• 16 oct 2025
  • Bangladesh
  • Communiqué de presse

Bangladesh. La crise climatique amplifie la discrimination à l’égard des agent·e·s « invisibles » du secteur de l’assainissement

Les autorités bangladaises doivent remédier de toute urgence à leur incapacité à défendre les droits des agent·e·s du secteur de l’assainissement, qui sont confrontés à une marginalisation économique et à une discrimination profondément enracinée fondée sur le genre et la caste, ces vulnérabilités qui ne faisant que s’aggraver dans le contexte d’une crise climatique mondiale largement due à la combustion de combustibles fossiles, déclare Amnistie internationale dans un nouveau rapport.

Intitulé Abandonnées dans la tourmente : le combat pour l’eau et la dignité des femmes dalits travaillant dans le secteur de l’assainissement, ce rapport présente des informations sur les obstacles considérables auxquels sont confrontées les femmes dalits travaillant dans le secteur de l’assainissement dans les districts de Khulna et Satkhira, sur la côte sud-ouest du Bangladesh, pour accéder à l’eau potable et à des installations sanitaires adéquates, ainsi que sur leur vulnérabilité et leur exclusion des programmes d’aide liés au changement climatique.  Il montre également que ces travailleuses sont largement invisibles dans les politiques gouvernementales sur le changement climatique, l’eau et l’assainissement en raison de leur caste, de leur genre et de leur profession, alors qu’elles comptent parmi les personnes les plus concernées par ces politiques.

« Étant donné qu’il compte parmi les pays les plus exposés au changement climatique à l’échelle mondiale, le Bangladesh doit s’attaquer aux inégalités de caste profondément enracinées qui ont conduit les communautés dalits côtières, économiquement exclues et marginalisées, à supporter de manière disproportionnée le poids de l’urgence climatique, a déclaré Isabelle Lassée, directrice adjointe de la recherche pour l’Asie du Sud à Amnistie internationale. 

« Un avenir résilient face au changement climatique pour le Bangladesh ne pourra advenir qu’en invitant les voix exclues à participer aux discussions sur l’élaboration des politiques et en garantissant leur protection et leur égalité dans le cadre des mesures de gestion des catastrophes. Le Bangladesh ne peut pas instaurer une résilience efficace face à des sécheresses, des cyclones, des inondations et des chaleurs extrêmes de plus en plus intenses s’il laisse de côté les populations les plus négligées. »

Le rapport s’appuie sur des entretiens menés avec 20 femmes et deux hommes travaillant dans le secteur de l’assainissement et issus des communautés dalits de Khulna et Satkhira, situées dans des zones à basse altitude et inondables, fortement exposées aux effets du changement climatique tels que l’élévation du niveau de la mer, les cyclones, les sécheresses et les inondations.  De plus, des responsables du Département de gestion des catastrophes et du Département d’ingénierie de la santé publique, ainsi que des membres des comités locaux WASH et de gestion des catastrophes de ces deux districts ont également été interrogés. 

« Les personnes de caste inférieure sont laissées de côté »

Des agent·e·s d’assainissement de Khulna et Satkhira ont déclaré ne pas disposer chez eux de raccordement au réseau de distribution d’eau pour boire, se laver, cuisiner et nettoyer. En conséquence, beaucoup sont contraints soit d’acheter et de transporter de l’eau provenant de centres de traitement éloignés, soit de collecter l’eau de pluie ou d’utiliser l’eau des puits publics ou des étangs, cette eau viciée entraînant toute une série de problèmes de santé. Le coût d’achat d’une eau potable sûre constitue un autre obstacle, en particulier pour les familles gagnant entre 3 000 et 8 000 takas (25 à 65 dollars des États-Unis) par mois. 

« Notre quartier n’a jamais bénéficié d’infrastructures pour l’eau ni reçu de camions-citernes ou de machines, alors que nous travaillons tous pour le gouvernement [...] Je pense que nous, les personnes de caste inférieure, sommes laissées de côté », a déclaré un agent d’assainissement à Amnistie internationale. 

Outre la discrimination fondée sur la caste, les femmes agentes d’assainissement de Khulna et Satkhira sont également confrontées à des difficultés spécifiquement liées à leur genre. En tant que femmes, elles assument la charge de la collecte de l’eau, une tâche non rémunérée et difficile, qui restreint leurs possibilités économiques. 

Les toilettes que les agent·e·s d’assainissement ont les moyens de construire n’offrent aucune intimité, sont difficiles d’accès et ne résistent pas aux aléas climatiques. De nombreuses femmes agentes d’assainissement retardent leur utilisation des toilettes en raison du manque de sécurité et d’intimité, ce qui entraîne des maladies infectieuses. D’autres ont des difficultés à gérer leur hygiène menstruelle.

Vulnérabilité au changement climatique

Après le passage du cyclone Remal, l’accès à l’eau potable est devenu encore plus précaire. Piu, un agent d’assainissement, a déclaré : « Je n’arrivais pas trouver de l’eau potable pour boire [...] Il n’y avait jamais assez d’eau. »

Le rapport montre que les phénomènes météorologiques extrêmes, plus fréquents et violents avec le changement climatique, amplifient davantage encore les inégalités existantes, prenant au piège dans un cycle de vulnérabilité les agent·e·s d’assainissement des régions côtières. Avec 18 cyclones en 17 ans, des villages entiers ont été pris dans un cycle sans fin de reconstructions qu’ils ne peuvent pas supporter financièrement. Des latrines rudimentaires, qui coûtent jusqu’à 3 000 takas (25 dollars des États-Unis), représentent une dépense considérable pour de nombreuses familles, sans compter l’aménagement permettant de les rendre résistantes aux inondations.

Faute d’interventions urgentes permettant de renforcer les politiques de résilience climatique et les efforts visant à lutter contre les pertes et préjudices du point de vue de la caste et du genre, les plans d’adaptation du Bangladesh continueront de renforcer les inégalités et l’exclusion systémiques au lieu de les démanteler et de faire progresser l’égalité. 

Négligés par les programmes d’aide et exclus des processus décisionnels

Les agent·e·s dalits d’assainissement à Khulna et Satkhira jouent un rôle essentiel dans la préservation de la santé publique et des infrastructures sanitaires, ainsi que dans les initiatives de reconstruction après une catastrophe. Pourtant, ils sont rarement amenés à participer aux processus décisionnels liés à ces domaines. 

Kishori, une agente d’assainissement, a déclaré : « Les gens s’attendent à ce que je vive dans la saleté et le silence, et chaque fois que j’ai élevé la voix, je n’ai pas été entendue. » Ces femmes dont le travail est essentiel au fonctionnement des systèmes d’assainissement du Bangladesh se voient refuser l’accès aux services mêmes qu’elles contribuent à entretenir. 

Après le cyclone Remal, les programmes d’aide gouvernementaux à Khulna et Sathkira n’ont pas donné la priorité aux dalits et ni tenu compte des obstacles à leur inclusion, qui vont de la discrimination systémique profondément enracinée fondée sur la caste et des barrières économiques à l’absence de documents attestant de la propriété foncière et à l’emplacement des quartiers dans des zones sujettes aux inondations. En conséquence, les travailleurs et travailleuses de première ligne restent souvent sans protection et ne sont pas pris en considération.

Le Bangladesh est tenu, au titre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ONU), de garantir le droit des populations marginalisées à l’eau et à l’assainissement, et, aux termes de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ONU), d’adopter des mesures préventives pour éliminer la discrimination structurelle et garantir l’égalité d’accès à tous les droits humains. 

Dès lors, conformément à ces obligations contraignantes, les autorités doivent collecter et surveiller des données ventilées par caste, établir un plan d’action national visant à éliminer la discrimination fondée sur la caste et garantir une égalité réelle, ainsi que la participation active, libre et significative des dalits (en particulier des femmes dalits) aux processus décisionnels, à tous les niveaux du gouvernement, notamment en matière de planification pour l’eau et l’assainissement et aussi pour la planification et les interventions concernant les catastrophes. 

De plus, et ceci est primordial, le gouvernement bangladais doit adopter une loi exhaustive contre la discrimination incluant la discrimination fondée sur la caste et l’ascendance, s’appliquant aux secteurs public et privé, reconnaissant la discrimination directe et indirecte et prévoyant des mécanismes de plainte accessibles et indépendants ainsi que des recours juridiques utiles.

Amnistie internationale demande également à tout État ou organisme fournissant un financement au Bangladesh pour l’adaptation et pour faire face aux pertes et dommages de veiller à ce que tous les projets soient conçus avec la contribution pleine et entière, effective et significative des membres de la communauté dalit, mis en œuvre dans le respect des principes d’égalité et de non-discrimination et sur la base de normes mesurables d’inclusion et d’équité, et que les rapports sur les progrès et la mise en œuvre comprennent des données ventilées par caste. 

« La discrimination fondée sur la caste et le genre, le manque d’infrastructures inclusives, la marginalisation économique et la vulnérabilité climatique ont convergé pour renforcer les cycles d’exclusion et d’indignité, a déclaré Isabelle Lassée.

« Les conclusions d’Amnistie internationale reflètent une profonde incapacité du pays à défendre les droits des travailleurs et travailleuses dalits du secteur de l’assainissement. L’absence de données ventilées par caste, de financement ciblé et d’élaboration de politiques inclusives continue de laisser sur le bord du chemin les communautés dalits. »

« Nous appelons également tous les États ou organismes qui fournissent des financements au Bangladesh pour l’adaptation et pour faire face aux pertes et dommages à veiller à ce que tous les projets soient conçus avec la contribution pleine et entière, effective et significative des membres de la communauté dalit, mis en œuvre dans le respect des principes d’égalité et de non-discrimination et sur la base de normes mesurables d’inclusion et d’équité, et à ce que les rapports sur les progrès et la mise en œuvre comprennent des données ventilées par caste. »