Koweït. Les autorités doivent mettre un terme à la vague de répression contre les voix critiques
Les autorités koweïtiennes ont intensifié la répression contre l’opposition tout au long de l’année 2024, en poursuivant des personnes uniquement sur la base de leurs discours ou de leurs écrits et en prononçant contre elles des peines de prison, ainsi qu’en retirant à certaines leur nationalité, a déclaré Amnistie internationale jeudi 27 juin.
Ces six derniers mois, les autorités koweïtiennes ont soumis à une détention arbitraire au moins sept personnes ayant exprimé publiquement leurs points de vue et opinions, ont déchu de la nationalité koweïtienne au moins neuf personnes et poursuivi un candidat aux élections législatives qui avait critiqué le système de gouvernement. À cette vague de répression s’est ajoutée la décision de l’émir Meshal Al Sabah, le 10 mai 2024, de dissoudre le Parlement nouvellement élu, et de suspendre le gouvernement parlementaire et les élections pour une période pouvant atteindre quatre ans.
« La multiplication des poursuites contre des militants, des défenseurs des droits humains et des députés en raison de leurs déclarations critiques à l’égard du gouvernement montre que les autorités koweïtiennes intensifient la répression contre les droits humains, notamment le droit à la liberté d’expression », a déclaré Devin Kenney, spécialiste du Koweït à Amnistie internationale.
« Les autorités koweïtiennes doivent immédiatement mettre un terme à cette vague de répression effrayante. Nul ne devrait être poursuivi ni emprisonné pour avoir simplement critiqué le gouvernement. Les autorités doivent immédiatement libérer toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains, et abandonner les charges retenues contre elles. »
Convocations et peines d’emprisonnement
Le 25 janvier 2024, un tribunal koweïtien a condamné Anwar Hayati à quatre ans de prison en vertu de la Loi relative à la Sûreté de l’État, en raison de commentaires faits en ligne, que les autorités ont considérés comme insultants à l’égard de l’émir et de l’Arabie saoudite. Les accusations s’appuyaient sur sept publications sur X (anciennement Twitter), dans lesquelles il déclarait que la famille royale avait volé de l’argent public et mentionnait le fait historique que le Koweït avait été attaqué depuis le territoire saoudien en 1920. Les autorités ont refusé de remettre à son avocat l’acte d’accusation et le dossier pendant le procès.
Anwar Hayati avait déjà été convoqué en septembre 2023 par le parquet, à la suite d’une plainte de l’appareil de sécurité de l’État selon laquelle il avait manqué de respect à la famille royale. Il a quitté le pays le jour même et vit en exil en Europe depuis lors.
Le 31 janvier 2024, un tribunal koweïtien a condamné le militant apatride Mohammad al Bargash à trois ans de prison pour avoir critiqué les politiques gouvernementales à l’égard des bidun, une population arabe apatride du Koweït. Mohammad al Bargash avait précédemment été condamné à une amende et à un an d’emprisonnement en août 2022 pour avoir organisé une série de sit-ins pacifiques en faveur des droits des bidun. Ces poursuites portent atteinte à ses droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Amnistie internationale considère Mohammad al Bargash comme un prisonnier d’opinion et a appelé à plusieurs reprises les autorités koweïtiennes à le libérer immédiatement et sans condition.
Le 19 février 2024, un tribunal koweïtien a condamné Abdullah Fairouz, militant, et Fuhaid al Ajami, rédacteur en chef de l’entreprise médiatique koweïtienne TfTeeeSH, à cinq ans de prison dans une « affaire de sûreté de l’État », en raison des déclarations d’Abdullah Fairouz dans une interview accordée à TfTeeeSH en 2022. Dans cet entretien, qui a été retiré d’Internet, Abdullah Fairouz a affirmé que le ministère de l’Intérieur du Koweït avait travaillé avec une entreprise israélienne, en violation de la loi koweïtienne. Les autorités ont arrêté Abdullah Fairouz le 29 janvier 2024 et le tribunal a ordonné son expulsion du Koweït à sa sortie de prison, car son père est koweïtien et sa mère égyptienne. Abdullah Fairouz avait déjà été emprisonné du 4 novembre 2013 au 22 septembre 2021 pour des commentaires en ligne critiquant l’émir.
Fuhaid al Ajami a été condamné à une peine de prison dans la même affaire, mais une cour d’appel a annulé sa condamnation et a prononcé sa libération début juin, au bout de trois mois de détention. La cour d’appel a par ailleurs ramené la peine de prison d’Abdullah Fairouz à trois ans.
Déchéance de nationalité
L’émir du Koweït a publié en 2024 trois décrets retirant la nationalité à au moins neuf hommes koweïtiens, en plus des enfants et des épouses de quatre d’entre eux. Ces ordonnances ne mentionnent pas la raison de cette déchéance de nationalité. Au moins une des personnes visées par cette mesure a critiqué le Koweït et d’autres gouvernements du Golfe arabe sur Internet, et au moins trois semblent s’être vu accorder la nationalité au cours des deux dernières décennies.
« Les autorités koweïtiennes continuent de considérer la nationalité comme un privilège qu’elles accordent ou refusent arbitrairement aux Koweïtiens en fonction de leurs opinions politiques », a déclaré Devin Kenney. « Le droit à la nationalité est un droit humain de base, et le fait de ne pas le respecter et le garantir peut causer des ravages dans la vie des gens. Les bidun, la population autochtone apatride du Koweït, en ont par exemple fait la dure expérience. »
Députés poursuivis
Depuis que l’émir a suspendu le Parlement le 10 mai 2024, les autorités koweïtiennes ont engagé des poursuites contre cinq politiciens koweïtiens, tous accusés de critiquer le système de gouvernance du Koweït.
Dans un cas, le 22 mai 2024, un tribunal koweïtien a condamné Mesaed al Quraifah, candidat aux législatives, à quatre ans d’emprisonnement, pour avoir critiqué le gouvernement koweïtien et l’implication de la famille Al Sabah dans la politique, lors d’un discours électoral.
C’est la troisième fois dans l’histoire du Koweït que l’émir dissout le gouvernement parlementaire. Les deux autres périodes sont allées de 1976 à 1981 et de 1986 à 1992. Dans son dernier décret, l’émir a dissous l’Assemblée nationale – qui venait d’être élue début avril et devait se réunir pour la première fois le 14 mai – et a suspendu les articles de la Constitution qui exigent une assemblée législative élue. L’ordonnance dispose que cette suspension peut rester en vigueur pour une durée pouvant atteindre quatre ans.