Un plan d’action est essentiel, mais la mise en œuvre de normes internationales pour les droits autochtones exige aussi une réforme des lois
Il y a exactement quinze ans, l’Assemblée générale des Nations Unies adoptait la Déclaration sur les droits des peuples autochtones comme norme internationale minimale « pour la survie, la dignité et le bien-être » de tous les peuples autochtones. Après avoir résisté initialement à cette Déclaration des Nations Unies, le Canada est maintenant en position de devenir un leader mondial pour la mise en œuvre de ces normes. Il reste cependant beaucoup de travail à faire pour respecter les normes minimales de la Déclaration des Nations Unies et se montrer à la hauteur de l’esprit et des intentions qui y sont exprimés.
L’an dernier, le Parlement a adopté une loi nationale pour mettre pleinement en œuvre la Déclaration des Nations Unies. L’une des composantes principales de cette Loi sur la Déclaration des Nations Unies est l’exigence de travailler avec les peuples autochtones pour « élabore et mettre en œuvre (…) un plan d’action afin d’atteindre les objectifs de la Déclaration ». La Loi spécifie que ce plan d’action doit inclure des mesures visant « à lutter contre les injustices, à combattre les préjugés et à éliminer toute forme de violence, de racisme et de discrimination, notamment le racisme et la discrimination systémique » ainsi que « des mesures de contrôle ou de surveillance, des voies de recours, des mesures de réparation ».
S’il est bien fait, ce plan d’action national est une occasion historique d’aborder les droits humains et les besoins réels des peuples autochtones de façon concertée et systématique – en se basant sur des solutions identifiées par les peuples autochtones eux-mêmes. Un plan d’action exhaustif, développé dans le cadre d’un véritable partenariat avec les peuples autochtones, et pour la mise en œuvre duquel le gouvernement serait tenu responsable, constituerait un énorme pas en avant.
S’il est d’une importance cruciale, ce plan d’action n’est cependant pas la seule exigence de la Loi de mise en œuvre. Elle demande aussi au gouvernement fédéral de prendre « toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration », et ce « en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones ».
Cette clause de compatibilité de la Loi de mise en œuvre est tout aussi importante – et urgente – que le plan d’action. Cependant, à moins d’un an de l’échéancier prévu pour compléter le plan d’action, on peut craindre que les réformes indispensables aux lois, politiques et réglementations ne soient éclipsées et négligées.
La grande majorité des lois canadiennes ont été rédigées sans la participation des peuples autochtones, et sans égard, ou presque, à leurs droits. De fait, plusieurs de ces lois ont été élaborées précisément pour déposséder les peuples autochtones et limiter leurs droits. L’honorable Murray Sinclair, président de la Commission de vérité et réconciliation et ancien sénateur, parle d’une « guerre de lois » que le Canada a menée envers les peuples autochtones.
Dans le cadre de son engagement à mettre en place la Déclaration des Nations Unies, le gouvernement du Canada a annoncé publiquement la révision d’un certain nombre de lois susceptibles d’avoir de profondes répercussions sur les droits des peuples autochtones. Par exemple, la loi sur l’eau potable, celle sur l’ajout de terres dans les réserves des Premières Nations, et la question du langage utilisé dans les dispositions non dérogatoires types visant à éviter les conflits entre la loi fédérale et les Traités et autres droits inhérents.
Notre préoccupation ici ne concerne pas l’une ou l’autre de ces réformes, mais plutôt le processus lui-même. Même avec les meilleures intentions, un processus mal engagé peut facilement faire dérailler les réformes prévues. Dans ce cas-ci, on ne sait pas vraiment comment le gouvernement fédéral a priorisé ces enjeux particuliers ni pourquoi d’autres questions légales ne l’ont pas été. On ignore aussi le rôle que joueront les peuples autochtones dans le choix des réformes proposées au Parlement.
Des commentaires publics provenant d’autres ministères et agences soulèvent de sérieuses questions quant à la compréhension, à l’intérieur même du gouvernement, de l’exigence de compatibilité. Par exemple, dans un commentaire en ligne sur la mise en place de la Déclaration des Nations Unies, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada affirme que la Loi sur l’évaluation d’impact – une mine de conflits quant à l’utilisation des terres et des territoires – respecte déjà la Déclaration et donc « qu’il n’est pas nécessaire de la changer». Il n’y a aucune indication sur la manière dont on est parvenus à cette conclusion.
La Déclaration des Nations Unies exige des gouvernements qu’ils travaillent « en consultation et en collaboration » avec les peuples autochtones et qu’ils obtiennent leur consentement libre, préalable et éclairé avant d’adopter des mesures législatives ayant des impacts sur leurs droits. Il s’agit là d’une exigence essentielle pour assurer le respect des droits des peuples autochtones et prévenir toute violation potentielle de leurs droits humains. Comme cela est énoncé dans la Déclaration elle-même, une participation significative et le consentement sont les normes minimales exigées de tous les gouvernements. Avec l’adoption de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies, on est donc en droit de s’attendre à ce que le gouvernement fédéral respecte ces normes, y compris dans la mise en œuvre de cette Déclaration.