Les États asiatiques ne doivent pas manquer l'occasion de combattre les crimes contre l’humanité
Des discussions sont en cours depuis une décennie en vue de parvenir à un traité relatif à la lutte contre les crimes contre l’humanité à l’échelle internationale. La semaine prochaine à New York, les États auront la possibilité de concrétiser ce projet, et les pays de la région Asie et Pacifique ont un rôle crucial à jouer.
La nécessité d’un tel traité ne fait aucun doute. Aucune région du monde n’a échappé aux crimes contre l’humanité. Au cours des seules 10 dernières années, Amnistie internationale a constaté que de telles atrocités ont été commises dans au moins 18 pays de par le monde. La région Asie et Pacifique n’y a pas échappé, que ce soit par le passé – au Japon, au Cambodge, au Timor-Leste et au Sri Lanka – où actuellement, en Afghanistan, au Xinjiang en Chine, avec le traitement réservé aux Rohingyas et à d’autres populations au Myanmar, et aux Philippines avec la « guerre contre la drogue » qu’y mènent les autorités.
Début avril, une commission de l’Assemblée générale des Nations unies se réunira pour discuter d’un projet de réaction internationale face à ce fléau. Ce qui pourrait être considéré comme un exercice technique pour les spécialistes représente en réalité une immense opportunité d’améliorer le système de justice internationale. Il est absolument nécessaire que les États de la région Asie et Pacifique – et la société civile de ces pays – participent à ce processus et contribuent à la construction de cet important élément du droit international.
Lors de cette session, les États membres des Nations unies examineront une nouvelle fois en détail le projet de texte adopté en 2019. Cette réunion est d’une importance cruciale, car elle permettra la tenue de discussions sur des éléments spécifiques du texte proposé et sur son avenir de manière générale. En effet, cette commission devra décider avant la fin de l’année de l’opportunité ou non d’ouvrir des négociations officielles au sujet d’une future convention pour la prévention et la répression des crimes contre l’humanité.
Un tel traité permettrait de combler un vide béant dans le système de justice internationale. Ce système comprend déjà les Conventions de Genève et leurs protocoles relatifs aux crimes de guerre, ainsi que la Convention sur le génocide qui joue depuis peu un rôle clé dans le contexte du conflit à Gaza, mais il ne dispose d’aucune convention sur les crimes contre l’humanité.
Ces crimes qui, contrairement aux crimes de guerre, peuvent survenir en dehors d’un conflit armé ne relèvent pas de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI). La CPI ne juge en principe que des affaires impliquant ses États membres, et les rares affaires dont elle peut se saisir concernent la responsabilité pénale d’individus précis, et non les méfaits des États.
La convention proposée procurerait aux États de nouveaux outils leur permettant de promouvoir la justice, la vérité et des réparations pour les victimes de crimes contre l’humanité. Elle instaurerait de nouvelles obligations pour la prévention de ces crimes et de nouvelles règles pour la coopération entre les États. Elle prévoirait ainsi l’obligation d’enquêter et d’engager des poursuites contre les responsables présumés de tout crime contre l’humanité quel que soit le lieu où ils se trouvent, à moins qu’ils ne soient extradés ailleurs en vue d’une action judiciaire, ce qui réduirait pour ces individus la possibilité de se mettre à l’abri de la justice.
L’un des éléments fondamentaux de cette nouvelle convention serait qu’elle n’instaure pas de nouvelle cour internationale : elle procurerait aux États « une boîte à outils » pour qu’ils mènent eux-mêmes les enquêtes sur les atrocités commises sur leur sol ou dans d’autres pays. Les États préoccupés par un manque d’impartialité d’institutions internationales telles que la CPI disposeraient alors d’un cadre leur permettant de procéder eux-mêmes aux poursuites sur la base d’un ensemble de définitions et de principes communs qui seraient appliqués par les juridictions nationales.
Compte tenu de ce qui précède, les États de la région Asie et Pacifique auraient véritablement intérêt à ce que la reddition de comptes pour les responsables de ces actes, et la justice pour les victimes, soient améliorées.
Pourtant, la participation des États de la région Asie et Pacifique à ce processus a récemment été décevante. Lors des dernières séries de consultation, seuls six pays de la région ont fourni des commentaires écrits : l’Afghanistan, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont exprimé leur soutien à l’adoption de la convention ; le Japon, qui la soutient de manière générale, a émis quelques réserves, tout comme Singapour ; et la Chine s’est opposée au projet dans son ensemble.
En octobre dernier, certains États de la région ont avec au moins 110 autres pays du monde fait des déclarations ou se sont associés à des déclarations soutenant la création d’un tel traité. La Thaïlande a été l’un des plus explicites, déclarant alors qu’elle l’« envisage[ait] favorablement ».
En ce mois d’avril, les pays de la région qui soutiennent le projet de convention sur les crimes contre l’humanité doivent clairement exprimer leur volonté d’aller de l’avant s’ils ne veulent pas être écartés par les États qui camouflent leur opposition derrière des appels à de nouvelles discussions, à de nouveaux reports et à un « consensus ». La société civile de la région doit demander à ses gouvernements de faire ce qui est juste pour le combat contre l’impunité.
Des discussions sont en cours depuis plus de 10 ans en vue de parvenir à l’adoption de cette convention. Celles et ceux, dans toutes les régions du monde, qui ont rédigé le projet de traité ont fourni une excellente base de travail. Les désaccords portant sur des dispositions précises constituent une raison supplémentaire de passer aux véritables négociations.
La région Asie et Pacifique a par le passé adopté de nouvelles approches en matière de justice internationale avec les chambres spéciales chargées de juger les crimes contre l’humanité au Cambodge et au Timor-Leste. Cette réunion de la commission de l’Assemblée générale des Nations unies fournit aux gouvernements de la région Asie et Pacifique l’occasion de démontrer aujourd’hui leur détermination à faire progresser la justice pour des crimes qui, comme le souligne le projet de convention, « choquent profondément la conscience de l’humanité ». Cette occasion ne doit pas être gâchée.