Tunisie. Les opposants détenus arbitrairement depuis un an doivent être libérés et les charges retenues contre eux abandonnées
Les autorités tunisiennes doivent libérer immédiatement et sans condition six opposants politiques détenus arbitrairement depuis un an et faisant l’objet d’accusations infondées de « complot contre la sûreté de l’État » en raison de leur opposition politique présumée et pour avoir exercé leur droit à la liberté de réunion, a déclaré Amnistie internationale.
En janvier 2024, la justice a rejeté les derniers recours en date contre le maintien prolongé en détention provisoire de ces six hommes, qui avaient été déposés par le Comité de défense des détenus politiques, ce qui laisse penser que le gouvernement ne compte pas céder sur son affaire de « complot » dans laquelle au moins 50 personnes ont été poursuivies jusqu’à présent.
« Le rejet des derniers recours est scandaleux quand cela fait 12 mois que les autorités judiciaires n’apportent pas la moindre preuve d’actes commis par les personnes détenues qui pourraient constituer une infraction reconnue par le droit international. Ces responsables politiques, avocats et anciens membres du Parlement n’auraient jamais dû être arrêtés, a déclaré Heba Morayef, directrice du programme régional Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnistie internationale.
« Il est évident que les autorités tunisiennes les maintiennent enfermés pour des motifs politiques. Elles doivent les libérer immédiatement et abandonner toutes les charges qui pèsent sur eux. Depuis un an, les autorités ont intensifié leur utilisation abusive de la justice pénale pour museler la dissidence politique et instiller la peur chez tous les opposant·e·s politiques. »
Le 11 février 2023, le gouvernement tunisien a ouvert une enquête visant 17 personnes et « toute autre personne affiliée » pour plusieurs chefs d’inculpation, dont celui de « complot contre la sûreté de l’État ». Les forces de sécurité ont arrêté huit figures de l’opposition entre le 11 et le 25 février dans le cadre de cette enquête. Ces personnes ont été interrogées et placées en détention provisoire. En juillet 2023, deux d’entre elles, Chaïma Issa et Lazhar Akremi, ont été remises en liberté après que leurs avocat·e·s ont fait appel de leur placement en détention provisoire, mais elles continuent d’avoir l’interdiction de voyager et « d’apparaître dans des lieux publics ».
Les six autres figures de l’opposition arrêtées pendant la même période sont maintenues en détention. Khayam Turki, Abdelhamid Jlassi, Jaouher Ben Mbarek, Ridha Belhaj, Ghazi Chaouachi et Issam Chebbi sont incarcérés à la prison de Mornaguia, près de Tunis. Le 12 février 2024, ils ont entamé une grève de la faim pour protester contre leur détention arbitraire. Deux d’entre eux ont dû y renoncer pour raisons de santé, mais Khayam Turki, Abdelhamid Jelassi, Issam Chebbi et Jaouher ben Mbarek la poursuivent.
Depuis que l’enquête a débuté en février 2023, les autorités judiciaires ont convoqué au moins 42 autres militant·e·s politiques, membres de l’opposition, hommes d’affaires, anciens membres du Parlement, avocat·e·s, défenseur·e·s des droits humains et anciens responsables des forces de sécurité pour les interroger dans le cadre de la même affaire.
« Les autorités ont continué leur chasse aux sorcières dans cette affaire de complot dénuée de tout fondement. Elles ont convoqué des dizaines de personnes pour les interroger, en les menaçant et en les intimidant, et pour Ayachi Hammami, en lui interdisant de voyager et “d’apparaître en public”, ce qui constitue une grave restriction de ses droits individuels », a déclaré Heba Morayef.
« Je ne comprends pas pourquoi j’ai été détenue »
Les autorités n’ont pas démontré que la détention provisoire des six hommes encore privés de liberté dans cette affaire était nécessaire et proportionnée, comme le prévoit le droit international.
Aux termes du droit international relatif aux droits humains, la présomption d’innocence fait partie des garanties du droit à un procès équitable (article 14 du PIDCP). Le droit international prévoit que les personnes inculpées d’une infraction pénale ne seront pas placées en détention pendant l’enquête ou en attendant le procès, sauf si cela est strictement nécessaire. La détention provisoire ne peut être justifiée que pour un nombre limité de motifs tels que le risque de fuite, de grave préjudice causé à autrui ou d’ingérence dans les éléments de preuve ou dans l’enquête.
L’avocat Samir Dilou, qui représente ces six détenus, a déclaré à Amnistie internationale :
« La plupart des détenus n’ont pas revu le juge depuis qu’il les a interrogés les 24 et 25 février de l’an dernier. Ils n’ont fait l’objet d’aucun nouvel interrogatoire et n’ont pas été confrontés à des éléments à charge. Ils restent simplement assis dans leurs cellules. Il n’y a aucune évolution de l’enquête qui justifierait de les maintenir en détention. »
Chaïma Issa, qui faisait partie des militant·e·s politiques placés en détention et libérés cinq mois plus tard, a déclaré :
« À ce jour, je ne comprends pas pourquoi j’ai été détenue et pourquoi j’ai été remise en liberté tandis que mes amis qui font l’objet des mêmes accusations infondées sont toujours en détention. Cette situation confirme que tout cela est arbitraire. »
Harcèlement judiciaire des avocat·e·s
Dans une autre procédure, trois membres de l’équipe de défense des six hommes détenus font l’objet de poursuites pénales en lien avec des déclarations qu’ils ont faites au sujet de l’affaire. Amnistie internationale a examiné les déclarations en question et constaté qu’elles étaient toutes protégées par le droit à la liberté d’expression. Les autorités judiciaires ont engagé des poursuites contre les avocat·e·s Islam Hamza, Dalila Msaddak et Abdelaziz Essid, qui sont notamment accusés d’avoir « diffusé de fausses nouvelles », « nui aux tiers à travers les réseaux publics des télécommunications » et « imputé à des fonctionnaires publics ou assimilés des faits illégaux en rapport avec leurs fonctions, sans en établir la véracité ».
Abdelaziz Essid doit comparaître devant un juge le 23 février pour avoir « nui aux tiers à travers les réseaux publics des télécommunications » et « imputé à des fonctionnaires publics ou assimilés des faits illégaux en rapport avec leurs fonctions, sans en établir la véracité » car il a mis en avant des incohérences dans les dates et les faits figurant dans le dossier de l’affaire de « complot » qui laissent penser que celui-ci pourrait avoir été trafiqué. S’il est reconnu coupable, il encourt jusqu’à quatre ans d’emprisonnement.
Complément d’information
En avril 2023, le juge a ajouté 23 noms supplémentaires sur la liste des suspects dans l’enquête pour « complot contre la sûreté de l’État », comportant ceux de membres de l’opposition, de militant·e·s politiques et d’anciens membres des services de sécurité. Le 3 mai 2023, quatre nouvelles personnes – toutes des avocat·e·s – ont été ajoutées à la liste de suspects. Le 11 août 2023, le juge a encore ajouté 11 autres noms parmi les suspects dans cette affaire.
Entre juillet et octobre 2023, le juge d’instruction et la police ont convoqué des dizaines de personnes pour les interroger en lien avec l’affaire de « complot », en leur posant des questions sur leur relation avec les personnes détenues et sur leurs activités politiques, semble-t-il.
Depuis février 2023, au moins 20 autres opposant·e·s politiques et détracteurs supposés du gouvernement ont été arrêtés, détenus et parfois condamnés pour diverses accusations liées à leurs activités politiques pacifiques ou pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression.