Renforcement de la loi sur la laïcité au Québec : une menace à l'État de droit et aux droits humains
À la suite de l’adoption de la Loi visant notamment à renforcer la laïcité dans le réseau de l’éducation et modifiant diverses dispositions législatives, le 30 octobre puis du dépôt du projet de loi 9, Loi sur renforcement de la laïcité, le 27 novembre, par le gouvernement du Québec, France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone (AICF), a fait la déclaration suivante :
« Le gouvernement de la CAQ, en fin de mandat, de plus en plus impopulaire, redouble ses attaques contre les personnes immigrantes ou issues de l’immigration, notamment arabes et musulmanes. La loi 94 et le projet de loi 9 sur le renforcement de la laïcité s’inscrivent dans cette démarche, et participent d’un discours préjudiciable à l'égard de ces personnes, qui encourage la discrimination basée sur des préjugés au sein de la population.
« Les loi 94 et projet de loi 9, comme précédemment la Loi sur la laïcité de l’État, constituent une menace pour les droits humains, pour l’État de droit, dont tous les Québécois et Québécoises devraient s’inquiéter. Et ce, peu importe leur appréciation de la finalité de ces lois. Ces lois sont en contradiction tant avec les Chartes québécoise et canadienne, qu’avec la Charte internationale des droits de l’homme. C’est bien la raison pour laquelle le gouvernement fait usage de la disposition de dérogation. Un usage dit « préventif » et donc abusif, car le gouvernement n’a pas fait et n’entend pas faire la preuve que ces lois sont justifiées et qu’elles rétablissent effectivement un équilibre entre les droits de tous et toutes.
« Il n’existe à notre connaissance aucune analyse sérieuse démontrant que le port du voile ou de tout autre signe religieux, les menus Halal ou casher, ou encore le fait de se recueillir pour prier dans un endroit prévu à cet effet, même dans la rue, n’ait attenté aux droits de quelqu’un. Ce n’est pas parce que ça nous déplaît, que ça nous met mal à l’aise ou que nous sommes contre, que nos droits sont bafoués.
« Soustraire des droits à certaines personnes, appartenant à un groupe minoritaire, ou doublement minoritaire, soit les femmes musulmanes, est hautement préoccupant. Il ne s’agit pas d’un geste banal, loin de là. Si le gouvernement se préoccupait réellement des droits des femmes musulmanes au Québec, il s’y prendrait autrement. Il n’y a rien dans ces lois qui vient protéger leurs droits. Ces lois ne font que les effacer de l’espace public et nourrir la discrimination à leur égard, sinon la haine.
« Les mesures d’interdiction de ports de signes religieux sont discriminatoires, tant dans leurs intentions, étant donné les discours de haine qui les accompagnent, que dans leurs effets, puisque ce sont principalement les femmes et filles musulmanes qui les subissent.
« Si le but avoué est d’assurer le respect du principe de ‘’laïcité’’, dans les faits, ces lois visent spécifiquement et affectent de manière disproportionnée les droits des femmes et des jeunes filles musulmanes, qui risquent d’être exclues de l’espace public.
« Au regard du droit international des droits humains, quel que soit le sens que l’on donne à la laïcité, celle-ci ne peut restreindre abusivement la liberté de religion, de pensée, de conscience et d'expression et violer le droit à la non-discrimination. Ceci demeure vrai, même lorsque la laïcité est enchâssée dans des lois, voire dans une loi à prétention constitutionnelle.
« Les femmes ne doivent subir aucune pression ni coercition quant à leur façon de s’habiller.
« La ministre de l’Éducation, Sonia LeBel, comme son prédécesseur, Bernard Drainville, n’a pas hésité pas à instrumentaliser le problématique cas de l’école Bedford, comme si le problème réel de cette école s’étendait à toutes les écoles du Québec, et qu’au final pour rétablir la situation, il suffisait de supprimer les symboles vestimentaires portés par les femmes et les filles musulmanes.
« La ministre a déclaré : ‘’Cette loi vient écrire noir sur blanc que les écoles sont des lieux d’apprentissage neutres, où tous les élèves doivent évoluer sans pression religieuse.’’ On peine à voir le lien entre l’interdiction de certains vêtements et cette affirmation, d’autant que dans le cas de l’école Bedford, puisque c’est à cela que la ministre réfère, il s’agissait majoritairement d’hommes, sans doute musulmans, mais dont les comportements répréhensibles avaient somme toute peu à voir avec du prosélytisme, sinon qu’avec une vision conservatrice de l’enseignement tant au niveau de la forme que du contenu, et des comportements et attitudes inacceptables à l’égard du corps professoral et de sa direction.
« Que le gouvernement s’entête à induire la population en erreur pour des raisons qui ne peuvent apparaître qu’électoralistes, au mépris des droits humains, de la paix sociale et de l’État de droit, est dramatique. C’est grave et très inquiétant.
« La mise en scène du ministre de la Laïcité, Jean-François Roberge, dans une courte vidéo, le 24 novembre, est choquante, et en aucun cas digne des fonctions qu’il occupe. Reprendre les paroles prononcées par le premier ministre du Québec en 2019 : ‘’ Au Québec, c’est comme ça qu’on vit. ‘’, alors qu’elles avaient fait polémiques, c’est de la provocation mal placée et c’est insultant pour les personnes professant de bonne foi une religion. En outre, ces paroles, sont exactement celles qui sont tenues par les dirigeants des pays autoritaires et où les droits des femmes sont allègrement bafoués, à commencer par les régimes islamiques. Un ministre d’un État de droit qui se respecte ne se permet pas d’être arrogant à l’égard de certains de ces citoyens et citoyennes.
« L’interdiction de l’expression religieuse dans l’espace public au Québec, que ce soit le port de signes religieux ou les prières dans les rues ou des espaces réservés à cet effet dans des bâtiments publics, s’inscrit dans un discours antidroits, haineux, stigmatisant particulièrement à l’égard des personnes musulmanes, sinon des femmes musulmanes.
« La discrimination contre les personnes musulmanes, ou perçues comme tel, peut être considérée comme une forme de discrimination raciale. »