Responsabilité des Pays-Bas dans les violations des droits humains constatées dans les camps de réfugié·e·s en Grèce
Sept ans exactement après que les États de l’Union européenne (UE) ont conclu un accord avec la Turquie pour contrôler les flux migratoires, Amnistie internationale, Vredesorganisatie PAX, Defence for Children et Stichting Bootvluchteling tiennent le gouvernement néerlandais pour responsable des conséquences de cet accord UE-Turquie. Les personnes en mouvement sont exposées à des préjudices inutiles et à des violations structurelles de leurs droits. Des dizaines de milliers d’entre elles se sont retrouvées prises au piège dans des conditions épouvantables et dégradantes sur les îles grecques.
Les Pays-Bas, qui présidaient alors le Conseil de l’Union européenne, avaient un rôle important à jouer dans la création et la mise en œuvre de cet accord et auraient pu prévoir que les choses allaient mal tourner. Aussi doivent-ils assumer leur responsabilité. En outre, il ne faut plus jamais conclure des accords de ce type.
Dagmar Oudshoorn (Amnistie Pays-Bas) : « Notre gouvernement aurait dû prêter attention aux avertissements des ONG et se douter que l’accord UE-Turquie se traduirait par des violations des droits humains. Amnistie internationale l’a prévenu en 2016 que ce serait une erreur historique. Il est affligeant de constater que de nombreux responsables politiques, dont notre Premier ministre, sont toujours aussi fiers de cet accord. »
L’accord UE-Turquie a été conclu en mars 2016 en période de tourmente politique. Les États membres ne voulaient pas – et ne veulent toujours pas – assumer la responsabilité des réfugié·e·s et une solution durable semble bien lointaine. C’est ainsi qu’est né ce fameux accord UE-Turquie, qui était censé empêcher les gens d’arriver en Europe. La Turquie a reçu six milliards d’euros et un régime élargi de visas en contrepartie.
L’accord permettait à la Grèce de renvoyer vers la Turquie les personnes s’étant rendues illégalement depuis la Turquie jusqu’aux îles grecques. Et ce alors qu’il était déjà limpide que la Turquie n’était pas un pays sûr, puisqu’elle n’était pas en mesure de répondre aux besoins essentiels des réfugié·e·s. En outre, la Grèce avait un système d’asile dysfonctionnel. Dans la pratique, les personnes réfugiées et migrantes se sont retrouvées bloquées sur les îles grecques pendant de longues périodes, dans des conditions déplorables.
L’accord stipulait également que les pays européens accueilleraient un réfugié syrien en provenance de Turquie pour chaque Syrien renvoyé. Dans la pratique, ce dispositif de réinstallation ne fonctionne pas. Depuis 2016, des milliers de réfugié·e·s et demandeurs·euses d’asile sont bloqués pendant des années dans des conditions dégradantes sur les îles grecques. Les dernières années ont notamment été marquées par la surpopulation, le manque d'éducation et d'installations médicales et sanitaires, la lenteur excessive des procédures d'asile, l'insécurité structurelle et l'exposition aux violences physiques et sexuelles, ainsi que le manque de nourriture adéquate. Pourtant, année après année, l'accord reste en vigueur.
Esther Vonk, directrice de Stichting Bootvluchteling : « Dans notre clinique à Lesbos, nous constatons les conséquences dévastatrices de cet accord tous les jours. Notre équipe peut difficilement répondre aux énormes besoins en termes d’urgence médicale et d’aide psychologique. Plus jamais un tel accord. »
Responsabilité
En 2017, la Cour de Justice de l’UE a statué que l’accord avec la Turquie n’avait pas été conclu par l’UE dans son ensemble, mais par des États membres individuels. Aussi l’Union européenne ne saurait être tenue pour responsable. C’est pourquoi les organisations prennent l'initiative de tenir l'État néerlandais, en tant qu'État membre, (co-)responsable de la création et des conséquences de l'accord.
Depuis le début, les conditions dans les camps ne remplissent pas les critères minima en termes d’accueil et de procédure. La situation bafoue plusieurs droits fondamentaux inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte de l’UE, la Convention sur les réfugié·e·s et les directives de l’Union européenne sur l’asile. Les droits des enfants sont bafoués de manière structurelle.
Contrôle nécessaire au niveau des droits humains
En signant cet accord, les Pays-Bas ont contribué à la situation sur les îles grecques. Ils l’ont maintenu en vigueur alors qu'il était clair qu’elle n’était pas satisfaisante. Par conséquent, nous tenons le gouvernement néerlandais pour responsable d'actes répréhensibles. Après des années de campagnes, de rapports et d'avertissements, les organisations ne voient pas d'autre moyen pour demander des comptes au gouvernement néerlandais. Il est inacceptable que les accords sur les réfugié·e·s en Europe soient de toute évidence conclus sans contrôle approfondi des droits humains.
Il faut veiller à ne pas rédiger ce type d’accords de telle façon que les victimes qui en subissent les conséquences n’aient personne vers qui se tourner pour demander des comptes. Il ne doit pas y avoir de faille dans la protection juridique qui permette aux États de se soustraire à leurs responsabilités.
Nous cherchons à dialoguer avec le gouvernement néerlandais pour qu'il reconnaisse sa responsabilité juridique dans la signature et le maintien de l'accord entre l'UE et la Turquie. Ce faisant, nous voulons l’amener à offrir une réparation par voie judiciaire et garantir les conditions de tout futur accord migratoire : en l’absence de contrôle parlementaire et s'il est prévisible qu'il donne lieu à des violations des droits humains, un accord de ce type ne doit pas être signé. Si le gouvernement néerlandais ne reconnaît pas sa responsabilité, nous lancerons la deuxième étape et intenterons une action en justice contre l'État néerlandais.