• 15 nov 2022
  • International
  • Communiqué de presse

Droits des peuples autochtones et des communautés locales et paragraphe sur les aires protégées de la Cible 3 à la COP15

L’Honorable Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique
L’honorable Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

Monsieur le Ministre, Madame la Ministre,

Je vous écris aujourd’hui au sujet du Cadre mondial de la biodiversité, qui fera l’objet de négociations à l’occasion de la 15e Conférence des parties (COP15) de la Convention sur la diversité biologique, à Montréal en décembre 2022. Comme vous le savez, le Cadre mondial de la biodiversité vise à engager les États à déclarer, d’ici à 2030, 30 % de la masse terrestre et marine de la planète comme aires protégées, à des fins de conservation. Soit, la proposition 30 x 30.

Si cette proposition est susceptible de constituer une avancée de taille en faveur de la protection de la biodiversité sur la planète, et de contribuer parallèlement à la lutte contre la crise climatique, elle présente aussi une grave menace pour les droits des Peuples autochtones et autres communautés locales. Cela s’explique par les ravages provoqués dans de nombreux cas dans la vie de ces peuples et communautés par la mise en place d’aires protégées. La cible relative aux aires protégées ne doit pas être incluse dans le Cadre mondial de la biodiversité, à moins que des dispositions de protection robustes en faveur des droits des Peuples autochtones et communautés locales ne soient incorporées au texte, ainsi que l’a proposé le Forum international autochtone sur la biodiversité.

Une brève synthèse présentant les éléments pertinents de recherches effectuées par Amnistie internationale et le raisonnement sous-tendant nos recommandations est jointe à la présente lettre.

Nous avons recensé des violations des droits humains de grande ampleur perpétrées dans des aires protégées, notamment des expulsions forcées de masse hors de terres ancestrales, l’homicide de membres des communautés concernées, la destruction de pratiques culturelles, l’arrestation arbitraire de membres de la communauté pour leurs actions de protestation ou leur présence sur leurs propres terres ancestrales, la privation du droit à des moyens de subsistance, à la santé et à l’éducation, et le manquement au devoir d’obtenir un consentement préalable, libre et éclairé. La dispersion de communautés ayant résulté de la création d’aires protégées a non seulement entraîné un appauvrissement catastrophique, mais s’est également soldée par le fait que les identités, cultures et langues uniques des Peuples autochtones affectés risquent de disparaître complètement.[i] Une étude datant de 2009 a estimé qu’entre 10,8 et 173 millions de personnes avaient jusqu’à cette époque été déplacées par des projets de conservation.[ii]

Je vous exhorte donc, en votre qualité de partie à la Convention sur la diversité biologique, à garantir que :

  • Les éléments suivants, actuellement entre crochets, figurent dans le paragraphe de la Cible 3 du Cadre mondial de la biodiversité : « notamment les territoires autochtones, s’il y a lieu » ; « services des écosystèmes et leurs contributions aux populations » ; « reconnaissant la contribution des Peuples autochtones et des communautés locales à leur gestion, et garantissant les droits des peuples autochtones et des communautés locales conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et au droit international des droits de l’homme » ; « conformément aux principes de la Déclaration de Rio, en ayant en place des mesures de protection adéquates des droits des Peuples autochtones et des communautés locales » ; « dans le respect le plus complet » ; « comprenant leurs terres et territoires », « comprenant le droit au consentement et à l’approbation préalables donnés en connaissance de cause » ;
  • Le texte « selon les circonstances nationales et dans le respect des lois nationales » soit enlevé ;
  • Les États fournissent des financements adéquats, d’un niveau correspondant à ce qui est investi dans les initiatives publiques, pour les aires protégées déclarées et gérées par des Peuples autochtones ou communautés locales, lorsqu’ils en font la demande ;[iii]
  • La participation de représentant·e·s des Peuples autochtones et communautés locales aux négociations relatives au Cadre mondial de la biodiversité soit véritable, adaptée sur le plan culturel et respectueuse des droits ; cela signifie, à la lumière de l’énorme impact qu’aura la Cible 3 sur leurs droits à la terre et aux ressources naturelles, à l’autodétermination, et à la culture, que le texte final doit uniquement être approuvé avec leur consentement préalable, libre et éclairé.

Dans le cas contraire, la Cible 3 sur les aires protégées et les ACME ne doit pas être incluse dans le Cadre mondial de la biodiversité.

 

[i] Kenya: Families torn apart: Forced eviction of Indigenous people in Embobut forest, p. 56-58.

[ii] A. Agrawal and K. Redford, “Conservation and Displacement: An Overview”, Conservation & Society, 2009, Vol. 7, No. 1 (2009), p. 4.

[iii] Conférence du 47e anniversaire du Conseil international des traités indiens, Conference Resolution on Protected Areas, mars 2022, para. 8.

Annexe

Texte actuel de la Cible 3 du Cadre mondial de la biodiversité (le texte entre crochets n’a pas encore été approuvé et est susceptible d’être supprimé, jusqu’au dernier moment des négociations)

Cible 3 : [Veiller à ce que][les écosystèmes, les habitats et la diversité biologique qu’ils contiennent soient maintenus et restaurés en conservant]/[facilitant] au moins [30 pour cent][, respectivement] des aires [terrestres [et] [eaux douces]/[eaux intérieures] et marines [et côtières] [aires terrestres et [mers]/[aires marines]/[des océans]], [, mondialement][au niveau national][comprenant les aires déjà protégées et conservées,] tout particulièrement les aires [, au niveau national] ayant une importance particulière pour la diversité biologique et [les fonctions]/[services] des écosystèmes [et que [leurs contributions aux populations] soient conservées [de manière efficace] [et utilisées de manière durable], grâce à des [systèmes]/[réseaux] d’aires protégées [efficaces]/[bien gérées] équitablement gouvernés, représentatifs au point de vue écologique et bien reliés [où les activités nuisibles à l’environnement sont interdites], [notamment les territoires autochtones, s’il y a lieu], [tout en veillant à ce que l’utilisation durable de ces aires, lorsqu’elle est en place, contribue à la conservation de la diversité biologique,] [reconnaissant la contribution des peuples autochtones et des communautés locales à leur gestion, et garantissant les droits des peuples autochtones et des communautés locales conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et le droit international des droits de l’homme][tout en gardant à l’esprit]/[reconnaissant] que les contributions nationales à cet objectif mondial seront décidées selon les priorités et capacités des pays et conformément aux principes de la Déclaration de Rio, en ayant en place des mesures de protection adéquates des droits des peuples autochtones et des communautés locales et des droits au développement, qui n’auront aucune incidence sur les droits ni les capacités de toutes les Parties d’avoir accès aux ressources financières et autres ressources nécessaires à la mise en œuvre efficace du cadre mondial de la biodiversité pour l'après-2020 dans son ensemble][mettant en vigueur]/[respectant]/[garantissant]/[dans le plein respect des droits de l’homme, notamment]/[dans le respect le plus complet] des droits des peuples autochtones et des communautés locales, [comprenant leurs terres et territoires][, comprenant le droit au consentement et à l’approbation préalables donnés en connaissance de cause][, selon les circonstances nationales et dans le respect des lois nationales].