Le Canada vante son bilan des droits humains à Genève, mais criminalise sur son propre sol les Autochtones défenseurs de leur terre
Une délégation d’Amnistie internationale Canada était présente aujourd’hui à Genève pour l’Examen périodique universel (EPU) du Canada aux Nations unies. Au total, 124 États ont adressé des recommandations au Canada sur les droits des peuples autochtones, la violence envers les femmes autochtones, le racisme systémique et les droits des enfants autochtones, entre autres sujets. Cette présentation, où le Canada vantait ses progrès en matière de droits autochtones tout en reconnaissant qu’il pouvait faire encore mieux, avait lieu alors que des défenseurs de la terre Wet’suwet’en sont toujours poursuivis en justice parce qu’ils dénoncent la construction du pipeline Coastal GasLink sur leur territoire, sans leur consentement préalable, libre et éclairé.
Bien que la présentation du Canada au Conseil des droits de l'homme des Nations unies témoigne d'un engagement fort en faveur de la pleine réalisation des droits des peuples autochtones, elle passe sous silence des manquements graves au principe du consentement préalable, libre et éclairé, la crise actuelle des femmes et des filles et membres des communautés 2ELGBTQI+ autochtones disparus et assassinés, et la justice climatique, a déclaré Amnistie internationale vendredi.
« Le Canada se montre sous son meilleur jour auprès des dignitaires présents ici à Genève, mais il continue de poursuivre injustement les défenseurs de la terre Wet’suwet’en qui prennent la défense de nos droits, de notre territoire, et de l’environnement naturel dont nous dépendons pour notre survie », a déclaré le chef Na’moks, un des chefs héréditaires Wet’suwet’en qui accompagnait la délégation d’Amnistie internationale Canada à l’EPU. « Les horribles violations des droits humains et le traitement réservé à notre peuple doivent être portés à l’attention du monde afin que soit remise en question la réputation du Canada comme un pays équitable et juste. »
Au cours d’une série de raids effectués au début de 2019, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a arrêté et détenu injustement plus de 80 personnes, dont des défenseurs de la terre, des chefs héréditaires et des matriarches Wet’suwet’en, des observateurs juridiques et des représentants des médias. Au cours de ces offensives, la Nation Wet’suwet’en a rapporté que les forces de la GRC, équipées de fusils d’assaut de type militaire, d’hélicoptères et d’unités canines, ont opéré aux côtés de Coastal GasLink et de sa compagnie de sécurité privée pour raser et incendier des bâtiments et désacraliser des espaces cérémoniels.
Une demi-douzaine de défenseurs de la terre fait toujours face à des accusations criminelles pour avoir exercé leur droit de défendre le territoire traditionnel non cédé de la Nation Wet’suwet’en. La Nation demande l’abandon des poursuites et l’arrêt de la construction du pipeline sur le territoire Wet’suwet’en jusqu’à ce qu’elle accorde son consentement libre et éclairé au projet.
« Dans son bilan, le Canada affirme que ses relations avec toutes les communautés culturelles sont idéales, et que les droits de tous.tes sont respectés. Notre présence à Genève fait partie des actions concrètes sur la scène internationale pour dire la vérité sur les réalités autochtones dans une optique d'autodétermination des Premières nations, » a déclaré Jérôme Bacon Saint-Onge, vice-chef au Conseil des Innus de Pessamit. « Malheureusement, les Premières nations sont aux premières loges pour constater que ce n’est pas le cas. Nous invitons les dirigeants canadiens à reconnaitre publiquement leurs lacunes, et ainsi donner aux Premières nations le contrôle sur leur destiné auquel elles ont droit. Lors de l’audition du Canada dans le cadre de l’EPU à Genève, les recommandations de certains états des Nations Unis ont été on ne peut plus claires à ce sujet. »
France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, reconnaît que l’annonce récente du plan d’action pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un pas dans la bonne direction. Mais ce plan demeurera imparfait tant que le Canada continuera de criminaliser les défenseurs de la terre et de ne pas respecter le droit des Nations autochtones au consentement préalable, libre et éclairé aux projets d’infrastructures et d’extraction de ressources sur leurs territoires.
« Pour être considéré comme un leader des droits humains sur le plan international, le Canada ne peut pas sélectionner et choisir les droits autochtones qu’il a l’intention de respecter », déclare Ketty Nivyabandi, Secrétaire Générale d’Amnesty International Canada, section anglophone. « Le bilan du Canada en matière de droits humains, de même que l’avenir de ses efforts de réconciliation avec les peuples autochtones, dépend de sa volonté à honorer toutes ses obligations légales et internationales, dont les principes affirmés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ».
Les échecs du Canada en matière de droits autochtones mettent en péril les efforts entrepris pour atténuer les pires impacts des changements climatiques, constate France-Isabelle Langlois.
« Même après la saison des feux de forêt la plus dévastatrice que le pays ait connue, le Canada continue de construire des pipelines de combustibles fossiles et de criminaliser les défenseurs de la terre autochtones qui s’y opposent. Il est temps d’écouter ces Nations et ces communautés qui sont aux premières lignes des changements climatiques et dont les droits, les traditions et le bien-être seront le plus affectés si nous ne renonçons pas d’urgence à l’utilisation des combustibles fossiles ».
Au-delà des échecs du Canada en matière de droits autochtones et de justice climatique, plusieurs autres actions du Canada pour améliorer son bilan en matière de droits humains n’ont pas été à la hauteur des attentes depuis le dernier EPU. Nicholas Marcus Thompson, directeur-général du Secrétariat du recours collectif noir, accompagnait la délégation d’Amnistie internationale Canada pour témoigner de la discrimination systémique subie pendant des décennies par les travailleurs noirs, plus spécifiquement les femmes travailleuses noires, de la fonction publique fédérale. Monsieur Thompson a déclaré:
« La mise en œuvre limitée par le Canada des recommandations en matière de droits humain met en lumière des écarts préoccupants entre ses engagements et ses actions, ce qui appelle à une réévaluation de son approche de l'EPU en vue d'une sauvegarde plus dynamique de ces droits ».
L’analyse d’Amnistie internationale Canada a constaté que le Canada n’avait mis en œuvre que cinq des quelques 200 recommandations reçues au cours du troisième cycle de l’EPU.
« Le Canada peut redresser la barre dès maintenant, par l’élaboration et la mise en œuvre d’un mécanisme transparent pour évaluer l’avancement des engagements pris à Genève en matière de droits humains. La réputation internationale du Canada, tout comme ses relations avec les Nations autochtones et les efforts qu’il déploie pour atténuer les changements climatiques, exige une approche nouvelle, rigoureuse et empreinte de compassion, » a souligné Mme Nivyabandi.
Enfin, Amnistie salue les engagements pris par le Canada devant le Conseil des droits de l'homme vendredi dernier, de ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence à l'égard des femmes.
« Si le Canada respecte ces engagements et ratifie ces instruments internationaux avec la diligence requise, il devra ensuite les respecter et les mettre en œuvre. Amnistie internationale sera là pour travailler avec le gouvernement afin d'assurer leur mise en œuvre effective », a déclaré Mme Langlois.