Bénin. La vague d’attaques contre la liberté de la presse souligne l’urgence de réformer le Code du numérique

La récente vague de sanctions prises par les autorités béninoises à l’encontre de médias indépendants souligne l’urgence de protéger la liberté de la presse dans le pays, ont déclaré Amnistie internationale, Reporters sans frontières (RSF) et Internet sans frontières. Cet appel est lancé alors que le Parlement béninois débat de la révision du Code du numérique, une loi essentielle à la protection de la liberté de la presse et de la liberté d’expression.
Depuis le début de l’année, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) a suspendu « jusqu’à nouvel ordre » deux journaux, trois sites Internet d’information et un compte d’information Tik Tok. Ces suspensions sont toujours en vigueur.
« Ces derniers mois, les autorités béninoises ont réduit au silence des médias, souvent après la publication d’articles critiques à l’égard du gouvernement ou de la HAAC. Le Code du numérique contient des dispositions qui permettent les atteintes à la liberté d’expression observées ces derniers mois. Sa révision est l’occasion d’inverser cette tendance inquiétante et de protéger davantage la liberté de la presse », a déclaré Dieudonné Dagbéto, directeur exécutif d’Amnistie internationale Bénin.
Suspensions de médias en série
Le 12 mars, le site d’information Bénin Web TV a été suspendu et la carte de presse de son directeur général retirée. La HAAC a accusé ce média d’avoir publié deux articles donnant des informations inexactes, l’un sur de prétendues erreurs dans la demande de budget soumise par la HAAC au Parlement, l’autre concernant la demande de véhicule de fonction par le président de l’institution.
Le 21 janvier, le journal Le Patriote et son site Internet ont été sanctionnés de la même manière notamment après la publication d’un éditorial soulignant « l’inefficacité de la stratégie du gouvernement » lors de l’attaque d’une position militaire dans la zone frontalière entre le Burkina Faso et le Niger.
Le directeur de publication du Patriote a déclaré à Amnistie internationale : « Mon journal était l’un des rares qui donnaient la parole à tous les camps. Je suis sûr qu'au regard du contexte actuel, les médias ne prendront plus le risque de traiter les informations sur la situation sécuritaire en dehors de celles qui viennent du gouvernement ou des autorités en charge de la sécurité. »
« Aucun des motifs légitimes de restriction de la liberté d’expression prévus par le droit international n’est invoqué dans ces cas de censure. Les sanctions de la HAAC menacent également la survie économique des médias et de leurs employés. Il s’agit d’une atteinte intolérable à la liberté de la presse », a déclaré Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de Reporters sans frontières.
Une dizaine de journalistes ayant travaillé pour Le Patriote sont aujourd’hui au chômage, selon son directeur de publication. Bénin Web TV subit déjà une perte de revenus à la suite du retrait de certains annonceurs, selon une lettre dont Amnistie internationale a pris connaissance.
La récente vague de sanctions fait suite à une série de mesures similaires prises en 2023 et 2024.
En février 2024, le groupe de presse La Gazette du Golfe a licencié tous ses employés après la suspension des activités du groupe par la HAAC en 2023.
En janvier 2024, les sites d’information Crystal News, Reporter Médias Monde, Les Pharaons et le compte d’information TikTok Madame Actu ont également été suspendus. La HAAC a justifié cette décision en mentionnant des « sites Internet non autorisés » ayant « fait l’objet de nombreuses plaintes », des « allégations sans fondements » et la diffusion de « contenus médiatiques sans autorisation préalable de la HAAC ». Le communiqué ne précisait pas quels contenus seraient problématiques.
Ces suspensions contreviennent aux normes produites par le Comité des droits de l’homme des Nations unies, qui stipulent clairement que les interdictions générales de fonctionnement de certains sites et systèmes ne sont pas compatibles avec le droit à la liberté d’expression, pas plus que l’octroi de licences par l’État pour autoriser le travail des journalistes, comme le prévoit la législation béninoise.
Qemal Affagnon, coordinateur régional pour l’Afrique de l’Ouest d’Internet sans frontières, a déclaré : « la HAAC s’appuie sur l’actuel Code du numérique pour punir tous ceux qui commettent des ‘actes délictueux’. L’examen d’un projet de loi modifiant ce Code est l’occasion de mettre en œuvre les recommandations acceptées par le gouvernement en 2023 lors du 4ème cycle de l’Examen Périodique Universel, conformément au travail de modification consultatif mené auprès des députés béninois par Internet sans frontières. Il est essentiel pour garantir la liberté d’expression et l’indépendance de la HAAC ».
Contexte
Dans ses recommandations au Bénin lors du 4ème cycle de l’Examen Périodique Universel, Amnistie internationale a mentionné la révision du Code du numérique.
Le Bénin a accepté plusieurs recommandations visant à garantir l’indépendance de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et à réviser le Code du numérique, en particulier l’article 550 qui restreint indûment le droit à la liberté d’expression en prévoyant des peines d’emprisonnement pour des infractions telles que la diffusion de fausses informations et le harcèlement par le biais de communications électroniques.