (GES) responsables du réchauffement climatique. Pourtant, les pays du G20, responsables de 77 % des émissions annuelles de GES et ayant une plus grande capacité d'action, ne prennent pas les mesures climatiques adéquates correspondant à leur juste part. Alors que le monde s'oriente vers les énergies renouvelables et les véhicules électriques, la demande en minéraux clés tels que le cobalt, le lithium, le nickel et le cuivre, essentiels à la transition énergétique, est en forte hausse. Cette augmentation nécessitera de nouvelles capacités minières et une expansion des capacités existantes, ce qui a historiquement entraîné des risques sanitaires et environnementaux sur plusieurs générations dans les communautés vivant à proximité des sites d'exploitation. Les pays du G20, moteurs de cette demande, ont une influence significative sur la manière dont ces ressources sont extraites et fournies. Dans un contexte où certains membres du G20 cherchent à limiter les exigences de diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement pour l'octroi de permis pour accélérer la mise en œuvre des projets, de la conception à la production, il est essentiel d'éviter les erreurs du passé. La transition des énergies fossiles vers des énergies renouvelables produites de manière durable doit s'appuyer sur les meilleures pratiques et normes industrielles et être conforme aux droits humains.

En vertu de l'Accord de Paris, les États à revenu élevé et à fortes émissions historiques, comme le Canada, ont l'obligation de fournir un financement climatique aux États à faible revenu, mais ce financement est malheureusement insuffisant. Les États responsables des dommages climatiques sont également tenus de fournir des réparations climatiques, y compris des compensations. À cet égard, le Fonds de réponse aux pertes et préjudices (FRLD) a également besoin de beaucoup plus de ressources afin que les communautés touchées puissent commencer à recevoir des versements les aidant à se remettre des dommages climatiques inévitables. Cela est d'autant plus essentiel compte tenu de l'écart sur la réduction des émissions, qui a conduit le monde à dépasser pour la première fois en 2024 le seuil de 1,5 °C de réchauffement climatique par rapport aux niveaux préindustriels.

Nous exhortons le Canada à fixer des délais clairs pour une élimination complète, rapide, équitable et financée des combustibles fossiles et une transition juste vers une énergie renouvelable produite de manière durable pour tou·te·s, conformément à sa juste part. Nous vous demandons également d’adopter et d’appliquer des exigences obligatoires de diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement tout au long des chaînes de valeur des minéraux de transition afin de garantir que la transition énergétique ne se fasse pas au détriment des droits humains. Nous vous appelons enfin à garantir une augmentation massive du financement public de la lutte contre le changement climatique, basé sur les besoins, en faveur des pays à faible revenu, en particulier pour l'adaptation, sous forme de dons et non de prêts, et à fournir un financement réparateur pour les pertes et préjudices, y compris au FRLD.

En outre, la montée mondiale des pratiques autoritaires sape les engagements antérieurs en faveur du multilatéralisme et de la coopération internationale et érode le potentiel d'action collective en faveur du bien commun. 

Nous avons assisté à la première augmentation de la pauvreté mondiale depuis des décennies, passant de 8,9% en 2019 à 9,7% en 2020, déclenchée par la Covid-19. La pauvreté dans les pays les plus pauvres atteint actuellement des taux plus élevés qu'avant la pandémie. Selon la Banque mondiale, « la réduction de l'extrême pauvreté dans le monde a pratiquement cessé, et la période 2020-2030 devrait être une décennie perdue ».

Les effets de l'augmentation de la pauvreté sont exacerbés par le fait que seulement 52,4% de la population mondiale bénéficie d'une forme quelconque de protection sociale, et que 3,8 milliards de personnes ne bénéficient d'aucune couverture. Alors que les pays à revenu élevé sont très proches de la couverture universelle, la couverture sociale dans les pays à faible revenu n'a pratiquement pas augmenté depuis 2015. A l'échelle mondiale, l'écart femmes-hommes en matière de couverture sociale était important : 28,2% des femmes en âge de travailler contre 39,3% des hommes en âge de travailler étant légalement couvert·e·s par des systèmes de sécurité sociale complets. Dans les 20 pays les plus vulnérables à la crise climatique, seuls 8,7% de la population bénéficie d'une certaine couverture sociale. En outre, seule 25% de la population est effectivement couverte par la protection sociale dans les 50 pays les plus vulnérables au changement climatique.

Des systèmes de protection sociale solides et des mesures efficaces pour lutter contre le changement climatique nécessitent des financements. Amnistie internationale tient à rappeler au Canada que les États ont l'obligation d'utiliser le maximum de ressources disponibles pour garantir progressivement la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels. De plus, les États qui sont en mesure de le faire doivent fournir une aide et une coopération internationales. Les besoins en matière d'aide humanitaire, de développement, d'action climatique et de protection des droits humains ont considérablement augmenté, tout comme les déficits de financement dans ces domaines. Il est urgent de garantir la réalisation du droit à la sécurité sociale et de protéger l'humanité contre la crise climatique.

Nous exhortons le Canada à renforcer et à mettre en œuvre les mesures du G20 visant à offrir un allègement de la dette, y compris son annulation le cas échéant, à tous les pays en situation ou menacés de surendettement, et à soutenir le lancement d'un processus intergouvernemental visant à établir une convention-cadre des Nations unies sur la dette souveraine. Nous vous demandons également d’imposer de nouvelles taxes sur la fortune nette des super-riches, ainsi que sur les profits exceptionnels des entreprises, en particulier des producteurs de combustibles fossiles.

L'Afrique du Sud, qui préside le G20 en 2025, a un rôle important à jouer pour veiller à ce que le G20 donne suite à ces questions importantes. Cependant, son leadership est compromis par les préoccupations persistantes en matière de droits humains au niveau national, notamment en ce qui concerne les violences basées sur le genre, les menaces et les violences à l'encontre des défenseur·e·s des droits humains, y compris les journalistes et les lanceur et lanceuses d'alerte, et la crise climatique. Nous exhortons le Canada à faire tout ce qui est en son pouvoir pour inciter l'Afrique du Sud à prendre des mesures significatives afin de résoudre ces problèmes avant, pendant et après le sommet des chef·fe·s d’État. 

Nous restons à votre disposition pour discuter plus en détail avec vous de ces différents points lors d’une réunion. Je vous invite à contacter Colette Lelièvre, responsable de campagnes à clelievre@amnistie.ca.

En vous remerciant de l’attention que vous porterez à cette démarche, nous vous prions d’agréer, mesdames et monsieur, l’expression de notre très haute considération.

Sincèrement,

France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone