Le nouveau gouvernement doit veiller à ce que la vente par Shell de ses activités pétrolières dans le delta du Niger n’aggrave pas les atteintes aux droits humains
Le nouveau gouvernement du Nigeria, qui prêtera serment le 29 mai, doit veiller à ce que le projet de vente par Shell de ses activités dans le delta du Niger ne conduise pas à une nouvelle aggravation de la situation des droits humains dans cette région frappée par des décennies de pollution aux hydrocarbures.
Amnistie internationale a rassemblé des informations sur des atteintes aux droits humains graves et persistantes résultant de la contamination par hydrocarbures de cette région, où Shell mène ses activités depuis les années 1950. Amnistie internationale craint que ce projet de vente ne prive des personnes ayant déjà subi des préjudices d’un accès à des réparations adéquates, et n’expose de nombreuses autres personnes à de nouvelles atteintes à leurs droits fondamentaux.
Le nouveau rapport rendu public le 26 mai, qui s’intitule Tainted Sale?, recommande une série de mesures visant à protéger les droits des personnes susceptibles de pâtir du projet de cession par Shell de ses intérêts pétroliers terrestres dans le delta du Niger, pour un montant qui avoisinerait les trois milliards de dollars des États-Unis.
Mark Dummett, directeur du programme Responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnistie internationale, a déclaré : « Depuis plusieurs décennies, les déversements d’hydrocarbures dégradent la santé et le mode de vie de nombreux habitant·e·s du delta du Niger. Shell ne devrait pas être autorisée à se débarrasser de ce problème en s’en allant tout simplement. Shell, qui a gagné des milliards de dollars avec ces activités, doit veiller à ce que son retrait n’ait pas de conséquences préjudiciables sur les droits humains et l’environnement.
« En exerçant une surveillance adéquate sur la vente réalisée par Shell, le nouveau gouvernement du Nigeria se saisira d’une occasion sans pareille de démontrer sa détermination à protéger et faire respecter les droits humains de ses citoyen·ne·s, notamment leurs droits à un niveau de vie suffisant et à la santé. Nous demandons également que les personnes qui subissent de longue date des atteintes à leurs droits fondamentaux obtiennent des réparations adéquates.
« Nous demandons au nouveau gouvernement qui sera formé, sous la présidence de Bola Tinubu, de veiller à ce que la vente par Shell de ses actifs ne supprime ni ne limite les responsabilités de cette entreprise. Il devrait poser des conditions à cette vente en obligeant Shell à fournir une évaluation exhaustive de toute la pollution causée dans le delta, veiller à ce qu’elle ait réparé de façon satisfaisante tous les dommages qu’elle a causés, et à ce que les motifs de préoccupation de la population locale relatifs à cette vente soient totalement pris en compte et à ce qu’une solution satisfaisante soit apportée aux problèmes soulevés.
« Le gouvernement devrait envisager de demander à Shell de se porter garant de la capacité de tout acheteur à bien agir et à réparer les préjudices causés par d’éventuels futurs déversements d’hydrocarbures, et de l’engagement de tout acheteur à respecter la transparence et l’environnement, à consulter les populations concernées et à limiter les émissions de gaz à effet de serre.
« Bien entendu, au lieu de trouver des acheteurs et d’extraire jusqu’à la dernière goutte de pétrole dans cette région qui est depuis si longtemps abîmée par cette activité, il serait bien mieux de remédier à tous les dommages qui ont été causés et de mettre progressivement fin à la production.
« Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, faute d’accélération de la suppression progressive de l’utilisation des combustibles fossiles dans le monde entier, la température mondiale moyenne pourrait augmenter de plus de 1,5 °C par rapport au niveau de l’ère préindustrielle. Après des dizaines d’années d’exploitation, l’arrêt de la production dans le delta du Niger pourrait représenter une avancée dans la bonne direction. »
Une longue liste d’atteintes à l’environnement et aux droits fondamentaux
Amnistie internationale et des organisations partenaires mènent depuis plus de 20 ans des recherches dans le delta du Niger. Elles ont montré que les activités de Shell se sont développées au détriment des droits fondamentaux de la population de la région.
Les centaines de déversements recensés tous les ans et dus à une mauvaise maintenance des pipelines et des puits, ainsi que les opérations inadéquates d’assainissement ont engendré une contamination par hydrocarbures de grande ampleur, notamment des nappes phréatiques, des sources d’eau potable, des terres agricoles et des installations piscicoles, et dégradé la santé et les moyens de subsistance de nombreux habitant·e·s de la région.
Les conséquences de cette pollution sont catastrophiques. En 2019, un projet de recherche universitaire a montré que les déversements d’hydrocarbures ayant lieu dans un rayon de 10 kilomètres autour du lieu d’habitation d’une mère dans le delta du Niger multipliaient par deux le taux de mortalité néonatale et dégradaient la santé des enfants ayant survécu.
Mark Dummett a déclaré : « Shell doit prendre les mesures nécessaires de son côté afin de garantir des réparations efficaces pour les personnes qui ont vu leurs droits humains ravagés par cette pollution dévastatrice, et afin que son projet de cession n’aggrave pas la situation déjà très difficile des populations du delta du Niger. »
« Les dispositions des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme impliquent clairement que Shell a la responsabilité de mettre en œuvre la diligence requise en matière de droits humains en ce qui concerne sa décision de transfert de ses actifs. Cette responsabilité est indépendante de toute mesure que le gouvernement nigérian pourra prendre. »
Shell conteste les affirmations selon lesquelles elle a agi de façon irresponsable dans le delta du Niger, et dit qu’elle respecte la réglementation. L’entreprise a par le passé indiqué avoir amélioré ses initiatives ces dernières années en matière de prévention des déversements d’hydrocarbures et d’assainissement des endroits souillés, d’investissement en infrastructures et de mesures de lutte contre le vol d’hydrocarbures, et accru la transparence concernant le signalement de ces déversements.
Shell n’est pas le seul acteur responsable de la pollution du delta du Niger. D’autres sont également à blâmer, notamment les autorités fédérales et régionales. Ces autres acteurs ont eux aussi l’obligation de veiller à ce que le projet de cession de Shell ne conduise pas à de nouvelles atteintes aux droits humains.
Complément d’information
La coentreprise SPDC JV (Shell Petroleum Development Company of Nigeria Limited - Joint Venture) fait partie des principaux producteurs de pétrole au Nigeria.
Shell a pendant plusieurs années détenu la majorité des parts de cette entreprise, dont le principal actionnaire est à présent la Compagnie nationale nigériane du pétrole (NNPC), qui détient 55 % des parts. Les autres parts sont détenues par des filiales de compagnies pétrolières internationales. Shell en détient, par le biais de sa filiale Shell Petroleum Development Company (SPDC) qui lui appartient totalement, 30 %, l’entreprise française Total 10 %, et l’entreprise italienne Eni 5 %.
Il est important de noter qu’à travers la SPDC, Shell mène les activités de la SPDC JV, ce qui signifie qu’elle s’occupe du fonctionnement et de la maintenance des puits, des pipelines et des autres installations nécessaires pour la production et le transport du pétrole. Les entreprises partenaires financent le fonctionnement et la maintenance en fonction de la part qu’elles détiennent dans cette coentreprise.
Au cours des dernières décennies, la SPDC JV a vendu une grande partie de son activité, notamment des champs pétrolifères, à plusieurs entreprises nigérianes de bien moindre taille.
Shell a à présent l’intention de vendre à la fois ses parts dans la SPDC JV et sa filiale qui s’occupe de l’exploitation, avec une transaction qui englobe le personnel, les installations et les infrastructures. Cela comprend 263 puits de pétrole actifs, 56 puits de gaz actifs, et un réseau de 3 173 kilomètres de pipelines.
L’investiture de Bola Tinubu, 71 ans, qui a remporté l’élection présidentielle du 25 février en tant que candidat du parti au pouvoir, le Congrès des progressistes (APC), doit avoir lieu le 29 mai.