• 3 déc 2024
  • Égypte
  • Communiqué de presse

Égypte. Le président Abdel Fattah al Sissi doit rejeter la nouvelle loi sur l’asile qui bafoue les droits des réfugié·e·s

Le président Abdel Fattah al Sissi ne doit pas ratifier la nouvelle loi sur l’asile approuvée par le Parlement qui, si elle est promulguée, portera atteinte aux droits des réfugié·e·s en Égypte dans le contexte de la répression qui s’abat déjà sur les personnes en quête de protection et de sécurité dans le pays, a déclaré Amnistie internationale le 3 décembre 2024. 

Le 19 novembre, le Parlement égyptien a approuvé la première loi sur l’asile du pays, qui restreint le droit de demander l’asile, ne prévoit pas de garanties de procédure régulière et fait basculer la responsabilité d’enregistrer les demandeurs·euses d’asile et de déterminer leur statut de réfugié·e du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au gouvernement égyptien. La loi, qui n’interdit pas explicitement le refoulement, s’inscrit dans un contexte où la police égyptienne et les forces de police des frontières financées par l’UE procèdent à des arrestations massives et expulsent illégalement des réfugié·e·s soudanais arrivés en Égypte pour échapper au conflit armé qui fait rage au Soudan. 

« Le gouvernement égyptien ne doit pas chercher à contourner les obligations qui lui incombent en vertu du droit international relatif aux droits humains et du droit des réfugiés en adoptant une législation nationale qui faciliterait de nouvelles atteintes aux droits des personnes réfugiées et demandeuses d’asile. Le président Abdel Fattah al Sissi doit renvoyer cette loi très lacunaire devant le Parlement afin que des consultations sérieuses soient menées avec la communauté des réfugiés, des organisations de défense des droits humains et d’autres acteurs clés, en vue de la modifier et de la rendre conforme aux obligations internationales de l’Égypte, a déclaré Mahmoud Shalaby, chercheur sur l’Égypte à Amnistie internationale. 

« L’UE, en tant que partenaire proche de l’Égypte en matière de migration, doit inviter le gouvernement égyptien à introduire des amendements garantissant la protection des droits des personnes réfugiées et demandeuses d’asile. Pour parer au risque de se rendre complice des violations commises à leur encontre dans le pays, l’UE doit veiller à ce que sa coopération avec l’Égypte en matière de migration inclue des garanties relatives aux droits fondamentaux et se plie à des évaluations rigoureuses des risques pour les droits concernant l’impact d’un accord quel qu’il soit. » 

Le HCR enregistre les demandeurs·euses d’asile et procède à la détermination du statut de réfugié·e en Egypte depuis 1954, en s’appuyant sur un protocole d’accord avec le gouvernement. En octobre 2024, 800 000 personnes réfugiées et demandeuses d’asile étaient enregistrées auprès du HCR ; pourtant, le gouvernement affirme que le pays accueille neuf millions de réfugiés, combinant ainsi le nombre de personnes réfugiées, demandeuses d’asile et migrantes. 

En vertu de cette loi, qui n’a pas été officiellement rendue publique et a été adoptée sans véritable consultation des principales parties prenantes, le Comité permanent pour les affaires des réfugiés, affilié au Premier ministre et composé de représentants des ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Justice et des Finances, gérera le système national d’asile. 

Les lacunes de la nouvelle loi 

La nouvelle loi sur l’asile définit le terme « réfugié » conformément à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, mais est loin de satisfaire aux obligations de l’Égypte en matière de droit international relatif aux droits humains et de droit des réfugiés. Elle autorise la détention arbitraire de demandeurs d’asile et de réfugiés pour des motifs liés à l'immigration uniquement, restreint indûment le droit de demander l’asile et permet des renvois illégaux sans garanties procédurales. En outre, elle contient des dispositions discriminatoires, qui restreignent leur droit de circuler librement et ne respectent pas leurs droits à l’éducation, au logement et à la sécurité sociale. 

Selon cette nouvelle loi, les demandeurs·euses d’asile qui entrent en Égypte clandestinement sont tenus de soumettre leur demande dans les 45 jours suivant leur arrivée. Ce délai arbitraire ne tient pas compte des circonstances individuelles – comme la disponibilité d’un avocat ou l’accès à des preuves étayant les motifs de l’asile – et ne prévoit pas d’exceptions pour les personnes en situation de vulnérabilité, telles que les victimes de la traite des êtres humains ou de torture. Ceux qui ne sont pas en mesure de déposer leur demande dans les 45 jours suivant leur entrée en Égypte peuvent se voir refuser la possibilité de demander l’asile et risquent une peine d’emprisonnement d’au moins six mois ou des amendes, ainsi qu’un renvoi forcé. 

La loi intègre également des critères généraux excluant certains de la possibilité de se voir accorder l’asile (appelés clauses d’exclusion).  

En vertu de la loi, les personnes ayant commis « un crime grave » avant d’entrer en Égypte peuvent se voir refuser la protection internationale. Le fait que la loi n’exclut pas les « crimes politiques », conformément à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, peut conduire à l’exclusion de personnes condamnées dans leur pays d’origine pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, ou pour de fausses accusations à caractère politique. Un autre motif de refus est le fait d’avoir commis « des actes portant atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public », des termes à la fois vagues et généraux, qui ne respectent donc pas le principe de légalité et ouvrent la voie aux abus. 

En vertu de la loi, le non-respect des « valeurs et traditions de la société égyptienne », non définies, entraînera la révocation du statut de réfugié, voire l’expulsion du pays. La participation à « tout travail politique ou partisan, le travail dans des syndicats, ou la création, l’adhésion ou la participation à toute forme de parti politique » peuvent également aboutir à la révocation du statut de réfugié et à l’expulsion du territoire égyptien. 

Enfin, la loi ne prévoit pas de garanties tout au long de la procédure d’asile, telles que le droit à une assistance juridique, l’accès aux informations dans une langue comprise par la personne concernée, le droit de contester la légalité de sa détention et de faire appel des décisions auprès d’une juridiction supérieure compétente. 

Pour consulter l’analyse approfondie d’Amnistie internationale sur la loi sur l’asile, veuillez cliquer ici

Complément d’information 

Depuis que le conflit au Soudan a éclaté en avril 2023, plus d’un million de personnes ont fui vers l’Égypte, selon le gouvernement égyptien. En mai 2023, celui-ci a introduit une obligation de visa pour tous les ressortissant·e·s soudanais, ne laissant d’autre choix à ceux qui fuyaient que de s’échapper par des points de passage irréguliers à la frontière. En juin 2023, le cabinet des ministres égyptiens a approuvé un projet de loi réglementant l’asile et l’a transféré au Parlement. 

Amnistie internationale a recueilli des informations sur la manière dont, depuis septembre 2023, la police égyptienne des frontières, qui relève du ministère de la Défense, et la police, qui relève du ministère de l’Intérieur, ont arrêté et renvoyé de force des milliers de réfugiés soudanais, qui n’ont pas eu la possibilité de solliciter l’asile, notamment en s’adressant au HCR, ni de contester les décisions d’expulsion. Des acteurs de la protection des réfugiés en Égypte ont indiqué qu'environ 18 000 personnes ont été expulsées d'Égypte vers le Soudan en 2024. 

Malgré des violations bien documentées à l’encontre des réfugié·e·s, l’UE a annoncé en mars 2024 un accord de partenariat stratégique avec l’Égypte pour, entre autres, approfondir la coopération en matière de migration et de contrôle des frontières, en cherchant à empêcher les départs vers l’Europe. 

En octobre 2022, l’UE et l’Égypte ont signé un accord de coopération de 80 millions d’euros, qui portait notamment sur le renforcement des capacités des gardes-frontières égyptiens, afin de freiner la migration irrégulière et la traite des êtres humains au-delà de la frontière égyptienne. L’accord vise à appliquer des « approches fondées sur les droits, axées sur la protection et sensibles au genre ».