Québec. Immigration : la désinformation officielle
Par France-Isabelle Langlois, directrice générale, Amnistie internationale Canada francophone
(Une version éditée de cette lettre a été publiée dans La Presse le 18 juin 2024)
Depuis le début des années 2000, un discours décomplexé se développe autour de l’immigration. Il est en forte progression depuis deux ans, et s’officialise. Le parti au pouvoir à Québec affirme et diffuse des données qui sont partielles, tronquées ou hors contexte concernant principalement les personnes demandeuses d’asile et les travailleuses et travailleurs étrangers.
D’abord les personnes demandeuses d’asile ne sont pas en quête d’immigration mais en quête d’un refuge. Ce n’est pas la même chose, et ce n’est pas jouer sur les mots. Il s’agit de la seule catégorie de personnes migrantes sur laquelle le Québec n’a vraiment pas le « contrôle » ni ne peut l’avoir, et pour cause. Le Canada non plus ne « contrôle » pas le nombre de personnes cherchant asile au Canada. Ces personnes sont protégées par le droit international, et les États ont l’obligation de les accueillir et assurer leur protection.
Ces personnes fuient parce qu’elles sont persécutées, parce qu’elles sont confrontées aux affres de la guerre, parce que les eaux envahissent leur territoire ou que la sécheresse s’est installée depuis des années, anéantissant leurs sources de subsistance, parce que l’exploitation des ressources naturelles par les minières et les industries forestières ou agroalimentaires ont entraîné leur déplacement manu militari, parce qu’elles sont victimes des guerres de gangs liées au trafic de la drogue.
Être aussi têtu sur l’ouverture d’un Bureau du Québec à Tel Aviv, pour faire strictement du commerce, insiste la ministre Biron, alors qu’Israël est hautement soupçonné de génocide, et accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, en dit long sur les valeurs humanitaires qui animent ce gouvernement. De toute évidence, il y a des vies humaines qui valent moins que d’autres à ses yeux.
Un État de droit qui se respecte devrait faire des pieds et des mains pour jouer sa partition. Le gouvernement du Québec a ici l’occasion de se positionner en tant que société distincte en interpelant le gouvernement canadien, qui n’est pas à la hauteur dans ce drame humain. Il devrait se servir de sa volonté de faire du commerce avec Israël comme levier pour faire valoir auprès de l’État belligérant que le respect du droit humanitaire est une condition sine qua non pour le Québec.
En ce qui concerne les travailleuses et travailleurs étrangers temporaires, il existe deux programmes. Pour l’un, le Programme des travailleurs étrangers temporaires, le Québec a le plein contrôle. Pour l’autre, le Programme de mobilité internationale (PMI), il est de fait géré par le Canada, mais cela doit se faire en concertation avec le Québec. Ces personnes sont sur le territoire québécois à la demande et selon les besoins des entrepreneurs québécois. En outre, depuis 2021, le Québec bénéficie d’une entente pour faciliter et accélérer le processus des personnes dont les employeurs québécois souhaitent obtenir les services via le PMI.
Contrairement à la croyance populaire, il ne s’agit pas seulement de travailleurs agricoles ici pour quelques mois. À tous les jours, sans le savoir, nous recevons les services attentionnés de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires, dans les domaines des soins, de l’industrie alimentaire ou touristique, de la construction, de la restauration… On comble des besoins permanents avec une main d’œuvre temporaire, jetable. Souvent, le « temporaire » s’étale sur plusieurs années.
En 2021, Québec a expressément demandé au Canada de pouvoir en accueillir davantage. Tandis que le premier ministre et la ministre de l’Immigration pointent du doigt les personnes demandeuses d’asile, réclamant leur déplacement, le nombre de travailleuses et travailleurs étrangers a explosé à compter de 2018. Une belle astuce pour le gouvernement afin de « respecter » sa promesse électorale de diminuer le nombre « officiel » d’immigrants. De fait, les « temporaires » ne font pas partie de la planification de l’immigration du Québec. Ces personnes sont hors décompte. Mais elles sont partout dans notre économie, qui en est de plus en plus dépendante. En un an, en 2023, leur nombre se serait accru de 61 % selon Statistiques Canada pour atteindre plus de 225 000 personnes.
Ce que monsieur Legault et madame Fréchette taisent aussi, c’est qu’il existe deux catégories de travailleuses et travailleurs étrangers : les bas salaires, et les hauts salaires. Dans cette dernière catégorie nous retrouvons surtout les personnes qualifiées, elles peuvent venir avec leur famille et accéder à la résidence permanente. On les retrouve dans des secteurs de pointe.
Pour ce qui est des bas salaires, la vaste majorité est liée à son employeur par un permis de travail fermé. Ces personnes ne peuvent faire venir leur famille, ni, a priori, demander la résidence permanente. En principe, elles ont les mêmes droits que tout travailleur. Mais qui s’opposera à une demande d’un employeur abusif vous menaçant d’expulsion si vous n’obtempérez pas ? Soyons réalistes.
Prétexter faussement que ces personnes sont responsables à 100 % de la pénurie de logement est pour le moins irresponsable. Les organisations de défense du droit au logement décrient depuis des décennies l’état du parc immobilier en qualité et en quantité sur l’ensemble du territoire. Insinuer que les personnes demandeuses d’asile et les travailleuses et travailleurs étrangers « temporaires » sont responsables du piètre état du système scolaire, du recul du français, de l’engorgement du système de santé est une insulte à notre intelligence collective.
Les enjeux graves auxquels nous sommes confrontés dans tous ces domaines sont le résultat du désinvestissement chronique des gouvernements québécois qui se sont succédé depuis les années 1990. Les politiques d’austérité des gouvernements du Parti libéral entre 2003 et 2018 sont certainement en bonne partie responsables de cette désastreuse situation.
Prétextant de pragmatisme, le gouvernement du Québec et le Parti québécois entretiennent un discours toxique anti-immigrant. Il n’y a pas d’autres manières de le qualifier. Or, il n’y a rien de rationnel à déshumaniser des êtres humains, sans droit de vote, pour des raisons électoralistes et affairistes. Ces discours sont directement inspirés, alimentés, par l’extrême-droite, ouvertement raciste, ailleurs en occident, notamment en France. Est-ce vraiment ce que l’on veut au Québec ?