Transferts interprovinciaux de personnes en détention migratoire et demande renouvelée d’investissement dans des alternatives à la détention et de fin d’utilisation des prisons pour la détention migratoire
Nous sommes des organisations canadiennes et internationales de premier plan qui oeuvrent à protéger les droits humains des personnes migrantes et demandeuses d’asile, ainsi que d’autres populations vulnérables dans tout le Canada. Dans le sillage de la Journée mondiale des réfugiés, nous vous écrivons pour réitérer notre appel au gouvernement fédéral afin qu’il cesse d’incarcérer des personnes en détention migratoire.
À partir de juin 2023, ce sont huit provinces canadiennes – la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec et l’Ontario – qui ont décidé de mettre fin à leurs contrats en ce qui concerne la détention migratoire avec l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Dès que ces décisions prendront effet, à compter de ce mois, les personnes ne seront plus incarcérées dans des prisons provinciales uniquement pour des motifs migratoires dans ces provinces. En mettant fin à leurs contrats de détention avec l’ASFC, huit provinces ont clairement indiqué leur ferme opposition à l’utilisation des prisons provinciales pour la détention migratoire. Comme l’a déclaré le ministre de la Sécurité publique et vice-premier ministre de la Colombie-Britannique, Mike Farnworth, début juin 2023, « la moitié du pays envoie un message : ce n’est vraiment pas ce pour quoi nos lieux de détention provinciaux devraient être utilisés ». Le ministre de la Sécurité publique de l’Alberta, Mike Ellis, a appelé les autres provinces à mettre fin à la détention migratoire dans les prisons provinciales, déclarant que « les personnes qui viennent au Canada pour prendre un nouveau départ dans la vie méritent un meilleur accueil qu’une cellule de prison en attendant que les démarches administratives soient effectuées ».
Dans les semaines qui ont précédé la résiliation du contrat de détention migratoire de l’Alberta avec l’ASFC, l’agence a commencé à transférer des personnes incarcérées dans des prisons provinciales de l’Alberta vers le Centre de surveillance d’immigration de Surrey (Colombie-Britannique). Au lieu de transférer les personnes d’une province à l’autre en vue de les maintenir en détention, le gouvernement fédéral devrait investir pour développer des programmes locaux d’alternatives communautaires à la détention, qui apportent du soutien plutôt que de la surveillance, et sont gérées par des organisations locales à but non lucratif de façon indépendante de l’ASFC. Nous exhortons le gouvernement d’investir dans des services de soutien qui adoptent une approche globale des besoins d’une personne – notamment le logement, les soins médicaux, les services de santé mentale, l’éducation, l’emploi, les besoins des enfants et la représentation juridique – et, en fin de compte, de mettre un terme à la pratique de la détention migratoire au Canada.
Comme vous le savez, ces dernières années, l’ASFC a détenu des dizaines de milliers de ressortissants non canadiens en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le plus souvent parce que les autorités pensent qu’ils pourraient ne pas se présenter aux procédures d’immigration ou de demande d’asile. Parmi les personnes en détention migratoire, on compte des demandeurs d’asile qui fuient des expériences traumatisantes et la persécution, ainsi que des personnes ayant des problèmes de santé mentale. De nombreuses personnes placées en détention migratoire subissent les formes d’incarcération les plus restrictives du pays – y compris les prisons provinciales de sécurité maximale et le placement à l’isolement – et ce, sans qu'aucune fin ne soit en vue puisque les lois du Canada ne fixent pas de limite maximale pour la durée de la détention migratoire.
Nous sommes profondément inquiets qu’il n’existe aucune loi ou réglementation régissant le lieu de la détention migratoire – notamment déterminant le moment et les circonstances dans lesquels les personnes peuvent être transférées d’une province à l’autre ou incarcérées dans une prison provinciale. Au contraire, ces décisions vitales portant sur les libertés des personnes sont laissées à la discrétion de l’ASFC, qui demeure la seule agence majeure de maintien de l’ordre du Canada sans contrôle civil indépendant. Les décisions de l’ASFC concernant le lieu où les personnes placées en détention migratoire sont incarcérées semblent être prises de façon ponctuelle, incohérente et même discriminatoire, comme l’a récemment documenté une enquête en trois parties du Toronto Star. Les pratiques arbitraires de la détention migratoire de l’ASFC sont particulièrement choquantes quand il s’agit de personnes ayant un problème ou un handicap de santé mentale.
Les conditions que subissent les personnes en détention migratoire sont extrêmement inquiétantes. Les données disponibles grâce à la littérature médicale et à la recherche montrent clairement que la détention migratoire peut causer de graves problèmes de santé, particulièrement lorsque l’incarcération est prolongée sans limite de temps fixée. Les personnes en détention migratoire peuvent souffrir d'anxiété, de dépression, de désespoir, de détresse psychologique, de psychose, de repli catatonique, d'automutilation et d'idées suicidaires. Les impacts de la détention migratoire sur la santé mentale sont si graves que même un temps relativement court de détention peut être dévastateur pour le mental et causer des dommages à long terme – et parfois permanents.
Depuis 2000, au moins 17 personnes ont perdu la vie en détention migratoire, dont deux personnes l’année dernière dans les Centres de surveillance de l’immigration de la Colombie-Britannique et du Québec. Les éléments factuels présentés lors de l’enquête du coroner de février 2023 sur le décès d’Abdurahman Hassan, un homme détenu depuis trois ans en attendant son expulsion vers la Somalie, ont révélé des détails choquants sur les conditions actuelles d’incarcération dans les prisons provinciales. La première recommandation adressée par le jury de l’enquête au gouvernement du Canada et au gouvernement de l’Ontario était de cesser d’utiliser les prisons provinciales pour la détention migratoire.
Nous appelons le gouvernement fédéral à mettre fin immédiatement à l’usage des prisons provinciales pour la détention migratoire en annulant les contrats qui subsistent entre le gouvernement fédéral et les provinces. Nous exhortons également le gouvernement fédéral de cesser de transférer des personnes d’une province à l’autre afin de les maintenir en détention. Le gouvernement fédéral devrait plutôt investir dans les organisations communautaires qui fournissent un soutien adapté et compatissante, notamment des alternatives à la détention respectueuses des droits, et en fin de compte cesser toute détention migratoire dans le pays.
Signataires :
1. Amnesty International Canada (English-speaking)
2. Amnistie international Canada francophone
3. Association Québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration (AQAADI)
4. BC Poverty Reduction Coalition
5. British Columbia Civil Liberties Association
6. Canadian Association of Refugee Lawyers (CARL)
7. Canadian Centre for Victims of Torture
8. Canadian Council for Refugees
9. Centre for Gender & Sexual Health Equity, University of British Columbia
10. Citizens for Public Justice
11. Colour of Poverty – Colour of Change
12. Community Legal Assistance Society (CLAS)
13. Community Legal Services of Ottawa
14. Compass Refugee Centre
15. Downtown Legal Services, University of Toronto’s Faculty of Law
16. East Coast Prison Justice Society
17. Global Detention Project
18. Halifax Refugee Clinic
19. HIV & AIDS Legal Clinic Ontario (HALCO)
20. HIV Legal Network
21. Human Rights Watch
22. Immigration and Refugee Legal Clinic
23. International Justice & Human Rights Clinic, Peter A. Allard School of Law, University of British Columbia
24. Landings
25. Legal Clinic of Guelph and Wellington
26. Ligue des droits et libertés
27. Matthew House Refugee Services Toronto
28. Matthew House Refugee Welcome Centre, Windsor
29. Migrant Detainee Support Coalition (MIDESUCO)
30. Migrant Workers Centre
31. Migrante BC
32. Migrante Canada
33. Mississauga Community Legal Services
34. New Brunswick Refugee Clinic
35. No One Is Illegal (NOII Toronto)
36. Punjabi Community Health Services (PCHS)
37. Rainbow Refugee
38. Refugee Law Office of Legal Aid Ontario, Hamilton
39. Refugee Law Office of Legal Aid Ontario, Toronto
40. Rexdale Community Legal Clinic
41. South Asian Legal Clinic of Ontario
42. SWAN Vancouver
43. The Peoples Church
44. Vancouver Association for Survivors of Torture (VAST)
45. West Coast LEAF