L'arrêt de la Cour suprême concernant l'Entente sur les tiers pays sûrs n'est pas à la hauteur des droits des réfugiés, mais offre un certain espoir
La décision rendue aujourd'hui par la Cour suprême du Canada au sujet de l'Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) est un résultat complexe qui, en fin de compte, n'est pas favorable aux réfugiés. La Cour suprême a accueilli partiellement le recours, renvoyant la question des droits à l'égalité à la Cour fédérale, et en maintenant la possibilité que l'entente soit déclarée inconstitutionnelle. Le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale Canada et le Conseil canadien des Églises sont déçus que la Cour suprême du Canada n'a pas statué de manière décisive que l'Entente sur les tiers pays sûrs viole les droits des réfugiés, exposant ainsi les demandeurs d'asile à d'autres préjudices dans l'attente d'une nouvelle contestation judiciaire.
« La décision d'aujourd'hui est en partie décevante en ce sens que l'ETPS reste en vigueur et que les personnes qui se présentent à nos frontières continueront d'être renvoyées aux États-Unis où elles risquent l'expulsion, la détention et l'isolement », a déclaré Aleks Dughman-Manzur, présidenx du Conseil canadien pour les réfugiés. « D'autre part, la Cour suprême n'a pas jugé l'ETPS constitutionnelle. Au contraire, la Cour suprême a confirmé l'importance de l'article 15 et a demandé à la Cour fédérale de se prononcer sur les droits à l'égalité. La Cour n'a pas considéré les États-Unis comme un pays sûr pour les demandeurs d'asile et, bien qu'elle ait compris qu'il existe des soupapes de sécurité à la frontière, nous savons que, dans la pratique, ces dernières ne sont pas accessibles. Nous continuons à demander au gouvernement fédéral de suspendre l'application de l'ETPS. »
En mars 2023, l'Entente a été élargie pour s'appliquer non seulement aux postes frontaliers officiels, mais aussi entre les postes frontaliers si la personne présente une demande d'asile dans les 14 jours suivant son arrivée, ce qui pousse les gens à entreprendre davantage de traversées irrégulières, dangereuses et clandestines simplement pour demander la protection du Canada.
La Cour a reconnu que les réfugiés aux États-Unis font face à des risques de violation de leurs droits, mais a noté qu'il existe des "soupapes de sécurité" permettant aux personnes d'être exemptées du renvoi aux États-Unis si elles sont en danger. Bien que ces mécanismes existent en droit, dans la pratique, ils ne sont pas accessibles aux personnes qui déposent une demande d'asile à la frontière.
« Quelle que soit la manière dont entrent au Canada les personnes qui fuient le danger et la persécution, elles ont le droit internationalement reconnu de rechercher la sécurité et de voir leur demande de statut de réfugié évaluée équitablement, affirme France-Isabelle Langlois, directrice générale d'Amnistie internationale Canada francophone. Aujourd'hui plus encore que lorsque nous l’avons contestée pour la première fois, l'Entente sur les tiers pays sûrs met ces droits, et surtout leurs détentrices et leurs détenteurs, en grave danger. Nous sommes de tout cœur avec les personnes menacées par l'ETPS et, malgré la décision rendue aujourd'hui, nous demandons au gouvernement de se retirer de l'Entente le plus tôt possible.»
« Les communautés croyantes canadiennes ont longtemps plaidé pour que le Canada accueille les personnes en quête de sécurité, qui fuient la violence, la discrimination, la persécution et la guerre. Cet arrêt empêche les personnes qui se trouvent à un point d'entrée de bénéficier des principes de justice fondamentaux de la Charte des droits et libertés, qui leur permettraient d'être entendues équitablement au Canada », souligne le pasteur Peter Noteboom, secrétaire général du Conseil canadien des Églises.
Contrairement aux tribunaux inférieurs, la Cour suprême a pris en considération les enjeux liés à la discrimination fondée sur le genre, concernant laquelle les organisations ont présenté des preuves abondantes. Pendant toute la durée de l'Entente sur les tiers pays sûrs, les États-Unis ont refusé le statut de réfugié à de nombreuses personnes fuyant les persécutions fondées sur le genre, en violation de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. En renvoyant la contestation de l'article 15 devant les juridictions inférieures, la Cour suprême offre un peu d'espoir au milieu d'une décision décevante.
Les trois organisations font valoir que l’ETPS va à l'encontre des valeurs du Canada, qu'elle viole ses obligations internationales et qu'elle contredit le soutien massif de l'opinion publique à la cause des réfugiés. L'image du Canada « pays compatissant et accueillant » est ternie par cet accord honteux.
La décision d'aujourd'hui ne modifie pas les droits fondamentaux des réfugiés et n'exonère pas le Canada de ses obligations internationales en vertu de la Convention de Genève. Cela ne change rien à notre appel à la révocation de l'entente, récemment étendue à l'ensemble de la frontière commune avec les États-Unis.