Yémen. Le Conseil de transition du Sud doit cesser de réprimer l’espace civique
Les autorités de facto du Conseil de transition du Sud (CTS) doivent cesser d’imposer des restrictions illégales et arbitraires au travail des organisations de la société civile et des défenseur·e·s des droits humains dans le gouvernorat d’Aden, dans le sud du Yémen, a déclaré Amnistie internationale le 5 mars 2024.
Depuis début 2023, le CTS a adopté une série de mesures qui resserrent l’étau sur le travail des organisations de la société civile yéménite, au mépris de la législation sur les associations locales et des normes internationales relatives aux droits humains. Notamment, les organisations doivent désormais demander des autorisations au ministère des Affaires sociales et du Travail et à l’Autorité nationale pour les médias du Sud, tous deux gérés par le CTS, pour organiser des événements publics, sous peine d’interdiction ou de fermeture de leurs activités, et se plier à des exigences bureaucratiques pesantes, comme la production excessive de rapports. Dans certains cas, le ministère a refusé des fonds ou des projets à des organisations considérées comme politiquement opposées au CTS.
« Il est honteux de voir les autorités de facto du CTS entraver le travail crucial des organisations de la société civile et des défenseur·e·s des droits humains au lieu de veiller à ce qu’ils puissent continuer d’apporter un soutien si nécessaire aux civil·e·s touchés de plein fouet par les répercussions du conflit armé qui fait rage dans le pays, a déclaré Grazia Careccia, directrice régionale adjointe d’Amnistie internationale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
« Ces mesures illégales et arbitraires favorisent un climat d’intimidation et de peur et restreignent les droits à la liberté d’expression, d’association et de participation aux affaires publiques. »
Des mesures restrictives et arbitraires
Amnistie internationale a interrogé six représentant·e·s d’organisations de la société civile yéménite qui travaillent sur le développement social et les droits humains à Aden.
Tous les six ont déclaré que contrairement à la Loi de 2001 relative aux associations et aux fondations yéménites, le CTS insiste désormais pour que les organisations demandent des autorisations au ministère des Affaires sociales et du Travail et à l’Autorité nationale pour les médias du Sud, tous deux gérés par le CTS, pour mener leurs activités à Aden. Afin de les obtenir, elles doivent fournir des rapports détaillés et onéreux sur leurs activités publiques prévues, comportant notamment le lieu, l’heure et l’objectif de l’activité, le nombre de participants, la source de financement et les résultats escomptés – voire la liste des noms des participants à un événement ou des bénéficiaires d’un programme.
Deux organisations ont déclaré à Amnistie internationale que le CTS leur a interdit de mener leurs activités entre novembre et décembre 2023, parce qu’elles n’avaient pas soumis une demande d’autorisation.
Le représentant d’une organisation travaillant sur le développement social a déclaré :
« Nous avons organisé un événement culturel public dans nos locaux et diffusé l’invitation sur les plateformes de réseaux sociaux. Nous avons tout de suite reçu un appel de l’Autorité nationale pour les médias du Sud nous informant que l’événement était interdit parce que nous n’avions pas demandé d’autorisation. [...] Ils nous imposent des restrictions arbitraires qui n’ont aucun fondement légal. »
En décembre 2023, l’Autorité nationale pour les médias du Sud, établie sans fondement légal clair en 2021 par le responsable du CTS, a publié une note, examinée par Amnistie internationale, interdisant aux hôtels et aux salles publiques d’accueillir des conférences, des activités, des ateliers de formation ou de sensibilisation, des discussions de groupe, des tables rondes ou des forums de dialogue, sans avoir obtenu l’aval de l’Autorité.
Cependant, obtenir cette autorisation ne garantit pas qu’une activité puisse avoir lieu. La représentante d’une organisation de défense des droits humains a déclaré qu’en dépit de l’autorisation obtenue auprès des autorités de facto du CTS pour un événement, celles-ci ont ordonné au directeur de l’hôtel de fermer la salle, d’expulser le personnel et d’y mettre fin de manière arbitraire, sans fournir aucune explication.
Elle a indiqué : « Les autorités du CTS ne se contentent pas de restreindre l’espace civique, elles en menacent l’existence même. »
Toutes les personnes interrogées ont indiqué que les organisations qui ne sont pas alignées d’un point de vue politique sur les autorités de facto du CTS font l’objet d’un examen plus approfondi et de restrictions et risquent d’être exclues des fonds et des programmes du ministère des Affaires sociales et du Travail. Selon un représentant d’association, celle-ci étant considérée comme affiliée à l’opposant politique du CTS, le parti Al Islah (Rassemblement yéménite pour la réforme), le ministère les a exclus de tous les projets et fonds :
« Nous ne sommes pas autorisés à travailler sur le terrain à moins de coordonner étroitement chaque étape avec les autorités locales du CTS, sinon ils bloquent notre action. Ils demandent également les noms de tous nos bénéficiaires. »
« Ces mesures restrictives et arbitraires ont un effet paralysant sur les organisations de la société civile et les défenseur·e·s des droits humains. Elles instaurent un climat de peur qui ne permet plus à la société civile de poursuivre ses activités en toute sécurité », a déclaré Grazia Careccia.
« Nous autocensurons notre travail »
Quatre organisations ont déclaré qu’elles étaient obligées de s’autocensurer et de réduire leurs activités pour éviter d’avoir à subir les contrôles excessifs et les exigences pesantes, qui mettent à rude épreuve leurs ressources humaines limitées. Le représentant d’une organisation a déclaré :
« Nous autocensurons notre travail pour que les autorités ne rejettent pas nos projets et activités [...]. Mes activités ont diminué parce que je n’ai plus d’espace libre pour agir. Nous redoutons [d’être envoyés] dans des prisons secrètes et d’être assassinés. »
« Le gouvernement yéménite doit respecter pleinement les obligations qui lui incombent en vertu du droit international et abroger toutes les lois, réglementations et pratiques restrictives qui violent les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Les organisations de la société civile doivent pouvoir travailler dans un environnement sûr et propice, sans peur ni représailles », a déclaré Grazia Careccia.
Complément d’information
Le Pacte international relative aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Yémen est partie, protège les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association. Le droit à la liberté d’association, garanti par l’article 21 du PIDCP, protège spécifiquement le droit des individus de former ou de rejoindre des groupes officiels ou informels afin d’agir collectivement dans un objectif commun. Les mesures restreignant le travail des organisations de la société civile, notamment en leur imposant des critères d’enregistrement onéreux ou des lourdeurs administratives, doivent être aussi discrètes que possible et tenir compte de l’importance des intérêts en jeu.
La Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme met en évidence l’importance du rôle que jouent les organisations de la société civile dans la promotion et la protection des droits fondamentaux. Elle confirme également combien il est important que les organisations de la société civile soient en mesure d’exercer librement les droits aux libertés d’association et d’expression, notamment en cherchant, en obtenant et en diffusant des idées et des informations, en plaidant en faveur des droits humains, en participant à la gouvernance et à la direction des affaires publiques.