Mettre fin à la détention de personnes migrantes dans des prisons provinciales et au Québec
Une campagne nationale exhorte les provinces, dont le Québec, à annuler des contrats ouvrant la voie aux abus.
(Montréal, le 25 janvier 2021) – Les gouvernements des provinces canadiennes devraient résilier les contrats permettant la détention de personnes migrantes dans des prisons provinciales dans des conditions de détention parfois abusives, déclarent Human Rights Watch et Amnistie internationale au lancement du volet québécois de leur campagne nationale conjointe, #BienvenueAuCanada. Bien que les autorités canadiennes aient libéré un nombre considérable de migrant·e·s détenu·e·s depuis le début de la pandémie de Covid-19 en mars 2020, la proportion de migrant·e·s placé·e·s dans des prisons provinciales plutôt que dans des centres de surveillance de l’immigration a plus que doublé dans les six mois qui ont suivi le début de la pandémie.
« Nous demandons au gouvernement du Québec d’annuler son contrat avec les autorités fédérales permettant la détention de personnes migrantes dans les prisons provinciales et de devenir ainsi la première province à prendre des mesures concrètes pour mettre fin à l’utilisation des prisons provinciales pour incarcérer des personnes migrantes au Canada. », déclare Zaida Marquez, responsable des campagnes d’Amnistie internationale Canada francophone.
Au Canada, les prisons provinciales servent à la détention de personnes en attente de jugement ou condamnées à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans. Les personnes migrantes détenues dans ces prisons, qui sont souvent des établissements à sécurité maximale, sont non seulement confinées dans des conditions plus restrictives que celles placées dans des centres de surveillance de l’immigration, mais elles sont aussi plus susceptibles de rester enfermées plus longtemps.
« En laissant le gouvernement fédéral transférer des personnes migrantes dans les prisons provinciales, où elles risquent de rester pour un temps indéterminé, les autorités provinciales participent aux violations des droits humains commises par Ottawa », a déclaré Samer Muscati, directeur adjoint de la division Droits des personnes handicapées à Human Rights Watch. « Les gouvernements provinciaux ont là l’occasion de prendre les devants en se retirant de ces contrats, qui constituent un terreau pour des violations graves sur leur propre territoire. »
D’après les statistiques gouvernementales, sur une période de trois ans allant d’avril 2017 à mars 2020, environ un cinquième des personnes migrantes détenues étaient incarcérées dans 78 prisons provinciales sur tout le territoire canadien. Dans les six mois qui ont suivi le début de la pandémie (entre avril et septembre 2020), 50 pour cent des personnes migrantes détenues se trouvaient dans des prisons provinciales. La durée d’emprisonnement moyenne – 29 jours – a plus que doublé par rapport à la même période l’année précédente, et au moins 85 personnes sont restées enfermées plus de 100 jours.
« J’ai été arrêté sans motif ; mes effets personnels ont été saisis, y compris les piles de mon appareil auditif » a déclaré Abdelrahman Elmady, Égyptien avec un handicap auditif, qui a témoigné dans l’une des vidéos de la campagne diffusée le 14 octobre 2021. Il raconte son emprisonnement dans trois prisons provinciales de Colombie-Britannique après avoir fui son pays pour le Canada en quête d’asile. « J’ai toujours eu besoin de mon appareil [auditif], et là d’un coup, je me suis retrouvé en prison, perdu, effrayé, et incapable d’entendre quoi que ce soit. Personne ne m’a dit combien de temps j’allais rester en prison. »
Dans leur rapport récent intitulé « Je ne me sentais pas comme un être humain » : La détention des personnes migrantes au Canada et son impact en matière de santé mentale, Human Rights Watch et Amnistie internationale ont fait part des graves violations des droits humains subies par les personnes détenues pour des raisons liées à l’immigration au Canada. Parmi elles, de nombreuses personnes ont fui des persécutions, sont venues chercher une vie meilleure, et certaines vivent au Canada depuis leur enfance.
Bien que détenues pour des raisons non criminelles, les personnes migrantes connaissent souvent les conditions d’enfermement parmi les plus restrictives du pays ; certaines sont notamment incarcérées dans des établissements à sécurité maximale et placées en isolement cellulaire. Elles sont menottées, enchaînées et enfermées avec un accès limité ou nul au monde extérieur. Dans les prisons provinciales, beaucoup sont détenues dans un climat dangereux, qui les expose à la violence.
Les personnes migrantes de couleur, notamment celles qui sont noires, semblent être incarcérées pendant de plus longues périodes, et plus souvent dans des prisons provinciales que dans des centres de surveillance de l’immigration. En outre, les personnes en situation de handicap psychosocial font face à la discrimination tout au long du processus. La détention liée à l’immigration a des effets particulièrement délétères sur les personnes de couleur, les personnes en quête d’asile, les enfants et les familles.
À la suite de demandes d’accès à l’information, Human Rights Watch et Amnistie internationale ont obtenu des copies des contrats conclus entre le gouvernement fédéral et six provinces (Colombie-Britannique, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Ontario, Québec et Saskatchewan), qui permettent aux autorités de placer des personnes migrantes détenues dans des prisons provinciales, y compris dans des établissements à sécurité maximale. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a confirmé à l’équipe de recherche qu’un contrat était également en place avec la province d’Alberta, mais il n’a pas été rendu public.
D’après les contrats passés en revue par Human Rights Watch et Amnistie internationale, chaque province peut mettre fin à l’accord sans subir de pénalité et sans devoir fournir de motif, en respectant un préavis d’un an. Dans les trois provinces restantes (Manitoba, Terre-Neuve-et-Labrador et Île-du-Prince-Édouard), des représentant·e·s de l’AFSC ont stipulé que l’Agence avait obtenu des « accords informels » lui permettant d’incarcérer des personnes migrantes dans les prisons provinciales.
Dans son plan ministériel 2020-2021, l’ASFC a indiqué exercer « un contrôle limité sur les conditions de détention » dans les prisons provinciales de l’ensemble du pays, « ce qui rend difficile l’application d’une norme commune de soins ».
En incarcérant des personnes migrantes dans des prisons provinciales, le Canada commet une violation du droit international relatif aux droits humains. Cette détention est punitive par nature et n’est pas adaptée ni permise en vertu des normes internationales applicables à la détention des personnes migrantes.
Les autorités canadiennes fédérales et provinciales devraient prendre des mesures concrètes visant à abolir la détention pour des raisons liées à l’immigration, ont déclaré Human Rights Watch et Amnistie internationale. Les deux ONG ont écrit à chacune des provinces pour demander instamment aux Premiers ministres et aux services correctionnels qu’ils cessent de recourir aux prisons provinciales et à d’autres établissements pénitentiaires pour détenir les personnes migrantes, et qu’ils annulent tous les contrats et accords informels entre le gouvernement fédéral et les provinces qui permettent aux autorités de transférer des personnes migrantes dans ces établissements.
À travers leur campagne #BienvenueAuCanada, qui couvre l’ensemble du territoire d’ouest en est, et aujourd’hui le Québec, Human Rights Watch et Amnistie internationale appellent le grand public à soutenir leur plaidoyer en s’adressant directement à leurs Premiers ministres – par écrit (site web), par téléphone ou par tweet – pour leur demander d’annuler les contrats à cause desquels des migrantes et des migrants se morfondent dans des prisons provinciales.
« En étalant au grand jour l’immense tort causé par la détention de personnes migrantes dans les prisons provinciales, nous espérons que tous les habitant·e·s du Canada se rallieront à notre effort pour pousser les élu·e·s de leurs provinces à mettre fin à cette pratique honteuse », a déclaré Justin Mohammed, responsable des campagnes d’Amnistie internationale Canada anglophone. « Le Canada devrait devenir la terre d’accueil des réfugié·e·s et le pays multiculturel qu’il se targue d’être, et traiter les personnes en quête de sécurité ou de vie meilleure avec la dignité et le respect qui leur sont dus. »