Bangladesh. Le gouvernement intérimaire doit rétablir la liberté d’expression au Bangladesh et abroger la Loi sur la cybersécurité
La Loi sur la cybersécurité (CSA) de 2023 s’inscrit dans la lignée de lois successives qui ont facilité à maintes reprises la répression d’État contre l’espace civique et les droits humains au Bangladesh, notamment durant les manifestations menées par des étudiant·e·s au sujet de la réforme de quotas, écrit Amnistie internationale dans un nouveau rapport.
Ce document, intitulé Repackaging Repression: The Cyber Security Act and the Continuing Lawfare Against Dissent in Bangladesh, révèle que la loi sur la cybersécurité reprend presque toutes les dispositions répressives de la Loi de 2018 sur la sécurité numérique (DSA), qui a été abrogée, et de l’article 57 de la Loi de 2006 sur les technologies de l’information et de la communication (ICT) qui l’a précédée, et que les autorités l’ont instrumentalisée pour s’en prendre à des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et des opposant·e·s, bien que l’ancien gouvernement ait assuré le contraire de manière répétée.
Le 26 juin 2024, à la veille des manifestations en cours pour la réforme de quotas, la police bangladaise a arrêté un homme en vertu de la Loi sur la cybersécurité (CSA), parce qu’il avait critiqué le système de quotas dans une publication sur Facebook. Dans un autre cas, sept personnes ont été inculpées au titre de la CSA le 24 juillet lors des manifestations pour avoir publié des « images satiriques et raillé » des représentant·e·s du gouvernement, notamment l’ex-Première ministre Sheikh Hasina, dans une publication sur Facebook.
« La récente répression meurtrière des manifestations étudiantes au Bangladesh s’est inscrite dans un contexte plus large d’intolérance croissante et de répression de l’opposition dans le pays. Le gouvernement intérimaire doit annuler les pratiques de longue date consistant à écraser l’opposition, en abrogeant des lois telles que la CSA qui menacent et bafouent les droits à la liberté d’expression, à la liberté et à la vie privée au Bangladesh », a déclaré Taqbir Huda, spécialiste de l’Asie du Sud à Amnistie internationale.
« La Loi sur la cybersécurité est essentiellement une copie de la Loi sur la sécurité numérique. Il s’agit simplement d’une tentative d’atténuer les pressions internationales croissantes, par le biais de réformes de façade qui recyclent des dispositions et des pratiques autoritaires dans une loi en apparence nouvelle. Cette adoption purement symbolique fait fi des traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels le Bangladesh est partie, et crée une succession d’injustices. Il faut mettre un terme à cet état de fait. »
Le rapport présente une analyse complète de la Loi sur la cybersécurité au Bangladesh et des poursuites lancées en vertu de celle-ci jusqu’à présent, qui s’inscrivent dans des schémas bien établis. Il s’appuie sur des entretiens avec diverses parties prenantes, notamment d’anciens détenus et leurs proches et avocats, ainsi que des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains au Bangladesh.
Les éléments recueillis laissent également entrevoir une répression plus large contre l’espace civique par les autorités, au moyen d’une série de mesures et de pouvoirs répressifs. Il s’agit notamment des pouvoirs de la police d’arrêter et de fouiller des personnes sans mandat, du recours excessif à la détention provisoire par le biais du refus de libération sous caution et du retrait arbitraire de contenus en ligne. Ces pratiques ont ensuite été déployées dans le but de réprimer les manifestations menées par des étudiant·e·s sur la réforme des quotas, avant que celles-ci ne conduisent à la démission de l’ancienne Première ministre, Sheikh Hasina.
Même loi, nouveau nom
En septembre 2023, la Loi sur la cybersécurité (CSA) a remplacé la Loi sur la sécurité numérique (DSA) controversée qui était systématiquement utilisée pour réprimer l’opposition pacifique et faire taire les opinions critiques. La DSA avait de la même façon été promulguée dans le but d’abroger et de remplacer l’article 57 de la Loi sur les technologies de l’information et de la communication, qui criminalisait la publication d’« informations fausses, obscènes ou diffamatoires » sous forme électronique et était également utilisée pour étouffer l’opposition pacifique.
Un journaliste a déclaré à Amnistie internationale : « La campagne massive contre la DSA aux niveaux national et international a forcé le gouvernement à prendre ses distances avec ce texte en introduisant une nouvelle loi à sa place. Vous pouvez vous contenter de remplacer le D de DSA par un C pour en faire la CSA. C’est la même chose […] ils utiliseront la CSA tout comme ils ont utilisé la DSA pour vous étouffer. »
L’analyse d’Amnistie internationale a révélé que la CSA conserve 58 des 62 dispositions de la DSA : 28 dispositions sont conservées intégralement tandis que 25 autres ont fait l’objet de modifications mineures (notamment en matière de terminologie ou de détermination de la peine). Les cinq autres dispositions sont conservées avec quelques modifications relatives aux règles de procédure. La CSA n’ajoute qu’une seule nouvelle disposition qui érige en infraction le dépôt de fausses plaintes. Par conséquent, 58 des 59 dispositions de la CSA proviennent de la DSA soit mot pour mot, soit avec des modifications mineures ou des modifications de procédure. Lors de la promulgation de la CSA pour remplacer la DSA, l’ancien gouvernement du Bangladesh n’a incorporé (en tout ou en partie) qu’une seule des neuf recommandations législatives formulées par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) en juin 2022.
Mais surtout, la CSA contient toujours la définition de cinq infractions relatives aux discours autoritaires prévues par la DSA, qui ont été instrumentalisées par le parti au pouvoir et ses alliés pour museler l’opposition pacifique. Ces délits d’expression pénalisent des opinions pouvant être considérées par les autorités comme de la « propagande contre l’esprit de la guerre de libération », des « informations fausses et offensantes », des « atteintes aux sentiments religieux », des « informations diffamatoires » ou des « atteintes à l’ordre public », en « perturbant l’harmonie communautaire ».
Des pouvoirs illimités : « La police fait ce qu’elle veut »
La CSA continue à accorder des pouvoirs très étendus aux autorités en matière de perquisition, d’arrestation et de détention de personnes, ainsi que de confiscation de leurs appareils, sans fournir de garanties adéquates sur l’utilisation et le stockage de leurs données.
Elle permet également à l’Agence de cybersécurité contrôlée par le gouvernement ou aux organes chargés de l’application des lois de formuler des demandes générales de blocage ou de retrait d’informations sur Internet, sur la base de motifs vagues tels que la « menace pour la cybersécurité », sans contrôle judiciaire ni possibilité de former un recours contre ce processus. Bien que qualifiées de « requêtes », de telles demandes arbitraires de la part de l’Agence de cybersécurité et des forces de l’ordre sont contraignantes pour la Commission de réglementation des télécommunications du Bangladesh.
Un avocat a déclaré à Amnistie internationale : « Le gouvernement a toute latitude pour décider de ce qui peut et ne peut pas être dit en ligne, et exerce le plus grand contrôle, sans la moindre obligation de rendre des comptes, ni transparence. »
Autocensure : « Personne ne peut payer le prix de la prise de parole »
Malgré des lacunes dans les données officielles et la probabilité d’une sous-déclaration, Amnistie internationale a trouvé dans la presse au moins 10 exemples où des plaintes ont été déposés contre des personnes au titre de la CSA pour diffamation présumée contre la Première ministre de l’époque, Sheikh Hasina, ou d’autres hauts fonctionnaires du gouvernement sur les réseaux sociaux dans les six mois ayant suivi sa promulgation.
Un rédacteur en chef a déclaré à Amnistie internationale : « Du journaliste le plus expérimenté au plus petit Youtubeur, tout le monde est maintenant dans un état d’autocensure parce que personne, et je veux dire personne, ne peut payer le prix de la prise de parole. »
Dans le rapport, Amnistie internationale a mené des analyses et enquêté sur des affaires emblématiques relevant de la CSA, concernant le blogueur Selim Khan, le caricaturiste et militant pour le climat Shamim Ashraf et le prédicateur religieux Akramuzzaman Bin Abdus Salam.
« La lutte persistante menée au moyen de la justice par les autorités contre l’opposition pacifique, au cours de la décennie écoulée, a intensifié la répression contre les journalistes, les défenseur·e·s des droits humains et les dissident·e·s, et suscité une autocensure qui perdurera tant que les affaires en cours ne seront pas abandonnées et que les dispositions répressives de la CSA ne seront pas totalement supprimées », a déclaré Taqbir Huda.
« Amnistie internationale appelle le gouvernement intérimaire du Bangladesh à abroger ou modifier en profondeur la CSA afin de se conformer pleinement au droit international relatif aux droits humains. Les autorités doivent immédiatement libérer toutes les personnes maintenues en détention en vertu de la Loi sur les technologies de l’information et de la communication, de la Loi sur la sécurité numérique, de la Loi sur la cybersécurité ou de tout autre texte, pour avoir seulement exercé de manière pacifique leurs droits humains, et abandonner toutes les charges retenues contre elles. »