Philippines. Le nouveau gouvernement doit faire face à la crise des droits humains et garantir l’obligation de rendre des comptes
Le nouveau président Ferdinand Marcos Jr doit en finir avec le mépris catastrophique à l’égard de la vie et de la dignité humaine qui a marqué le mandat de son prédécesseur Rodrigo Duterte et doit accorder la priorité au respect et à la protection des droits humains, a déclaré Amnistie internationale à la veille de son investiture le 30 juin 2022.
« C’est l’occasion de rompre avec la violence et l’impunité qui ont accompagné le gouvernement de Rodrigo Duterte et de mettre en place et en œuvre une politique qui fasse la part belle à la justice, à la liberté et à l’égalité, a déclaré Erwin van der Borght, directeur régional par intérim à Amnistie internationale.
« Nous demandons au gouvernement de Ferdinand Marcos Jr de mettre fin aux exécutions extrajudiciaires, aux détentions arbitraires et autres violations commises au nom de la " guerre contre la drogue ", et de fonder la lutte contre les stupéfiants sur le respect des droits à la vie, à une procédure régulière et à la santé, en s'attaquant de manière globale aux causes profondes des problèmes liés à la drogue.
« Nous l’invitons également à s’engager à améliorer la situation des droits humains d’une manière plus générale. Il s’agit notamment de mettre fin aux attaques visant les militant·e·s et les défenseur·e·s des droits humains et de garantir la liberté des organes de presse indépendants, comme Rappler, qui risque d’être fermé à la veille de l’investiture, dans le cadre d’une manœuvre visant à museler les voix critiques. »
Mettre fin aux homicides
D’après les récentes recherches menées par Amnistie internationale, il n'existe toujours pas de véritable recours au niveau national permettant aux victimes de la « guerre contre la drogue » et à leurs familles de demander des comptes et d'obtenir justice, malgré les promesses faites à la communauté internationale par le gouvernement de Rodrigo Duterte.
Les entretiens de suivi menés auprès des familles des personnes tuées entre 2016 et 2021 ont montré que personne n'a eu à rendre des comptes pour le meurtre de sang-froid de leurs proches et que la plupart des familles ne sont pas en mesure de réclamer justice par crainte des représailles.
Les entretiens menés avec 18 membres des familles de victimes de meurtres liés à la drogue ont révélé que les épouses et les mères n'ont pas réussi à convaincre les témoins d’homicides illégaux de témoigner. Une mère a ainsi déclaré : « Je veux demander justice. Mais la question est de savoir comment ? J'essaie de trouver la paix et de m'en remettre à Dieu. Nous n'avons pas d’éléments, pas d'indices ni de pistes permettant de savoir qui a fait ça. Nous n'avons aucun témoin. Tous ceux qui y ont assisté préfèrent se taire car ils ont peur. Ils ont peur d'être les prochains s'ils parlent. »
D’autres familles ayant perdu leurs proches abattus lors de « virées en tandem » par des tireurs à moto, dont on pense que beaucoup sont liés à la police, n'ont obtenu aucune enquête policière ni aucune piste à suivre. « Tout ce qu'on a pu voir, ce sont leurs yeux. On ne peut pas les identifier – dire si ce sont des policiers ou autre. Nous n'avons aucun indice sur les personnes contre lesquelles nous devrions engager des poursuites », a déclaré la mère d'une victime dont le nom figurait semble-t-il sur une « liste de surveillance » en lien avec le trafic de stupéfiants.
L’épouse d'une victime, mère de sept enfants, a déclaré à Amnistie internationale qu'elle plaçait son espoir dans le prochain gouvernement : « Je veux que le cas de mon mari soit résolu. C'est mon seul souhait, que nous obtenions justice par tous les moyens possibles. J'espère que notre prochain président mettra fin aux homicides et fera en sorte que nos vies s'améliorent. »
Il faut une approche plus ferme pour que justice soit rendue
En 2018, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert un examen préliminaire sur les crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans le cadre de la « guerre contre la drogue » aux Philippines.
L’an dernier, la CPI a annoncé qu’elle allait ouvrir une enquête après avoir établi qu’il existe une base raisonnable permettant de penser que des crimes contre l’humanité, des actes de torture et des mauvais traitements ont été commis aux Philippines.
En novembre 2021, la CPI a suspendu ses investigations à la suite d’une demande de sursis à enquêter déposée par le gouvernement de Rodrigo Duterte. Toutefois, le Bureau du procureur a désormais demandé à la Cour de reprendre l’enquête.
« Étant donné l'absence totale de vérité, de justice et de réparations pour les victimes, nous demandons instamment à la Cour pénale internationale d'accélérer son enquête, a déclaré Erwin van der Borght. Nous appelons le gouvernement à coopérer avec le Bureau du procureur et à assurer la protection des victimes et des témoins.
« Dans les mois à venir, le Conseil des droits de l’homme examinera lui aussi la situation aux Philippines. La faiblesse de son approche a terni sa réputation et enhardi le gouvernement de Rodrigo Duterte.
« Au regard du changement de gouvernement, les membres du Conseil doivent saisir l’occasion de prendre des mesures plus fermes afin d’enquêter sur les violations des droits humains commises au cours des six dernières années, dans le but d’offrir vérité, justice et réparations aux victimes de la " guerre contre la drogue " et d’autres atteintes aux droits humains. »
Agir face à l’étau qui se resserre sur les médias et les détracteurs
Le président Ferdinand Marcos Jr doit aussi agir sans délai face à l’étau qui se resserre sur les médias, les défenseur·e·s des droits humains et les voix critiques.
Deux des principales voix critiques à l’égard de Rodrigo Duterte, la défenseure des droits humains et ancienne sénatrice Leila de Lima et la journaliste Maria Ressa, sont toujours inculpées d’accusations à caractère politique pour avoir exprimé leurs opinions. Leila de Lima est maintenue en détention arbitraire depuis cinq ans, alors que des témoins clés sont récemment revenus sur leurs déclarations l’incriminant. Le site d'information Rappler de Maria Ressa risque d'être fermé après que la Securities and Exchange Commission (Commission des opérations boursières) des Philippines a confirmé cette semaine la révocation des certificats qui ont permis la constitution de Rappler en société.
« Des militant·e·s politiques, des défenseur·e·s des droits humains, des membres de peuples autochtones, des avocat·e·s et des personnes critiques à l'égard des autorités sont pris pour cibles, parce qu'ils sont accusés de soutenir le mouvement communiste ou s’efforcent de dénoncer et condamner les violations des droits humains. Dans les jours précédant l’investiture, l’accès aux sites Internet considérés comme liés au mouvement communiste a été bloqué.
« Nous invitons le gouvernement à cesser de qualifier des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s politiques de " rouges ", ce qui leur vaut d’être la cible de menaces et d’attaques, notamment d’arrestations arbitraires et d’homicides, a déclaré Erwin van der Borght.
« Enfin, nous lui demandons de veiller à ce que la sénatrice Leila de Lima soit libérée immédiatement et sans condition, et d’abandonner les accusations pesant sur elle et sur Maria Ressa, afin de montrer que les nouveaux dirigeants prennent les droits humains au sérieux. Les six prochaines années offrent l’occasion d’améliorer radicalement la situation des droits dans le pays, ce qui suppose d’inclure des mesures significatives afin que ceux qui ont souffert aux mains de l’État obtiennent vérité, justice et réparation. »