J’ai subi la torture en détention pendant plus de quatre ans pour avoir défendu les droits collectifs des populations autochtones
Bernardo Caal Xol
Dans la majorité des pays, nous, peuples autochtones, sommes victimes de discriminations et de racisme, et avons été dépossédés et expulsés de nos terres.
Les puissants et les groupes dominants mettent en œuvre des politiques de paupérisation, et entravent toute possibilité d’améliorer sa situation sur le plan humain, social et professionnel. Rares sont les gouvernements qui investissent dans l’éducation, la santé ou les infrastructures dans les zones majoritairement autochtones. On y observe même une absence totale de l’État.
Les gouvernements et groupes puissants sur le plan économique continuent à folkloriser nos coutumes et modes de vie, faisant de certains aspects de la culture des peuples autochtones des attractions touristiques quand cela leur convient.
Les États et les entreprises de l’industrie extractive agissent de manière raciste et excluante quand ils lancent des projets et mégaprojets qui affectent nos populations, sans respecter les lois nationales ni les normes internationales relatives à l’information et à une consultation préalable. Les populations autochtones possèdent un savoir ancestral, et nous appliquons des principes et des valeurs qui nous dissuadent d’accorder notre consentement aux mégaprojets et monocultures qu’on tente de mettre en place sur notre territoire.
Dans nos cultures, les différentes générations ont toujours appris l’amour et le respect qu’il faut avoir pour les collines, les vallées, les rivières, les montagnes, les forêts, l’air que nous respirons, la pluie et tous les autres éléments de mère nature. Quel que soit le tort que nous leur permettons de causer, nous nous l’infligeons également à nous-mêmes. Nous sommes par conséquent les gardien·ne·s de mère nature sur nos territoires. C’est une insulte et un manque de respect envers nous lorsque des entreprises se mettent à saccager et s’approprier les biens naturels dont nous nous efforçons d’assurer la conservation.
Quand nous faisons état de notre réprobation face aux dégâts que causent les entreprises à la Terre ou à l’environnement, ce sont les mêmes structures étatiques qui nous répriment dans les manifestations, nous poursuivent en justice et utilisent ou manipulent les procédures pénales afin d’incarcérer les dirigeant·e·s des peuples indigènes pour avoir seulement défendu les droits humains. De nombreuses personnes sont placées en détention et sont victimes de tactiques dilatoires dans le contexte des procédures judiciaires, le but étant de les torturer sur le plan psychologique.
Moi-même, Bernardo Caal Xol, du peuple maya q’eqchi’ au Guatemala, je m’oppose aux projets hydroélectriques d’Oxec S.A., qui ont dévié et accaparé la rivière Cahabón, et ont privé d’accès à l’eau des milliers de familles et d’être vivants ayant utilisé la rivière sacrée de notre territoire durant de nombreux siècles.
Avec les populations de Cahabón, dans le département d’Alta Verapaz, j’ai dénoncé les atteintes aux droits à l’information et à la consultation du peuple q’eqchi’ dans le cadre de l’octroi de licences environnementales et de la concession de la rivière Cahabón pour les projets Oxec et Oxec II. J’ai dénoncé le crime environnemental qu’a représenté l’abattage, sans permis, de 15 hectares de forêt naturelle - les forêts jouant un rôle fondamental dans la lutte contre le changement climatique. Je me suis également élevé contre les centrales hydroélectriques, l’appropriation illégale d’un terrain public et la privation de l’accès à l’eau pour les q’eqchi’s autochtones résidant au bord des rivières Oxec et Cahabón.
En raison de mes interventions au nom de mon peuple, on m’a harcelé et poursuivi. Je suis sorti de prison le 24 mars après avoir purgé une peine prononcée sur la base de charges forgées de toutes pièces par les entreprises et l’État. J’ai ainsi confirmé et mis en évidence la manière dont les entreprises s’insinuent dans les structures de l’État au Guatemala.
L’État réagit à nos accusations et demandes en enfermant et en torturant des représentant·e·s des peuples autochtones, afin de nous dissuader de revendiquer nos droits, surtout face aux mégaprojets que l’on nous impose et qui ne bénéficient pas à la majorité. L’énergie électrique que produisent les entreprises près de chez moi n’est pas destinée aux familles q’eqchi’s ; elle est vendue à d’autres pays tandis que nos populations n’ont pas l’électricité. Même si nous continuons à utiliser la lampe à huile dans nos familles, nous montrons de manière claire que les entreprises ne font pas autre chose que nous déposséder de nos biens naturels.
Amnistie international a rigoureusement examiné mon cas et m’a déclaré prisonnier d’opinion en juillet 2020, après avoir vérifié que j’avais uniquement défendu les droits collectifs liés à mon territoire de manière pacifique. J’ai tout de même été injustement incarcéré pendant quatre ans et deux mois.
Ce 9 août, à l’occasion de la Journée internationale des populations autochtones, j’élève la voix afin de demander que les gouvernements mondiaux s’abstiennent de poursuivre en justice nos frères et sœurs autochtones. Qu’ils respectent les territoires que nous habitons. Qu’ils respectent les biens naturels que nous avons protégés, parce que c’est ce que nous ont enseigné nos ancêtres.
Le droit à l’autodétermination des peuples et à un consentement préalable, libre et éclairé resteront les piliers fondamentaux de notre existence et de l’établissement de la démocratie dans chaque pays de la planète. C’est pourquoi je demande que le travail effectué par les défenseur·e·s des droits humains soit respecté et garanti dans le monde entier.
De même, je réclame que les gouvernements fassent valoir et respectent les lois et accords internationaux visant à obliger les entreprises à rendre des comptes pour les dégâts qu’elles causent à notre Terre, à l’environnement et à la biodiversité, surtout à l’heure actuelle, où nous commençons à subir les lourdes conséquences du changement climatique.
Les populations autochtones restent confrontées à une situation extrêmement difficile, parce que nous devons continuer à faire face à la pandémie de COVID-19, que nous sommes les plus vulnérables face aux impacts du changement climatique, que nous continuons à défendre notre territoire contre le saccage et la dépossession, à lutter afin de protéger l’eau, nos rivières et nos forêts, et que nous sommes tous les jours aux prises avec le racisme structurel, le patriarcat et la colonisation que nous imposent les autorités de chaque pays où nous vivons.
Pour toutes les raisons décrites ci-dessus, l’ensemble des États d’Amérique latine et des Caraïbes doivent approuver et signer l’Accord d’Escazú, un traité régional sans précédent visant à garantir le droit à un environnement sain, et à protéger le travail que nous, défenseur·e·s de la Terre, du territoire et de l’environnement, effectuons. Ceci est urgent.
Le cas de Bernardo Caal Xol a été inclus à Écrire, ça libère, une campagne annuelle d’Amnistie internationale.