Espagne. Les acteurs politiques doivent mettre de côté leurs divergences et se prononcer en faveur d’un programme commun face au risque de génocide à Gaza
- Amnistie internationale rencontre le gouvernement et l’opposition, et salue les propositions de réforme de la Loi bâillon et de la Loi relative aux secrets d’État
- L’organisation déplore le manque d’engagement réel en faveur d’une enquête indépendante sur la tragédie de Melilla et d’une réforme de la Loi relative à la compétence universelle.
Une délégation d’Amnistie internationale, composée d’Agnès Callamard, sa secrétaire générale, et d’Esteban Beltrán, le directeur de la section espagnole, a présenté aux autorités et à l’opposition les propositions de l’organisation pour la quinzième législature dans un document intitulé « Vision et courage pour faire progresser les droits humains ».
« La souffrance de la population de Gaza mérite que tous les acteurs politiques, en Espagne et dans le monde, mettent de côté leurs divergences et s’accordent sur un programme commun face au risque de génocide à Gaza », a déclaré Agnès Callamard.
L’organisation salue les mesures déjà prises par le gouvernement, telles que son soutien au financement de l’UNRWA, à l’enquête de la Cour pénale internationale et à l’affaire relative aux allégations de génocide portée devant la Cour internationale de justice. Il devrait toutefois aller plus loin sur d’autres terrains, en rendant permanente la suspension temporaire des livraisons d’armes à Israël, ainsi qu’en promouvant, au sein de l’Union européenne, l’interdiction d’importer des produits fabriqués dans les colonies des territoires palestiniens occupés, et le réexamen de l’accord de coopération entre Israël et l’Union européenne (UE).
Propositions exprimées lors des réunions
Le ministre de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, a fait part à Amnistie internationale de son intention de réformer la Loi relative à la sécurité des citoyens, connue sous le nom de Loi bâillon, une loi qui porte atteinte au droit à la liberté d’expression et contre laquelle Amnistie internationale s’est mobilisée depuis son entrée en vigueur.
Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, et le secrétaire général adjoint du Parti populaire, Esteban González Pons, ont tous deux exprimé leur soutien à la réforme de la Loi relative aux secrets d’État, qui restreint le droit d’accès à l’information et entrave les enquêtes sur des violations graves des droits humains commises en Espagne.
« Espérons que ces réformes deviendront bientôt une réalité. Pour notre part, nous veillerons à ce que les victimes de violations des droits humains soient entendues et qu’elles soient au cœur de toutes les mesures qui seront prises », a déclaré Esteban Beltrán.
Amnistie internationale se félicite également que le ministre de l’Intérieur se soit montré disposé à étudier des modèles de mécanismes indépendants d’obligation de rendre des comptes pour les forces de sécurité de l’État, comme d’autres pays européens l’ont fait.
Une autre question soulevée lors de la réunion avec Fernando Grande-Marlaska, dont Amnistie internationale pense qu’elle constituerait une avancée importante si elle était mise en œuvre, est celle de l’application des recommandations du parquet général visant à supprimer les obstacles empêchant les personnes originaires d’Afrique subsaharienne d’obtenir une protection internationale aux postes-frontières de Ceuta et de Melilla. L’organisation précise qu’il est nécessaire de mettre un terme à une autre des principales violations des droits humains commises à la frontière, comme l’a indiqué le médiateur : la pratique, contraire au droit espagnol et international, consistant à expulser sommairement vers le Maroc des migrant·e·s et des personnes demandant l’asile, que ce soit collectivement ou individuellement.
De même, concernant les entreprises, la deuxième vice-présidente du gouvernement, Yolanda Díaz, s’est engagée à mettre en œuvre la directive sur la diligence raisonnable, si elle est approuvée le 15 mars, et, dans le cas contraire, à promouvoir, tant au niveau national qu’européen, des mesures législatives obligeant les entreprises à appliquer des procédures de diligence raisonnable concernant les droits humains et les changement climatiques, afin d’identifier les risques et impacts négatifs potentiels, de prévenir, d’atténuer, de rendre des comptes et d’accorder des réparations aux victimes.
Questions en suspens
Un terrible événement survenu durant la précédente législature restera d’actualité pendant le nouveau cycle parlementaire : la tragédie de Melilla en juin 2022, l’une des affaires les plus honteuses pour la démocratie espagnole sur le terrain des droits humains. Amnistie internationale regrette que, lors de sa rencontre avec Fernando Grande-Marlaska, le ministre ne se soit pas réellement engagé à diligenter une enquête indépendante sur les faits, ni à veiller à ce que les droits humains aient une place importante dans les relations avec le Maroc. « Les autorités espagnoles, tout comme les autorités marocaines, doivent assumer leurs responsabilités et cesser d’entraver les efforts visant à découvrir la vérité sur ce qui s’est passé à Melilla, ce qui est indispensable pour que justice soit rendue aux victimes et à leurs familles », a déclaré Agnès Callamard.
Enfin, l’organisation a également rappelé la nécessité de faire preuve de vigilance face à d’éventuels reculs dans certains domaines. « Il est temps de parvenir à un consensus au sein de toutes les administrations publiques, tant au niveau de l’État que des régions, dans le but de défendre et de faire progresser les droits humains en Espagne, sans céder aux tentations racistes, homophobes ou à celles qui remettent en question les violences liées au genre. »
« Elles doivent avoir la vision et le courage requis pour garantir l’accès à des soins de santé universels pour toutes les personnes, y compris les migrant·e·s en situation irrégulière, et appliquer les lois de l’État au niveau régional, telles que la loi sur la mémoire démocratique, la loi sur la liberté sexuelle, la loi sur le logement, les lois garantissant les droits des personnes LGTBI et la loi sur la santé sexuelle et reproductive, ainsi que lutter efficacement contre le changement climatique, entre autres », a déclaré Esteban Beltrán.
L’organisation regrette aussi que l’Espagne n’ait pas l’intention de réformer la Loi organique relative au pouvoir judiciaire afin de rétablir le principe de la compétence universelle pour les crimes relevant du droit international, qui habilite à ouvrir des enquêtes et des poursuites devant les tribunaux nationaux contre des personnes soupçonnées d’avoir perpétré ce genre de crimes, quel que soit l’endroit où ceux-ci ont eu lieu.