• 24 mai 2024
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Lettre ouverte: Nécessaire accélération des mesures d’atténuation de la température à 1,5° C pour soutenir la lutte à la crise climatique au Canada et partout dans le monde

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Messieurs le ministre de l’Environnement et du Changement climatique et le ministre des Ressources naturelles, 

Amnistie internationale Canada, fort de ses 70 000 sympathisant·e·s, demande au Canada d’accélérer les mesures de lutte à la crise climatique. 

Les feux de forêts qui sévissent déjà en ce printemps 2024 à Fort Nelson (Colombie-Britannique), Fort McMurray (Alberta) et Cranberry Portage (Manitoba) forçant déjà plusieurs milliers de personnes à quitter leur maison est l'illustration frappante que les politiques mises en place par votre gouvernement sont loin d’être suffisantes. Ces incendies majeurs, outre la perte de faune et flore, causent des problèmes de santé publique importants ainsi que des pertes économiques considérables pour les communautés touchées. Ailleurs dans le monde dans les premiers mois de 2024, les inondations au Brésil ont causé la mort d’au moins 147 personnes, plus de 800 blessé·e·s et plus de 600 000 personnes déplacées, en mars dernier on compte plusieurs dizaines de morts durant les inondations et glissements de terrain au Sumatra, l’Asie du Sud-Est est accablée par des chaleurs extrêmes autour de 45° C obligeant la fermeture d‘écoles et privant des milliers de jeunes de leur droit à l’éducation.

Parallèlement, le gouvernement canadien a donné le feu vert à deux nouveaux projets de gazoducs transportant des énergies fossiles, Trans Mountain et Coastal GasLink, qui entrent en fonction ces jours-ci. Après son expansion, le pipeline Trans Mountain, qui transportait environs 300 000 barils de pétrole par jour, pourra en transporter jusqu’à 890 000. La mise en opération du gazoduc Coastal GasLink, construit sur le territoire de la Nation Wet’suwet’en sans avoir obtenu son consentement préalable, libre et éclairé, transportera à partir de 2024 du gaz fossile (dit ‘naturel’) sur 670 kilomètres, avec une capacité de 2,1 milliards de pieds cubes par jour (bcf/d) et un potentiel de 5 bcf/d. Il va sans dire que ces projets ne contribuent aucunement à la réduction voire l’élimination de l’utilisation des combustibles fossiles.

Outre ces projets, il faut aussi prendre en compte des permis déjà accordés notamment pour un projet extracôtier d'exploitation pétrolière (Baie du Nord) au large de Terre-Neuve-et-Labrador, et plusieurs autres en Colombie-Britannique dont la construction d’un terminal d'exportation de gaz fossile liquéfié à Kitimat par LNG Canada, un terminal de liquéfaction et d'exportation par Cedar LNG, et Ksi Lisims LNG, une proposition d’usine de liquéfaction portée par une alliance entre la Nation autochtone Nisga’a et Rockies LNG et Western LNG.

Malgré les déclarations du Canada sur ses avancées dans la lutte aux émissions de gaz à effet de serre (GES) et de sa volonté de poursuivre dans cette voie, il est difficile d’y croire. Le pays continue de soutenir activement les industries fossiles. Par habitant, le Canada finance davantage l'industrie des combustibles fossiles que presque tous les autres pays du G20. Depuis 2019, le Canada a fourni plus de 50 milliards de dollars canadiens pour soutenir l'industrie des combustibles fossiles par l'intermédiaire d'Exportation et développement Canada. Le secteur bancaire n’est pas en reste : parmi les 20 premières banques dans le monde qui investissent massivement dans l’industrie, cinq sont canadiennes et elles investissent pour un total d’environ $140 milliards.

Les efforts déployés pour réduire les émissions de GES et se diriger vers la carboneutralité sont malheureusement des coups d’épée dans l’eau. Le dernier rapport du Commissaire à l’environnement et au développement durable indique d’ailleurs clairement que le Canada n’atteindra pas ses cibles de réduction des GES.

Le Canada est le 11e pays émetteur le plus important de GES dans le monde. Au lieu de mettre en place des programmes et des politiques pour vraiment réduire les émissions de GES, le Canada a plutôt décidé d’offrir un crédit d’impôt aux compagnies d’industrie fossile pour des projets de captage, d’utilisation et de stockage du carbone d’une valeur de 5,7 milliards de dollars sur 6 ans. Pourtant, ces technologies n’ont pas fait leur preuve quant à leur efficacité, elles ne réduisent pas la dépendance envers les énergies fossiles et posent des risques élevés d’atteinte aux droits humains et à l‘environnement.

Il est temps pour le Canada de passer à la vitesse supérieure dans ses efforts de lutte contre la crise climatique pour le futur de tous ces citoyens et citoyennes, pour les jeunes d’aujourd’hui qui vivront avec les décisions prises maintenant. Il est temps de travailler main dans la main avec ceux et celles qui vivent les conséquences de la crise climatique de façon disproportionnée comme les nations autochtones, les communautés du Nord et les personnes les plus vulnérables. Il est plus que temps d’agir pour laisser aux futures générations un environnement propre sain et durable.

Recommandations au gouvernement canadien afin de lutter efficacement et équitablement contre la crise climatique : 

  1. Il n’y a pas de justice climatique sans droits humains. Ceux-ci doivent être au centre de toute décision portant sur le climat pour assurer une transition rapide, équitable et juste vers une économie carboneutre. Le Canada doit s’appuyer sur les principes, le droit et les normes en matière de droits humains pour mettre en place des mesures climatiques qui protègent effectivement les droits de toutes les personnes, sans discrimination, contre les pires effets du changement climatique. Celles-ci doivent s’adapter aux besoins des populations plus à risque ou qui sont touchées de façon disproportionnée par les changements climatiques telles que les femmes, les enfants, les aînées, les personnes vivant avec un handicap, les personnes LGBTQI+, les Autochtones, etc.
  2. Consulter toutes les parties prenantes. Toutes les démarches entreprises par le Canada pour lutter contre les changements climatiques, notamment pour réduire et combattre les feux de forêts, doivent être déterminées en consultation et en collaboration étroite avec les communautés concernées. Le gouvernement canadien doit fournir les moyens nécessaires en temps et en ressources techniques et financières pour une participation pleine et entière des communautés concernées quand il y a des risques de feux.
  3. S'engager en faveur d'une élimination complète, rapide, équitable et financée des combustibles fossiles dans tous les secteurs, sans s'appuyer sur des technologies ou des compensations risquées et non éprouvées qui ne conduisent pas à de véritables réductions des émissions.
    • Le Canada doit proposer des réductions massives et ambitieuses de production de gaz à effet de serre sous forme de contributions nationales déterminées (CND) pour la COP29 qui s’alignent avec les normes les plus strictes de droits humains. Celles-ci doivent s’accompagner de mesures sérieuses qui ciblent toutes les industries canadiennes, incluant l’industrie fossile le plus rapidement possible. 
    • Le Canada doit éviter ou minimiser le recours à des technologies inefficaces ou dont l’efficacité n’a pas été démontrée, comme le captage et le stockage du carbone et les mécanismes d’élimination du dioxyde de carbone à grande échelle. Il évitera ainsi de prolonger la dépendance aux combustibles fossiles, directement ou indirectement.

Le Canada a les moyens d’en faire plus et il doit le faire, pour le bien de tous et toutes, ici au Canada et ailleurs, et en solidarité avec la communauté internationale. Maintenant !

Le Canada a les capacités d’être un leader dans la lutte aux changements climatiques s’il le veut en soutenant les pays qui n’ont pas les moyens mais également en mettant en place des politiques et des programmes fondés sur les normes les plus strictes de réduction des gaz à effet de serre pour un impact significatif. 

Nous demandons au Canada d’agir rapidement. La situation l’exige.

Je vous prie d’agréer, Messieurs les Ministres, l’expression de ma considération respectueuse,

France-Isabelle Langlois 
Directrice générale