Inde/ Égypte. Il faut remédier à la crise des droits humains que connaissent ces deux pays
Les autorités indiennes et égyptiennes doivent remédier à la crise des droits humains et de l’impunité que connaissent les deux pays, a déclaré Amnistie internationale le 26 janvier 2023, tandis que l’Inde accueille le président égyptien Abdel Fattah El Sissi en tant qu’invité d’honneur des festivités du Jour de la République.
Ces dernières années, les autorités de ces deux États ont durement réprimé les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, et sont restés inactifs face à la discrimination bien ancrée à l’égard des minorités religieuses.
« La crise des droits humains en Inde comme en Égypte est caractérisée par une impunité bien ancrée et une utilisation abusive de la législation antiterroriste pour resserrer l’étau sur l'espace civique et la dissidence pacifique. Ces deux pays présentent des parallèles frappants s’agissant des manœuvres visant à harceler et intimider tous les détracteurs et opposant·e·s réels ou présumés du gouvernement dans le but de les réduire au silence. Cette offensive incessante contre les droits humains doit prendre fin », a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnistie internationale.
La dissidence muselée
En Inde comme en Égypte, des défenseur·e·s des droits humains, des avocat·e·s, des opposant·e·s politiques, des manifestant·e·s pacifiques, des universitaires et des étudiant·e·s sont en butte à des arrestations et détentions arbitraires, à des poursuites injustes et à d’autres formes de harcèlement et d’intimidation au seul motif qu’ils exercent pacifiquement leurs droits humains.
Des milliers de personnes croupissent injustement dans les geôles égyptiennes, dont le militant anglo-égyptien bien connu Alaa Abdel Fattah, qui a passé la majeure partie des 10 dernières années derrière les barreaux. Le 20 décembre 2021, il a été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour des accusations forgées de toutes pièces de « diffusion de fausses informations » pour avoir partagé une publication sur les réseaux sociaux critiquant le traitement réservé aux prisonniers.
En Inde, 16 militant·e·s de Bhima Koregaon ont été arrêtés depuis 2018 pour de fausses accusations au titre de la Loi relative à la prévention des activités illégales, une loi antiterroriste draconienne. Ils sont durement réprimés par les autorités en raison de leur travail en faveur des communautés marginalisées. Onze d’entre eux sont toujours derrière les barreaux sans avoir été jugés et le père Stan Swamy, 84 ans, défenseur des droits des populations tribales, est mort en détention le 5 juillet 2021 après s’être vu refuser un traitement médical en temps voulu.
La liberté de la presse attaquée
Dans les deux pays, les autorités s’en prennent de plus en plus à des journalistes, à des professionnel·le·s des médias et à des médias indépendants : ils sont poursuivis pour des accusations fabriquées de terrorisme et leurs bureaux sont perquisitionnés ou fermés dans le but de les harceler, simplement parce qu’ils font leur travail. En Inde, les locaux de médias indépendants qui critiquent le gouvernement ont été perquisitionnés par diverses autorités gouvernementales. C’est notamment le cas de Newclick, Newslaundry, The Quint, Dainik Bhaskar, Greater Kashmir, Kashmir Times et Bharat Samachar.
En Inde, depuis 2019, Amnistie internationale a recensé les cas d’au moins cinq journalistes – Gowhar Geelani, Bilal Bhat, Rana Ayyub, Sanna Mattoo et Aakash Hassan – qui se sont vus interdire de sortir du pays sans aucune justification légale.
L'Égypte reste l'un des pays qui emprisonnent le plus de journalistes au monde : au moins 26 journalistes se trouvent actuellement en détention arbitraire à la suite de condamnations ou d'enquêtes en cours concernant des accusations de « diffusion de fausses informations », « utilisation abusive des réseaux sociaux » ou « terrorisme ». Onze d'entre eux ont été arrêtés au cours de la seule année 2022. Au moins 600 sites Internet d'information, de défense des droits humains et autres demeurent bloqués en Égypte, selon des organisations de défense des droits humains.
La société civile réprimée
Les autorités égyptiennes s'appuient sur des lois répressives et d'autres méthodes pour contrôler l'espace civique et le mouvement de défense des droits humains, notamment par le biais d'une enquête pénale menée depuis 10 ans sur le travail légitime des organisations de la société civile, connue sous le nom d'affaire 173/2011 ou « affaire des financements étrangers ». Cette enquête à motivation politique vise encore au moins 15 défenseur·e·s des droits humains, qui font également l’objet d’interdictions de voyager et de gels d'avoirs.
En Inde, une action similaire a été menée : les autorités ont invoqué la Loi relative à la réglementation des contributions étrangères contre des ONG nationales et internationales bien connues, dont Greenpeace Inde et Amnistie internationale Inde. En vertu de cette même législation, les licences délivrées à 6 683 ONG, dont OXFAM Inde, ont été annulées ou n’ont pas été renouvelées.
Les minorités religieuses victimes de discrimination
Les autorités égyptiennes ne parviennent pas à protéger les chrétiens contre les nombreuses attaques motivées par l’intolérance religieuse ciblant leurs communautés ni à traduire en justice les responsables présumés de ces violences. Alors qu’elles ont présenté la loi de 2016 sur la construction et la réparation des églises comme une avancée des droits des chrétiens en Égypte, dans la pratique, ce texte est souvent utilisé pour les empêcher de pratiquer leur culte en restreignant leur droit de construire ou de réparer des églises, y compris les bâtiments endommagés lors de ces attaques.
Les autorités indiennes ne réussissent pas non plus à prévenir les violences religieuses à travers le pays, tout en perpétuant et en légitimant les crimes de haine et l'incitation à la haine envers les musulmans, les chrétiens et d’autres minorités, qui se multiplient. De nombreux gouvernements d'État ont adopté des lois visant à criminaliser les mariages interreligieux librement consentis et entrepris des démolitions punitives ciblant des propriétés appartenant à des musulmans, sans procédure légale.
« L'Inde et l'Égypte semblent avoir porté leur coopération bilatérale de longue date à un autre niveau, où elles partagent des méthodes visant à réprimer de plus en plus les droits et les libertés dans leur pays respectif. Alors que les dirigeants des deux pays occupent le devant de la scène, les célébrations de l'adoption de la Constitution indienne il y a 74 ans ne doivent pas occulter la triste réalité de la dégradation de la situation des droits humains. Ils doivent inverser la tendance et commencer par libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues arbitrairement uniquement pour avoir exercé sans violence leurs droits fondamentaux. Ils doivent également garantir un environnement sûr pour les minorités religieuses et un environnement sans représailles pour les médias et la société civile », a déclaré Aakar Patel, directeur du conseil d’Amnistie internationale Inde.