Les familles de Gaza privées de soin au Québec
Lettre ouverte à Christian Dubé, ministre de la Santé, et François Legault, premier ministre du Québec.
En tant qu’organismes représentant des professionnelles et professionnels de la santé, appuyés par des alliées et alliés de la société civile, nous dénonçons l’absence de couverture médicale pour les familles de Gaza installées au Québec.
Jusqu’à maintenant, le Québec a accueilli moins d’une centaine de Gazaouis titulaires d’un visa de résidence temporaire (VRT). Malgré cela, le Québec demeure la seule province refusant d’assurer leurs soins de santé, contrairement aux recommandations claires du gouvernement fédéral.
Alors que la province s’est engagée à rendre accessible le Régime d’assurance maladie du Québec (RAMQ) aux réfugiés ukrainiens dès leur arrivée en 2022, mesure qui a été récemment prolongée jusqu’en 2028 pour les 30 000 Ukrainiens installés au Québec, la même protection est refusée jusqu’à maintenant aux familles palestiniennes, incluant les enfants, qui fuient une situation qualifiée de génocide par plusieurs experts.
« Le Québec se détourne de son devoir et de ses valeurs humanitaires en se positionnant comme l’unique province à priver ces familles [réfugiées de Gaza] de soins », écrivent les cosignataires.
Seuls les Gazaouis ayant de la famille de citoyenneté canadienne sont admissibles au VRT. Une fois arrivés, ils ont droit au Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI) pour trois mois, puis les provinces sont censées prendre en charge leur santé. Or, M. Dubé et M. Legault, le Québec se détourne de son devoir et de ses valeurs humanitaires en se positionnant comme l’unique province à priver ces familles de soins.
L’histoire de Jehan
Pourtant, les besoins des familles gazaouies sont grands. Laissant derrière eux 50 000 morts et 115 000 blessés, dont une majorité de femmes et d’enfants, les Palestiniens ayant réussi à s’échapper de Gaza présentent inévitablement des séquelles physiques et psychologiques importantes.
Arrivés le 26 décembre dernier pour rejoindre leur fille Haya à Sherbrooke, Nasser, enseignant de français, et Jehan, enseignante d’anglais, ont attendu neuf mois en Égypte avant d’obtenir leur visa.
Joie et soulagement se sont transformés en désarroi quand Jehan a chuté dans les rues glacées cet hiver et s’est retrouvée avec une double fracture du bras et un PFSI à veille d’expirer.
Aujourd’hui, encore en convalescence, Jehan n’a plus accès à un suivi médical. D’autres Gazaouis, dont des enfants et des aînés, avec des conditions médicales aiguës et chroniques, sont aux prises avec des histoires semblables.
La santé n’est pas une question politique
Messieurs Dubé et Legault, nous vous avons contactés à maintes reprises pour dénoncer cette injustice. Après des mois de silence, vous avez finalement refusé de donner suite à nos demandes de couverture médicale, invoquant un enjeu d’identification des Gazaouis sous VRT. Pourtant, toutes les autres provinces l’ont fait. L’Ontario et Terre-Neuve qui, au départ, excluaient ces familles de leur régime provincial, ont fini par assumer leurs responsabilités en réponse à la pression des travailleuses et travailleurs de la santé et du public. Pourquoi le Québec s’y refuse-t-il encore ?
Au-delà des justifications administratives, nous soupçonnons aussi des motifs budgétaires et même politiques. Or, la santé n’est pas un enjeu partisan. De plus, les études démontrent que les personnes non assurées consultent tardivement et souffrent davantage de complications évitables, ce qui finit par coûter plus cher sur les plans humain et économique.
Faire ce qui est juste
Quand les médias ont rapporté que des Ukrainiens craignaient de devoir payer 5000 $ par nuit d’hospitalisation ou 30 000 $ pour un accouchement, M. Dubé, vous avez déclaré sans hésitation : « Nous ne laisserons pas tomber les réfugiés ukrainiens. Le Québec a un engagement envers eux et nous le tiendrons. » Où est cet engagement pour les familles de Gaza aujourd’hui ?
Cette compassion à géométrie variable est inacceptable. Elle viole les principes d’égalité censés guider notre société de droit et envoie un message troublant : certaines vies compteraient moins que d’autres. En tant que professionnelles et professionnels de la santé et membres de la société civile, nous vous demandons de répondre à votre devoir.
Nous vous demandons, Messieurs Dubé et Legault, d’étendre sans tarder la couverture de la RAMQ aux ressortissants de Gaza arrivés au Québec sous VRT. C’est une question d’équité et surtout d’humanité.
*Organisations cosignataires : Médecins du Québec contre le génocide à Gaza, Alliance des soignant·e·s pour la Palestine, Mouvement de la jeunesse palestinienne, Amnistie internationale Canada francophone, Solidarité Sherbrooke Gaza et plus de 70 autres organisations.